Le général de l'armée morte - Ismaïl Kadaré

General kadare

- Livre de poche -

- Traduit de l'albanais ( nom du traduction non précisé ! ) - 

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Fin octobre, Passage à l'Est signait un article passionnant à propos de Ismaïl Kadaré, toutes les bonnes raisons de le lire.

C'est ainsi que nous vous présentons aujourd'hui ce roman Le général de l'armée morte, premier roman de Ismaïl Kadaré, écrit en 1960, à l'âge de 24 ans. Il fut publié en français par les éditions Albin Michel en 1970. 

Le titre évoque un général italien, une vingtaine d'année après la Seconde Guerre Mondiale, dont la mission est de retrouver et ramener dans leur terre d'origine à leur famille les dépouilles des soldats italiens tués lors des combats en Albanie.

Ce dont nous parle ce roman, c'est donc de cette guerre, de ses conséquences, de la relation avec le peuple albanais qui fut ennemi, qui résista. Ce sont des histoires profondément humaines, à hauteur d'hommes et femmes ( du déserteur à la prostituée mobilisée, ), autour de cette population et de ces soldats, par la mémoire de leurs jours tristes durant le conflit en cette terre albanaise, cette terre étrangère. 

Etranger-étrangère me semble le mot de ce roman, dans tous les sens de ce terme. Ce général ne connaît pas du tout l'Albanie, sa géographie, son passé, sa langue, ses coutumes, ses chants. Il est accompagné d'un prêtre qui en sait un peu plus mais ne paraît pas souhaiter communiquer plus que nécessaire sur le sujet. Ce général est lui-même étranger à ces gens, il est l'Etranger, ravivant les souvenirs douloureux, la rancoeur; d'autant plus étranger - même au lecteur - que nous ne connaîtrons pas son nom, qu'il demeure sa fonction militaire, qu'il ne se positionne que comme tel. Un général. En temps de paix. Qui fustige les généraux du temps de guerre qui n'ont pas mené leur armée à la victoire. 

Etrange l'atmosphère de ce roman également. Une inquiétude sourde, une menace portée par le vent, un malaise prégnant, émanent des pages qui ruissellent, la pluie, la boue, les routes hostiles, les montagnes brumeuses, l'humidité, les gestes froids de cette lugubre comptabilité.

" La nuit d'octobre était tombée sur la plaine. La lune, après avoir vainement tenté d'émerger de l'ombre, déversait maintenant sa clarté à travers les couches spongieuses des nuages et du brouillard qui, imbibées, saturées de lumière, la laissaient s'égoutter lentement, doucement, uniformément, sur l'horizon et la plaine immense. "

J'ai été impressionnée par la force des sentiments implicites ressentis à la lecture, par la puissance des descriptions, ces paysages invoqués, rudes, fascinants. C'est l'âme et la mémoire de l'Albanie, ses mystères de confins, qui sont ici convoquées. Il y a une irréalité malgré la morbide réalité de la mission, une irréalité de temps immémoriaux.

" Le diable seul saurait dire ce que les peuples expriment par leurs chants, dit le général. On peut fouiller et s'introduire facilement dans leur sol, mais quant à pénétrer leur âme, ça jamais. "

Au fil des pages, le général est saisi par cette " inquiétante étrangeté " qu'il tente de chasser, sans y parvenir. C'est comme un combat dont il sera le vaincu, troublé, sur ce sol instable, loin de l'emphase des grands mots de sa mission qui l'enfonce dans les entrailles même de cette terre étrangère; loin de ses repères qui s'éffritent sur les escarpements en citadelles.

En guerre, il est malaisé de faire le partage entre le tragique et le grotesque, l'héroïque et l'attristant. "

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L'armée était là, en bas, en dehors du temps, figée, calcifiée, couverte de terre. Il avait pour mission de la relever de la boue. Et cette tâche lui faisait peur. C'était une mission hors nature, où il devait y avoir quelque chose d'aveugle, de sourd et d'absurde. Elle portait en soi des conséquences imprévisibles. La terre qui était apparue, là en bas, au lieu de lui inspirer un certain sentiment de sécurité par son aspect réel, n'avait fait au contraire qu'accroître son appréhension. A l'indifférence des morts s'ajoutait son indifférence à elle. Et ce n'était pas seulement de l'indifférence. C'était quelque chose de plus. Cette course folle sous la brume, ces contours comme déchirés de douleur, ne témoignaient que de l'hostilité. "

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- Lecture partagée avec Passage à l'Est -

Nous vous donnons rendez-vous en mars, lors du Mois de l'Europe de l'Est, pour une prochaine lecture d'Ismaïl Kadaré.

