Folie d'art - Page 9

- Carnet d'écriture -

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Retourmafalda

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Le dernier Folie d’art date. Il date d’avant l’été, d’attente de retour d’un éditeur généraliste après l’avis d’une éditrice d’édition spécialisées en sciences humaines.

Début juillet, j’ai obtenu une terrible réponse : une première validation de l’éditrice « conseil» avec des louanges, sur le fond, sur la forme, et la proposition de transmettre à une collègue responsable des publications d’une prestigieuse  collection de sciences humaines. Très rapidement, j’ai reçu le retour de cette seconde éditrice : re-louanges « très intéressant, très prometteur » mais... Mais un ouvrage autour du même point de départ va paraître l’année prochaine. Cette éditrice m’a brisé le cœur par sa motivation : mon approche étant absolument différente, elle a regardé-discuté pour prendre le mien, « correspondant exactement à sa collection », pour une publication différée de six mois. Cela n’a pas été possible.

Je n’en demandais pas tant. En quelques jours, j’ai reçu beaucoup, au-delà de mes espérances, et puis rien, pire que rien, un « trop tard », qui appuie sur ma lenteur, de nature et de débutante ( alors que mon chapitre 3 est devenu chapitres 3 et 4, et que mon chapitre 4 est devenu ensuite chapitres 5 et 6, je n’en finis pas ), sur ce perfectionnisme par l’exactitude, la précision et la clarté des tenants-aboutissants que je m’impose justement. Il aurait mieux valu que je me cantonne à ma salutaire solitude, ma petite bohème me convient bien. La chute fut rude. Très rude. Disons franchement, complètement démotivante. Une période de confusion. Et d’abandon. Un renoncement plutôt. Aussi parce que l’éditrice, désolée, m’enjoint d’envoyer à des éditions spécialisées, type Tallandier. Mais, ça non plus, ce n’est pas possible : au catalogues de ces maisons d’éditions, les auteurs sont des spécialistes, diplômés et reconnus, pas d’inconnus, néophytes et autodidactes, sans légitimité universitaire.

Bien que j’ai flirté avec un autre sujet durant l’été, sujet premier cher à mon cœur qui n’intéresse que moi ( temps de déni et d’évasion réconfortante, je l’admets ), j’ai obéi à l’injonction de soumettre à d’autres éditeurs, généralistes publiant des récits du domaine des sciences humaines, laissant imprimer-poster celui qui est plus motivé que moi, qui désespère que je ne termine pas. J’ai obéi par mauvais esprit, je le reconnais, parce que persuadée qu’il n’y aurait aucune réponse, en constatation de paradoxes éditoriaux, et d’un certain plafond de verre certainement. Fin novembre, cela fera trois mois, le délai standard, il n’y a pas de réponse.

Je sais bien que la forme hybride de mon récit pose problème, quand on n’a pas de nom à apposer-imposer. Je n’en peux plus de cette question latente et récurrente : pourquoi pas un roman ? Le genre du roman a tant débordé de ses frontières qu’il est devenu le genre nécessaire et suffisant. Je ne peux pas et je ne veux pas. Tant pis pour moi. Mon exigence pour ce projet à ne pas sacrifier au romanesque, si documenté soit-il, certainement orgueilleuse, m’est essentielle.

Et comme mon mauvais esprit s’est débridé, j’ai feuilleté quelques notes prises pour un récit historique, encore une histoire folle, en soi romanesque. Dois-je me laisser tenter, tenter ce récit cruel d’aventures, écrire les scènes de violences, les scènes de sexe, suivre le personnage accrocheur et trouble sous dorure historique à thématique socialo-tendance ? J’avoue que ce serait instructif de tenir ce pari téméraire. Mais je suis lente. Et je ne pourrai m’empêcher de chercher, de vérifier, de poser des questions, des questions sans réponse franches, des questions qui fâchent. N’empêche...

Sans me comparer à des auteurs de renom, je constate que c’est toujours la même histoire. Déjà Marguerite Yourcenar le souligne dans les Carnets d’Hadrien, l’obligation du roman. Plus tard, Jean Rouaud également, lors des premiers contacts éditoriaux.

Finalement, j’ai lu le HHhH de Laurent Binet par curiosité, pour cette façon de raconter le roman du roman, de jouer avec le lecteur sur le temps d’écriture. Pas convaincue du tout par ce principe du paradoxe : je dis qu’un roman sur mon sujet ( trop artificiel, notamment pour les dialogues, trop de facilité à inventer un personnage qui accompagne l’Histoire, etc... ) n’est pas possible et en même temps j’en écris un. Et pourtant, j’ai lu ce livre, aux superbes descriptions de Prague, avec intérêt car chacun des affres décrits est évidemment également mien.

- « Des mois s’écoulent, qui deviennent des années, pendant lesquels cette histoire ne cesse de grandir en moi. Et tandis que ma vie se passe, faite comme pour tout un chacun de joies, de drames, de déceptions et d’espoirs personnels, les rayonnages de mon appartement se couvrent de livres sur la Seconde Guerre mondiale. Je dévore tout ce qui me tombe sous la main dans toute les langues possibles, je vais voir tous les films qui sortent [...]. J’apprends une foule de choses, certaines n’ont qu’un lointain rapport avec Heydrich, je me dis que tout peut servir, qu’il faut s’imprégner d’une époque pour en comprendre l’esprit, et puis le fil de la connaissance, une fois qu’on a commencé à tirer, continue à se dérouler tout seul. L’ampleur du savoir que j’accumule finit par m’effrayer. J’écris deux pages pendant que j’en lis mille. A ce rythme, je mourrai sans avoir évoqué ne seraient-ce que les préparatifs de l’attentat.»

