Lorenzaccio - Musset

Lorenzaccio

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C'est avec cette pièce de Musset que j'inaugure ce cycle de lectures théâtrales. Chaque mois, je me propose et vous propose de présenter une pièce, en précisant d'un mois pour l'autre l'auteur choisi. 

Le choix du Lorenzaccio de Musset fut motivé, d'abord pour cet aspect particulier à l'auteur de " spectacle dans un fauteuil ", soit une pièce à lire plutôt qu'à jouer, ensuite par la lecture du roman de Laurent Binet Perspective(s) s'inscrivant dans le même contexte historique : la Florence des Médicis.

L'action de la pièce est historique, il s'agit de l'assassinat du duc de Florence, Alexandre de Médicis, par son cousin Lorenzaccio, en 1537. Le Perspective(s) de L.Binet suit, mettant en scène Côme de Médicis, devenu duc de Florence, après cet assassinat. En toute logique, j'envisage de lire, curieuse, Le portrait d'un mariage de Maggie O'Farrel consacrée à Lucrèce, la fille de Côme de Médicis mariée au duc de Ferrare ( malgré, d'après ce que je lis sur ce roman, l'aspect féministe tendance et appuyé ).

Renaissance italienne donc pour ces lectures. Même dans Lorenzaccio, pièce politique inscrite dans l'histoire contemporaine de son auteur ( les années de Restauration, " l'echec " de l'idéal républicain ) parue en 1834, il est question d'art lors d'une scène avec un peintre, du rôle de l'art, de l'engagement et de la liberté de l'artiste.

Lorenzaccio est une pièce politique puisque nous suivons ce jeune Médicis dans son projet d'assassinat et sa fuite, ses réflexions sur les gouvernants et le peuple gouverné. La pièce est terrible car Lorenzaccio ne croit plus à sa mission : s'il ne renonce pas à débarasser Florence d'un tyran fantoche, soutenu-soumis au Pape et à l'empereur Charles Quint, il est sans illusion quant aux conséquences de son acte. Il n'espère plus qu'il soit l'étincelle d'une révolution, l'opportunité d'un soulèvement, d'un retour de la république à Florence alors que, pourtant, de grandes familles ( dont les Strozzi qui s'opposent et s'opposeront aux Médicis ) complotent et soutiennent les bannis républicains.

L'intrigue avance en cinq actes à un rythme soutenu, prenante par la détresse-l'ambiguité du personnage principal; Lorenzaccio héros romantique désabusé. J'ai parfois songé à Hamlet. Il y a du Machiavel dans cette pièce, du Tartuffe par les visées politiques des dévots, et le jeu des masques. Comme le montre l'illustration de couverture de cette édition Garnier Flammarion, Lorenzaccio est double ou divisé. Pour approcher au plus près le duc Alexandre, gagner sa confiance, il s'est transformé en courtisan, débauché comme le duc. Il s'est couvert d'indignité, il est ainsi surnommé Lorenzaccio, ce suffixe ajouté à son prénom est méprisant. Hélas, ce masque a été si bien porté qu'il a empoisonné la peau et l'âme, il en a trop fait, trop vu, trop de lâches, d'hypocrites, de passivité. Si Lorenzaccio sait pourquoi il va devenir un assassin, il ne sait plus pour qui. Peut-être Florence, personnage à part entière, mais pour son peuple ?

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" - Lorenzo 

Pourquoi donc ne peux-tu peindre une courtisane, si tu peux peindre un mauvais lieu ?

- Tebaldeo [ peintre ]

On ne m'a point appris à parler ainsi de ma mère.

- Lorenzo 

Qu'appelles-tu ta mère ?

- Tebaldeo 

Florence, Seigneur

- Lorenzo

Alors, tu n'es qu'un bâtard, car ta mère n'est qu'une catin. "

- extrait de l'acte II, scène 2 -

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- Lorenzo

" Tel que tu me vois, Philippe [ Strozzi ], j'ai été honnête. J'ai cru à la vertu, à la grandeur humaine, comme un martyr croit à son Dieu. […] Quand j'ai commencé à jouer mon rôle de Brutus moderne, je marchais dans mes habits neufs de la grande confrérie du vice comme un enfant de dix ans dans l'armure d'un géant de la Fable. Je croyais que la corruption était un stigmate, et que les monstres seuls le portaient au front. J'avais commencé à dire tout haut que mes vingt années de vertu étaient un masque étouffant ; ô Philippe ! j'entrai alors dans la vie, et je vis qu'à mon approche tout le monde en faisait autant que moi ; tous les masques tombaient devant mon regard ; l'humanité souleva sa robe et me montra, comme à un adepte digne d'elle, sa monstrueuse nudité. J'ai vu les hommes tels qu'ils sont."