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Commentaires

  • Kathel

    1 Kathel Le 13/01/2021

    J'ai eu une "période" Kadaré, mais suis loin d'avoir tout lu de cet auteur, je pourrais donc, pourquoi pas, y revenir... J'avais beaucoup aimé Avril brisé, Le palais des rêves...
    marilire

    marilire Le 14/01/2021

    Je n'avais lu qu'un titre, il y a longtemps déjà, c'était La Pyramide, au moment de sa sortie en français. Il était temps que j'y revienne. On cite souvent " Avril brisé "
  • Aifelle

    2 Aifelle Le 13/01/2021

    Je n'ai lu que "le grand hiver" de lui, qui m'avait plu et fait découvrir un peu l'Albanie. J'avais l'intention de continuer et puis je ne l'ai pas fait.
    marilire

    marilire Le 14/01/2021

    Même intention pour même résultat... Nous avons du choix parmi la bibliographie !
  • papillon

    3 papillon Le 13/01/2021

    Moi aussi, j'ai lu un ou deux romans de Kadaré il y a fort longtemps. Je vais peut-être mettre à profit le mois de l'Europe de l'Est pour le redécouvrir !
    marilire

    marilire Le 14/01/2021

    Bonne idée. J'espère faire de même.
  • Passage à l'Est!

    4 Passage à l'Est! Le 13/01/2021

    Merci de t'être jointe à moi! Etranger, étrangeté, et irréalité, sont bien les mots pour l'atmosphère et les personnages. Tu écris que le livre a été écrit en 1960, où est-ce indiqué dans ton exemplaire? Le mien donne une date différente (je lis aussi souvent 1963).
    marilire

    marilire Le 14/01/2021

    Ce sont vraiment ses sentiments et mots qui sont imposés au fil de la lecture. Pour la date de 1960, elle est citée en introduction du roman.
  • Dominique

    5 Dominique Le 13/01/2021

    ah ça y est je vais aller de blog en blog pour lire les différentes recensions
    un roman manifestement intéressant et d'une " inquiétante étrangeté" pour le dire comme freud
    je vais finir mon tour
    marilire

    marilire Le 14/01/2021

    C'est l'intérêt de ces lectures communes, les différents avis. Il semble que nous soyons unanimes.
  • Ingannmic

    6 Ingannmic Le 13/01/2021

    Un auteur que je n'ai jamais lu, mais ton billet est très tentant, et c'est une bonne idée de lecture pour le Mois de l'Est..
    marilire

    marilire Le 14/01/2021

    Ce mois à l'Est est la parfaite opportunité pour voyager en Albanie :)
  • Patrice

    7 Patrice Le 13/01/2021

    Un vrai plaisir de lire ton billet. Tu as raison, à côté de l'ambiance très particulière, il y a des histoires profondément humaines et très marquantes. Nous avons été gâtés par cette lecture commune ! :-)
    marilire

    marilire Le 14/01/2021

    Merci, et oui, très gâtés. Je vais récidiver :)
  • krol

    8 krol Le 13/01/2021

    Kadaré un auteur que j'aime beaucoup. Je te recommande Le pont aux trois arches. Et moi je me dis que je pourrais lire celui-ci pour le mois de l'Europe de l'est.
    marilire

    marilire Le 14/01/2021

    Merci, je note ta recommandation.
  • Passage à l'Est!

    9 Passage à l'Est! Le 14/01/2021

    C'est curieux, cette histoire de date. Je n'ai que la préface de Robert Escarpit, qui ne mentionne pas de date, et le texte du roman qui se termine avec la mention "Tirana, 1962-1966". Heureusement, il n'y a pas de doute qu'on parle bien du même livre!
  • A_girl_from_earth

    10 A_girl_from_earth Le 16/01/2021

    Je n'ai jamais lu cet auteur et pourtant c'est une très bonne occasion de rajouter un peu de littérature albanaise sur mes étagères. Je vais tâcher de combler cette lacune.:)
    marilire

    marilire Le 18/01/2021

    Avec Kadaré, c'est un voyage envoûtant !

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