- « Je sais bien que mes deux héros tardent à entrer en scène. Mais s’ils se font attendre, peut-être que ce n’est pas plus mal. Peut-être qu’ils n’en auront que plus de corps. Peut-être la marque qu’ils ont laissée dans l’Histoire et dans ma mémoire pourra-t-elle s’imprimer d’autant plus profondément dans mes pages. Peut-être que cette longue station dans l’antichambre de mon cerveau leur restituera un peu de leur réalité, et pas seulement une vulgaire ressemblance. Peut-être, peut-être... mais rien n’est moins sûr ! Heydrich ne m’impressionne déjà plus. Ce sont eux qui m’intimident. Et pourtant, je les vois. Ou disons que je commence à les apercevoir.»

- « C’est un combat perdu d’avance. Je ne peux pas raconter cette histoire telle qu’elle devrait être. Tout ce fatras de personnages, d’événements, de dates, et l’arborescence infinie des liens de cause à effet, et ces gens, ces vrais gens qui ont vraiment existé, avec leur vie, leurs actes et leurs pensées dont je frôle un pan infime... Je me cogne sans cesse contre ce mur de l’Histoire sur lequel grimpe et s’étend, sans jamais s’arrêter, toujours plus haut et toujours plus dru, le lierre décourageant de la causalité.»

Quels peuvent être les mots de la fin, de cette page, de ce Carnet d’écriture, de ce projet ? Peut-être ?

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Commentaires

  • Sandrine

    1 Sandrine Le 13/11/2023

    Les auteurs les plus exigeants te diront qu'il ne faut céder à rien, surtout pas à la facilité. Je pense à Damasio avec sa horde du contrevent dont personne ne voulait, jusqu'à ce qu'il rencontre quelqu'un d'assez fou pour créer une maison d'édition pour la publier.
    Le texte de Binet est vraiment formidable, c'est la fabrique du roman historique, l'écrivain derrière le livre. Il permet au lecteur d'entrevoir un peu de la sueur et des angoisses derrière chaque page, chaque mot.
    Persiste à ton rythme puisque ce projet est un moteur mais ne laisse pas ce diable sortir de sa boîte et prendre toute la place.
  • nathalie

    2 nathalie Le 13/11/2023

    Pas facile tout cela... J'espère que tu réussiras à trouver un projet qui te convienne et qui convienne à un éditeur, je crois que le temps long est indispensable pour réaliser un réel travail.
    Quant au roman historique... j'avais aimé HHHH et j'apprécie l'honnêteté de Binet sur le fait qu'il est impossible d'écrire un roman historique mais tellement tentant de le faire. J'ai souvenir d'avoir lu celui d'Arno Schmidt sur Alexandre le Grand, bâti précisément sur ce paradoxe impossible à résoudre. J'aime bien voir les techniques des auteurs pour résoudre le problème.
    Bref, persévérance et courage !
  • Kathel

    3 Kathel Le 13/11/2023

    Il ne faut pas que tu te reproches ta lenteur, qui n'en est pas vraiment. Tu as parfaitement raison de vouloir vérifier, lire et relire sur le sujet pour être certaine du moindre mot de ce que tu avances.
    Je suis sûre que tu vas trouver la motivation pour relancer ton projet, d'une manière ou d'une autre : je ne veux pas forcément dire par là en faire un roman, puisque tu ne le souhaites pas, mais je suis sûre que tu vas trouver ! L'exemple de Laurent Binet est intéressant, et pointe bien les difficultés d'un tel projet, au moins tu te sens moins seule.
    Je n'ai qu'un mot à ajouter (deux) : Bon courage !
  • A_girl_from_earth

    4 A_girl_from_earth Le 13/11/2023

    Tu souhaites que ce projet te ressemble et te corresponde de bout en bout, ce qui laisse peu de place aux concessions^^, mais l'essentiel est que tu sois pleinement satisfaite du résultat final, quitte à ce que cela prenne du temps. Il finira bien par y avoir un éditeur avec qui ça matche complètement !
  • Aifelle

    5 Aifelle Le 14/11/2023

    Ça doit être un monde difficile à saisir celui de l'édition. Tu n'as pas à te reprocher d'être toi-même. Tu ne pourrais pas faire trop de concessions au risque justement de te perdre de vue et ça tu ne le supporterais pas. Je pense que le temps va te permettre de repartir sur un projet, quelque soit la forme que tu lui donnes. Que la force soit avec toi !
  • Marilyne

    6 Marilyne Le 14/11/2023

    Grand merci pour vos encouragements
  • Tania

    7 Tania Le 15/11/2023

    Quelle déception après les encouragements ! Le choc du refus n'en est que plus rude; je compatis. J'allais te parler de l'Atelier des Noyers, mais je viens de lire sur leur site qu'ils n'acceptent plus de manuscrit avant l'année prochaine.
    Rien de ce que tu as écrit n'est perdu, ni le temps que tu y as consacré, ces heures pleines. Alors oui, "peut-être". L'art a ses raisons que la raison ne connaît pas - belle folie !
  • Thaïs

    8 Thaïs Le 21/11/2023

    Je ne connais pas le monde de l'édition. Je comprends tes exigences et de vouloir un texte qui te ressemble. Bon courage, il faut y croire !

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