- extrait de l'acte III, scène 3 -
 

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Lucidité désanchantée, manipulations, vacuité et mensonges des discours, politiques et religieux, décadence du pouvoir, Lorenzaccio est une pièce puissante sur les faiblesses humaines face à l'idéalisme.

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320px alfons mucha 1896 lorenzaccio

- Sarah Bernhardt dans le rôle de Lorenzaccio -

- Affiche d'Alfons Mucha ( Théâtre de la Renaissance - 1896 ) -

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- Lecture partagée avec Nathalie -

- Ce mois-ci Cléanthe a présenté On ne badine pas avec l'amour -

- Prochain rendez-vous théâtral avec Bertolt Brecht le 28 novembre -

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Commentaires

  • Ingannmic

    1 Ingannmic Le 26/10/2023

    J'ai à la maison mon vieil exemplaire jauni du lycée, que je me promets de relire depuis longtemps. Avec Antigone d'Anouilh, c'est une des lectures scolaires qui m'a le plus marquée...
    marilire

    marilire Le 26/10/2023

    Les relectures de classiques découvert à l'adolescence me semblent toujours fructueuses, notre perception est différente.
  • keisha

    2 keisha Le 26/10/2023

    L'impression de revivre le lycée, pas désagréable!
    marilire

    marilire Le 26/10/2023

    Il est rassurant de se dire que l'on n'a pas oublié ses lectures de lycée :)
  • je lis je blogue

    3 je lis je blogue Le 26/10/2023

    C'est une bonne idée de mettre en avant des pièces de théâtre. Pour ma part, je n'en lis que très rarement. Ce n'est pas que je n'aime pas ça mais je n'y pense tout simplement pas.
    marilire

    marilire Le 26/10/2023

    Cela faisait longtemps également que je n'avais pas lu ce théâtre, j'y suis revenue cette année. J'essaie d'aller régulièrement au théâtre ( pas seulement pour du classique ), j'adore ça, alors la lecture des pièces a été laissée de côté. Finalement, c'est en découvrant les publications de " l'avant-scène théâtre " ( dans un théâtre ) que j'ai repris cette lecture : ce sont des fascicules - " une pièce, un dossier, une actualité " - avec le texte intégral, et un commentaire sur la pièce et ses mises en scène.
  • nathalie

    4 nathalie Le 26/10/2023

    Au moment de ma lecture, je voulais mettre l'affiche de Mucha pour illustrer (j'ai la photo dans l'ordi et elle est superbe) et j'ai totalement oublié. Pfff.
    Pièce très politique et très condition humaine aussi, ce qui la rend très moderne et c'est pour cela qu'on continue à la lire et à la monter. D'ailleurs la longue tirade que tu cites, cet autoportrait, le montre bien.
    Et bien vu le Tarfuffe, bien vu !
    marilire

    marilire Le 26/10/2023

    Les grands esprits avec l'affiche :). Je te rejoins, la pièce garde une résonance forte. Je n'ai encore jamais eu l'occasion de la voir sur scène.
  • Dominique

    5 Dominique Le 27/10/2023

    indémodable mais malheureusement j'ai beaucoup de mal à lire du théâtre, j'aime voir ça sur scène
    marilire

    marilire Le 27/10/2023

    C'est certain, sur scène, c'est le meilleur.
  • Cleanthe

    6 Cleanthe Le 30/10/2023

    Une belle idée ce cycle de lectures théâtrales! Je te suivrais bien pour un petit Brecht le mois prochain, si je trouve à "caser" une de ses pièces dans mon copieux programme de lectures du moment.
    marilire

    marilire Le 31/10/2023

    Merci. Alors je t'espère pour Brecht ( comme toi, ce mois-ci, c'est programme de lectures :))
  • Anne

    7 Anne Le 31/10/2023

    Moi aussi j'ai du mal à lire du théâtre mais ça ne m'empêche pas de saluer ton initiative ;-)

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