Iwona Chmielewska

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- Editions Rue du Monde -

- Traduit du polonais par Lydia Waleryszak -

L’artiste polonaise Iwona Chmielewska était l’une des invitées européennes de ce Salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil 2012.

Son album, Le journal de Blumka, dont elle est l’auteure et l’illustratrice,  » raconte la vie ordinaire du 92, rue Krochmalna, à Varsovie, l’orphelinat fondé par Janusz Korczak. « 

Cet album, c’est un long et éprouvant projet. Il y a eu vingt livres réalisés, d’autres projets, avant de parvenir à l’aboutissement de celui-ci, une profonde et lente génèse, gestation. Iwona raconte que Janusz Korczak est une figure majeure en Pologne, une figure aimée, honorée. On trouve ses livres dans les écoles, mais, finalement, on ne le connait pas. Ce que l’on transmet de lui, c’est le pédagogue révolutionnaire mort à Treblinka avec ses enfants de l’orphelinat. Iwona a voulu connaître, rencontrer le docteur, le docteur avec ses enfants, tous vivants; elle a souhaité raconter la vie, pas la mort, que ce qui reste de lui ne soit pas seulement les grandes théories et l’horreur des assassinats mais plutôt l’enfance.

Iwona s’est investie dans ce projet seule, sans éditeur, pas à pas, à voix basse comme elle évoque ce quotidien à l’orphelinat et les principes pédagogiques. Elle avoue avoir parfois dû reporter ce projet tant elle se sentait oppressée par la responsabilité de cette image positive qu’elle espérait partager en créant cet album, parfois submergée par l’émotion parce qu’il lui fallait concevoir un livre léger, lumineux, un livre sur des enfants pour des enfants. Un livre pour les adultes aussi, mais pas seulement pour des professionnels, double lecture qu’Iwona a tracé sur les pages, pages de mémoire. Le premier éditeur à l’avoir contactée à propos de ce projet était allemand. Iwona n’a pu s’empêcher d’y voir un signe, ce signe  » positif  » pour ce projet  » positif « .

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Vous dire la beauté, la puissance, la finesse toute en simplicité, la densité, la richesse de cet album… Par où commencer, comment finir ? Cet album est réellement un don. Iwona y a tout mis, tout son talent au service d’un témoignage d’amour. Et elle a tout dit.

Je cherche les mots à mettre sur ses pages, je suis littéralement impressionnée, bouleversée, fascinée. Montreuil cette année, c’est cet album là. Une chronique lente et éprouvante, comme ce projet d’Iwona, parce que je cherche à raconter objectivement. Il a un ton, un style cet album, il peut ne pas plaire, ne pas intéresser.

Je vous prie d’être patient. Rien que l’aspect technique de l’illustration va prendre un moment. Je vous prie de prendre le temps de ce moment.

Le récit d’abord. Cet album est un cahier, le journal d’une enfant accueillie à l’orphelinat.

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Page après page, elle présente quelques uns de ses camarades que l’on aperçoit sur une photographie en ouvrant le livre. C’est leur histoire et leurs histoires, à travers eux les journées à l’orphelinat, les éducateurs, les activités, des anecdotes touchantes qui se lisent en sourires, des mots d’enfance sur ce Chez nous et la présence de Notre Docteur. Janusz Korczak n’est jamais nommé. Il est Notre Docteur comme l’appelaient les enfants. Puis Blumka le présente. La double page est frappante. Le médecin est mis en scène vêtu d’une casquette et d’une blouse bleue étendant du petit linge. Sur la sobriété de cette illustration, la présence, la réalité concrète de son engagement au quotidien auprès des enfants. Blumka énonce ensuite les enseignements de Janusz Korczak, leurs pratiques au quotidien. Et c’est dit en peu de mots, simples et directs.

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» Notre Docteur dit que chaque enfant a le droit d’avoir ses secrets et ses rêves.

