Rencontre avec Michaël Morpurgo

A l’occasion de la sortie sur les écrans français le 22 février de l’adaptation cinématographique de son premier roman ( 1982 ) Cheval le guerre, Michael Morpurgo séjourne en France.

Morpurgo

Samedi dernier, il rencontrait son jeune lectorat dans la jolie Librairie des Enfants à Paris.

C’était l’heure du conte. Je vais essayer de transcrire les échanges de ce joyeux rendez-vous.

Michael Morpurgo est l’idéal de l’auteur jeunesse : un véritable talent de conteur, un homme souriant, accessible, attentif aux enfants, à la fois drôle, tendre et sérieux, sachant immédiatement établir avec eux une relation parfaitement naturelle. Aucun doute, cet écrivain là sait aussi leur parler – en français -, leur raconter des histoires de vives modulations de voix.

Les enfants étaient assis sur des coussins autour de lui. Se calant contre les étagères, il les a d’abord invités à se rapprocher; à s’installer confortablement –  » enlevons nos manteaux, il ne pleut pas dans la librairie  » -, puis il a donné les consignes :  » Parlez-moi en français et doucement, parce que je suis vieux et parce que je suis anglais. Et je suis un peu sourd. « . Hochements compréhensifs pénétrés de l’assistance…

Quelques questions mais la rencontre relevait plutôt de la discussion :

- Comment faites-vous pour que les lecteurs parviennent à ressentir les sentiments des personnages ?

Waou…elle est compliquée ta question ! Personne n’en a une plus simple ? Veut me demander si j’aime le foot ? D’accord… En anglais, je peux aussi te donner une réponse très compliquée, très longue… mais au bout d’un moment, tu crieras Shut up !!

Je vais essayer de répondre simplement : un écrivain doit être quelqu’un qui ressent des sentiments profonds. Il faut que le lecteur perçoive que ces sentiments sont réels. Ce qui compte, c’est l’empathie, avec la vie, avec le monde. Si on ne rencontre pas les gens, si on ne répond pas au monde, on ne peut pas toucher un lecteur parce que nous vivons dans le même monde. Il y a la documention et il y a les rencontres. Je fais des recherches mais c’est en rencontrant les soldats survivants des tranchées que j’ai vraiment découvert les souffrances des guerres. Evidemment, j’aurai mieux écrit si j’avais été soldat. Pour Cheval de guerre, j’ai rencontré un officier de cavalerie. Il était extrêmement lié à son cheval. C’était son meilleur ami, il lui parlait, lui confiait ses angoisses et ses espoirs. Il m’a dit  » Je sais très bien que ce cheval m’écoute. Peut-être qu’il ne me comprend pas, mais il m’écoute.  » Ce qu’il m’a raconté d’autre, je ne veux pas le dire devant vous, ce sont des cauchemars. J’ai écouté les histoires vraies de ces hommes. J’ai visité la France, parlé avec les gens dans les fermes, les histoires dans les villages. 

Ce qui est indispensable à un livre, c’est que le lecteur ait toujours envie de tourner la page. Vous verrez, des écrivains pour adultes ont oublié ça. Il faut que le lecteur sente que ce qui est écrit est véritablement important pour l’auteur. On veut lire parce qu’on s’intéresse aux gens de l’histoire, au gens en général.

Tous mes livres ont pour origine la réalité. Je n’ai pas d’imagination, je ne peux pas écrire du fantastique. Je n’aurais jamais pu écrire Harry Potter !  [ Se penchant en avant ] Il faut vous dire que j’étais dans une école absolument comme la sienne…[ se redressant d'un coup ] il y avait seulement les profs horribles, pas les sorciers !

Un garçon l’interroge justement sur les faits réels qui peuvent inspirer ses romans

C’est toujours par accident que je tombe sur un sujet, un fait qui me touche, m’interpelle ou me fâche. [ Saisissant un exemplaire de Soldat Peaceful ]. J’étais très en colère quand j’ai eu l’occasion de lire les procès de ces 300 soldats britanniques fusillés pour désertion. Ils ont été 700 soldats français fusillés. En Allemagne encore plus.

As-tu lu ce livre ? Tu ne l’as pas lu !!! [ l'enfant n'a pas le temps d'ouvrir la bouche ] Non, non, non, j’ai été prof, je connais toutes les excuses. Où sont les parents de ce garçon ? … Puis, il commence à raconter un peu l’histoire, à expliquer le contexte.

Puis sa façon de travailler : je découpe, je collecte tous les articles des journaux qui m’intéressent ou me surprennent. Et parfois, avec des rencontres ou d’autres faits, une histoire naît.

Je ne veux pas que les enfants soient tristes mais nous avons tous besoin de la vérité. On ne peut pas éviter la tristesse. C’est la façon de raconter qui compte. C’est important de parler des difficultés, ça developpe le lien entre nous et le monde, ça donne de la confiance. Nous ne sommes pas seuls. Et comme ça, en rencontrant les autres, on peut éviter les préjugés.

