
- Editions du Seuil - Août 2023 -
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Ce roman s’ouvre sur une scène de gynécée, dans les années 60, à laquelle une petite fille assiste. C’est la réunion d’une tribu de femmes, au domicile de sa mère, femme au foyer, épouse d’un haut fonctionnaire, avec la tante, la grand-mère, la cousine. Les propos y sont parfois obscurs, ou assénés comme des évidences, pourtant partiels, flous, notamment quant aux dénominations, aux patronymes, aux références, qui relèvent d’avant.
L’enfant n’aura de cesse de comprendre. Ce roman, c’est cette quête du réel, des noms, des faits, de la vérité. La propagandiste est un roman de la collaboration française.
L’autrice de ce roman est germaniste et historienne, la narratrice le devient aussi. Cécile Desprairies a signé des ouvrages sur la période de l’Occupation dont un Paris dans la collaboration ( aux éditions du Seuil ). La propagandiste est son premier roman.
Au-delà de la mère, au-delà de la superficialité des femmes de la famille qui ne s’intéressent qu’à ce qui brille, la narratrice reconstitue une histoire familiale inscrite dans cette collaboration active, les différents aspects de la collaboration : idéologique, par opportunisme et égoïsme, pour le profit et la revanche sociale ou professionnelle, par antisémitisme forcené; la « collaboration culturelle ».
Lucie, cette mère toxique, ne cache pas ses admirations et ses rancunes à qui sait comprendre, à qui connaît le passé. Elle fait grandir ses enfants dans « la communauté des collabos » sans le dire clairement, par le choix des écoles, par l’apprentissage du vocabulaire allemand.
La propagandiste, c’est elle, membre de la Propaganda durant l’Occupation, ce surnom donné par ses fréquentations nazies :
« La Propaganda a un intitulé programmatique, une sorte d’activité contradictoire qui mêle dans une même fonction la censure, l’information et la publicité. L’organisme a toujours été exigeant dans les consignes à faire passer. Lucie doit créer des affiches «françaises», tout en respectant la ligne demandée par la Propaganda. [...] Lucie fait de l’antibolchevique, de l’antimaçonnique, de l’anti-juif, de l’anti-anglais, de l’anti tout ce qu’on veut, et ses affiches sont acceptées. Elle devine ce qui va «passer» et ce qui ne passera pas.
L’oncle Gaston [ patron du journal Paris Soir ces années-là, nommé par les «autorités allemandes» ] reconnaît toujours le style de Lucie, mélange de culot, de mauvaise foi, de retournement de sens et d’une certaine gouaille. C’est son côté Arletty, les poings sur les hanches, le côté populo de la famille, avec son bagout.»
Le rôle de sa vie, ce sera sa participation, en 1941, a l’exposition « Le Juif en France ». Ce rôle, cette vie, Lucie ne parvient pas à y renoncer. C’est le temps de sa jeunesse, du premier amour, du grand amour, Friedrich, alsacien, biologiste, pronazi, travaillant sur la génétique, le concept de race. C’est leur « grille explicative du monde », ils sont jeunes, convaincus, et le Reich va durer mille ans... Lucie, jusqu’à la fin de sa vie, entretient la mémoire de Friedrich, conservant ses lettres, ses livres de médecine, dans la maison bourguignonne familiale. Il lui semble impossible de renoncer à ce passé, qu’elle brouille pourtant, manipulatrice, suffisamment pour échapper à l’épuration.
« Au fur et à mesure de la naissance de ses enfants, parce qu’elle en a par-dessus la tête de cette vie de famille, Lucie sème des indices sur son passé. Certains sont laissés volontairement, pour que quelqu’un les relève; d’autres sont le signe de sa vie rêvée. Je grandis dans les méandres du mensonge et de la vérité.
Céciles Desprairies nous propose une réflexion sur le langage, oral, sur ce qu’il transmet, ce qu’il révèle par ce qu’il cache, témoignant de son malaise et de ses questionnements par les incompréhensions ou implicites linguistiques, qui m’ont souvent épouvantés, concluant sur l’impact de cette mémoire trouble sur sa fratrie.
« Elle [Lucie] fera donc acte de faux et d’usage de faux sa vie durant avec un talent certain, entretenant toutes les confusions.[...] Tout est possible en changeant une seule lettre, et même parfois en ne changeant rien du tout. La liste est longue. Lucie parle-t-elle de résistants ou de collabos, de juifs ou «d’aryens» ? En quête d’indices, je suis désorientée. Finalement, c’est la langue allemande qui me sauvera; elle est précise et tout se prononce. Il n’y a pas de E muet.»
Reliant les histoires et l’Histoire, Cécile Desprairies ne justifie rien, elle constate et raconte, sans compromis, les parcours, les personnalités de la famille, qui le sont encore après-guerre. S’en est parfois glauque, crû, le regard est frontal, violent, à peine tempéré par l’ironie lorsqu’elle relate le fanatisme maternel durant l’Occupation. Un roman réaliste.
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Commentaires
1 niki Le 06/10/2023
marilire Le 07/10/2023
2 Aifelle Le 07/10/2023
marilire Le 07/10/2023
3 je lis je blogue Le 07/10/2023
marilire Le 07/10/2023
4 Kathel Le 07/10/2023
marilire Le 07/10/2023
5 Tania Le 07/10/2023
marilire Le 07/10/2023
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