Il dit aussi qu’on doit dire la vérité aux enfants. « 

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«  Notre Docteur dit qu’un enfant devrait manger autant qu’il le souhaite. Pas moins, mais pas davantage non plus. Chaque samedi, il nous pèse et nous mesure. Ensuite, il inscrit ces chiffres dans son cahier, le visage souriant ou inquiet. « 

Iwona a effectué de nombreuses recherches pour ce récit, plusieurs mois à consulter des livres en bibliothèque parce qu’ils ne sont plus édités, à consulter des archives. Toujours dans l’esprit de rendre vie aux enfants, à un homme, pas à un théoricien.

 » Notre Docteur nous permet de chahuter et de faire les fous. Il dit qu’interdire cela à un enfant, c’est comme interdire à un cœur de battre. « 

L’illustration est réalisée à partir de collages, collages avec des papiers d’époque. Encore quelques mois de recherches pour (re)constituer cette  » palette  » de motifs et de teintes passés. On y  reconnait les lignes des cahiers d’école, il y a aussi les papiers qui recouvraient l’intérieur de valises cartonnées, de boites, des papiers de reliure, livres… Les fonds colorés des pages sont ceux des papiers. Puis, sur les découpages, il y a le dessin au crayon noir ou à la plume, colorié aux crayons de couleur. Il n’ y a eu aucun travail sur ordinateur, aucun ajout. Iwona tenait absolument à ce que son album soit un témoignage d’époque. Pour préparer la maquette éditoriale, les originaux ont été scannés.

La composition de chaque image, pourtant sobre, aérée, est chargée de symboles en double lecture. Double double lecture. Je confirme qu’on peut lire cet album trois fois de suite avant de tout voir-percevoir-recevoir. Chaque double page présente un encadré en haut avec une seconde scène illustrant elle-même la première. Et dans les détails de ces compositions sur l’histoire, l’Histoire, des symboles du judaïsme, des violences antisémites. Je ne peux-veux pas proposer plus de visuels des pages intérieures, par respect pour ce travail justement, mais imaginez… imaginez une vitre brisée dans un coin, et le bris dessine l’Étoile de David. L’enfant voit des étoiles, le premier; seul l’enfant s’amuse que les bris dessinent; l’adulte voit une nuit de cristal… Imaginez un livre près d’un chandelier, l’enfant lit la chaleur de la soirée, l’adulte lit les mots de la prière et voit la Ménorah… Imaginez une scène d’hygiène quotidienne, l’éducatrice distribuant la cuillère de sirop et, dans le cadre, un visage d’enfant sous une douche… l’encre a coulé, comme une larme, de ce cadre là et tache la page.

L’étoile, que Janusz Korczak a toujours refusé de porter, parsème les pages, sous les formes délicates des flocons de neige, de graines éparpillées, d’enveloppes à bons points ouvertes. Il y a aussi des oiseaux, des arbres, des fleurs dans ces images. De fragiles petites fleurs bleues. Des bleuets qu’Iwona a cueillis puis mis à sécher avant de les coller. Et le porte plume posé sur la dernière page, de l’album, du cahier, comme pointant le dessin d’un wagon.

Le bleuet, c’est ce que dessine Iwona en dédicace. Le bleuet, en polonais, il s’appelle MIEZAPOMINAJKA, ce qui se traduit par NE M’OUBLIE PAS.

Et pourtant, malgré toutes ces lectures, aucune complexité, quelle épure, quelle pureté. C’est toute l’élégance et la beauté de cet album. Iwona a offert un livre d’enfance aux enfants, un livre de mémoire aux adultes, un livre de transmission pour tous.

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- Un immense merci à Iwona Chmielewska pour l’entretien qu’elle m’a accordé, pour cette merveilleuse rencontre, ainsi qu’à Jaroslava Bitu-Perunkova, la traductrice qui l’a accompagnée ce jour là et qui a si bien permis cet échange -

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