Une autre question sur le choix des titres, les noms des personnages : l’enfant lui présente son exemplaire en anglais du roman Butterfly Lion traduit en français par Le Lion Blanc.

Tu l’as lu en anglais ? … Ah, à l’école. Ce n’est pas de ta faute. Alors… nous sommes ici dans un pays démocratique, nous allons voter. Que veut dire Butterfly en anglais ? Papillon, oui. Donc, levez la main ceux qui préfèrent le titre Le Lion Papillon au titre Le Lion Blanc. Et oui… Mon éditrice, c’est la dame là.

Pour les noms, c’est compliqué. C’est très important les noms. Je réfléchis beaucoup et longtemps. Pour le roman Le Royaume de Kensuké, il m’a fallu une semaine de réflexion pour choisir le prénom du garçon. Et j’ai trouvé… Michael ! Pour le personnage du soldat japonais, ce fut encore plus compliqué. Dans mon village, dans le Devon, il n’y a pas de Japonais. Il y a surtout des moutons. Heureusement, j’ai été invité dans une classe et j’ai rencontré un garçon japonais. Je lui demandé comment il s’appelait : Kensuke. Alors, je lui ai demandé si je pouvais lui emprunter son nom. Il m’a répondu  » Et pourquoi ?  » . J’ai expliqué, pour l’un des personnages d’une histoire. Il a dit  » alors, d’accord « .

Question suivante : Pourquoi écrivez-vous le plus souvent sur la guerre et les animaux ?

Pour les animaux, c’est parce que je vis entouré d’animaux. Et, dans ma ferme, les enfants viennent. Depuis 30 ans maintenant, je vois toujours ce lien si facile entre eux.

Quant à la guerre… je suis né en 1943. Je ne connais pas la guerre, je ne peux pas m’en souvenir. Mais mes premiers souvenirs, c’est d’avoir joué dans Londres en ruine. J’ai joué dans ces maisons bombardées par les avions. Pendant quelques années, j’ai pensé que c’était fabuleux pour jouer, tout ce qu’on peut inventer dans des ruines. Et un jour, plus grand, j’ai réalisé ce que signifiaient ces ruines. Des maisons avec des familles. Et je me suis souvenu des yeux de ma mère qui pleurait devant le piano. Sur le piano, il y avait la photo d’un jeune homme. C’était mon oncle que je n’ai jamais connu, tué à 21 ans, pendant les bombardements. Un homme qui ne sera jamais père, jamais grand-père. La guerre s’arrête mais la tristesse, ça dure toujours.

Quand je vois à la télévision un bombardement, je suis en colère pour les victimes, mais je pense toujours à ma mère, je pense aux gens qui vont rester, parents ou enfants. En écrivant, j’essaie de les accompagner.

Quel lecteur étiez-vous enfant ?

J’ai eu beaucoup de problèmes avec la lecture enfant. Et j’étais mauvais élève. Pourtant ma mère m’a beaucoup lu de livres, j’ai adoré les contes, la poésie. Mais vers 5-6 ans, il y a eu l’école. L’école a tué pour moi la joie des histoires parce qu’il fallait toujours répondre à des questions, dire comment ça s’écrivait. Et il y avait des notes. Tout ça, ça m’angoissait. Et c’était de pire en pire. Alors, j’ai décidé que la lecture, c’était pour les gens intelligents. Moi, j’allais faire rugby. J’allais jouer pour l’Angleterre. Un professeur m’a libéré de cette angoisse. Et je suis devenu enseignant. J’ai toujours pensé que le plus important, c’était d’abord l’histoire, le plaisir des histoires. A la fin de mes leçons, je lisais une histoire aux enfants. Et puis, j’en ai inventées.

Je veux vraiment lutter pour que les enfants lisent, ne perdent pas la joie des histoires. Deux millions d’enfants quittent l’école en Angleterre sans savoir vraiment lire. C’est un drame contre lequel je veux essayer de me battre en transmettant mon enthousiasme.

L’un de mes livres préférés est un livre français, une histoire d’espoir :  » L’homme qui plantait des arbres  » de Jean Giono. Qui l’a lu ? Non ?? Et vous dites que vous êtes français ??

Avez-vous des rituels d’écriture ?

D’abord je rêve beaucoup. Pendant des semaines, des mois. Dans mon jardin, il y a une cabane aménagée pour moi. Je m’installe sur le lit et j’écris très vite, à la main. Je raconte sur le papier, avec toutes les fautes. A la fin, je donne ce manuscrit à ma femme. Elle est très forte avec les chevaux et les ordinateurs. Ensuite, je corrige ce tapuscrit. Nous faisons deux-trois fois comme ça.

Je l’ai interrogé sur le roman Loin de la ville en flammes, sur ce choix de l’Allemagne en 1945, de raconter un périple civil sur la terre des ennemis et vaincus.

Il y a d’abord eu une anecdote : j’ai tendance à dormir avec la radio. Vers trois heures du matin, j’entends cette histoire qu’à Belfast, pendant la guerre, ordre a été donné de fusiller les animaux du zoo en cas de bombardements parce que les cages peuvent être ouvertes, pour éviter qu’ils se sauvent dans la ville. Une femme, qui s’occupait d’éléphants, a refusé. Il y avait un éléphanteau qu’elle avait vu naître, qu’elle avait élevé.  » Je ne peux pas le tuer. Et je ne le laisserai pas tuer.  » Le directeur du zoo a répondu que dans ce cas, il faudrait s’en occuper 24H sur 24H. Ce qu’a fait cette femme, emmenant l’éléphant le soir dans son jardin.

J’ai entendu à trois heures du matin donc. A mon réveil, je n’étais pas sûr. J’en ai parlé à ma femme. [ se tournant vers les enfants, sur le ton de la confidence ] j’ai oublié de vous dire, ma femme et moi, nous habitons ensemble. C’est la dame en rouge, là. Je lui ai dit que j’avais fait un rêve extraordinaire et je le lui ai raconté. Elle m’a répondu que c’était incroyable, elle avait fait le même.

Alors, pour vérifier la véracité de cette histoire, j’ai invoqué le dieu Wikipedia. Et j’ai vu cette photo. Cette femme promenant un éléphant dans les rues.

J’ai choisi la ville allemande de Dresde car c’est une grande culpabilité britannique. L’armée a bombardé cette ville, tuant des milliers de gens. C’est important que les Britanniques pensent aux Allemands.

J’ai vérifié, il y avait bien à Dresde un zoo. Et le même ordre avait été donné. Les survivants racontent ces cris d’animaux qu’ils ont entendus.

Lorsque nous avons échangé quelques mots à la fin de cette rencontre, les enfants éparpillés, il est revenu sur ce livre  » Loin de la ville en flammes  » , sur son contexte allemand. Il m’a dit :  » Tu sais, la scène que je trouve la plus belle dans le film Cheval de guerre, c’est la rencontre avec l’Allemand. Tu verras. « 

Je ne peux pas transcrire toutes les anecdotes, toutes les plaisanteries.

Cette dernière phrase aux enfants :

 » Je suis heureux de vous entendre rire, mais souvenez-vous, l’important, c’est la vérité. « 

Je ne publie pas de photographies, les enfants étaient tellement proches de lui, mais je vous laisse imaginer comme elles sont belles. Il a été littéralement, physiquement, assailli lors de la séance de dédicaces qui a suivie. C’était adorable tous ces sourires et attitudes spontanées, de l’auteur comme des enfants :  » Michael, maman va faire une photooo … D’accord, tu souris bien ? OK maman … »

-  » Tout ce que je peux dire, c’est que c’était un [des] regard[s] plein de curiosité, de gentillesse et d’amour.  » – extrait de Loin de la ville en flammes -

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Le roman Cheval de guerre est adapté depuis plusieurs années en pièce de théâtre. Pour la première fois, elle sera présentée en France d’ici 18 mois.

Michael Morpurgo a signé plus d’une centaine de livres régulièrement récompensés de prix littéraires ( dont les prix Tam-Tam et Sorcières en France ). Depuis 1978, il vit à la campagne, dans le Devon. Avec son épouse, il s’investit pour aider les enfants des quartiers défavorisés. Par groupes, ils sont invités à séjourner à la ferme, y découvrent la nature et les animaux. Les Morpurgo sont aujourd’hui responsables de trois fermes de ce type vouées à l’accueil des enfants. Leur engagement pour l’enfance ( pour lequel ils ont été décorés de l’Ordre du British Empire par la reine ) est aussi celui pour la lecture et la littérature jeunesse. Michael Morpurgo est l’un des créateurs du Children’s Laureate,  » L’ambassadeur des enfants  » ( 1998 ). Il ne s’agit pas simplement d’une reconnaissance d’auteur mais surtout d’une fonction et d’une mission : pendant deux années, l’auteur lauréat ( Anne Fine, Anthony Browne, Jacqueline Wilson… ) se met au service de la promotion et de la diffusion du livre jeunesse dont il est le représentant. Pour 2011-2013, l’ambassadrice est Julia Donaldson ( auteure du Gruffalo -).

En savoir plus :

 - Biographie et bibliographie sur le site Gallimard Jeunesse ICI -

- Le site de Michael Morpurgo ICI -

- Le site Children’s Laureate ICI -

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Commentaires

  • Alys

    1 Alys Le 08/12/2017

    Enfiiin j'ai pris un peu de temps pour ce lire ce compte-rendu. Super intéressant! Ça devait être passionnant! Je dois vraiment lire d'autres bouquins de lui. Je crois qu'il en a écrit un avec un chat en couverture. J'espère le croiser à nouveau en occasion.
  • Marilyne

    2 Marilyne Le 08/12/2017

    @ Alys : merci de ta visite et de ton commentaire. Ce billet date, rapatrié d'un ancien blog ( d'où la disparition des commentaires ). J'attends donc tes prochaines lectures ... ( il y en a plusieurs avec un chat en couverture en traduction française ) ( je me permets quand même de te conseiller " enfant de la jungle " et " loin de la ville en flamme " :))

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