Perspective(s) - L.Binet

Perpective

- Grasset - Août 2023 -

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La situation exige discrétion, loyauté, sensibilité artistique eFlorence, 1557. Le peintre Pontormo est retrouvé assassiné au pied des fresques auxquelles il travaillait depuis onze ans. Un tableau a été maquillé. Un crime de lèse-majesté a été commis. Vasari, l’homme à tout faire du duc de Florence, est chargé de l’enquête. Pour l’assister à distance, il se tourne vers le vieux Michel-Ange exilé à Rome.
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Perspective(s) est un polar historique épistolaire. Du broyeur de couleurs à la reine de France en passant par les meilleurs peintres, sculpteurs et architectes, chacun des correspondants joue sa carte. Tout le monde est suspect.

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Du grand art.

Troisième lecture de parutions de cette rentrée littéraire, troisième lecture qui m’a enchantée.

Il faut dire que ce roman cochait toutes les cases de mon intérêt : De l’art, du récit épistolaire, de l’histoire de l’Italie, et le sieur Giorgio Vasari, peintre et architecte mais également écrivain, biographe, auteur des Vies des plus excellents peintres, sculpteurs et architectes, ouvrages incontournables lors d’études d’histoire de l’art. Ces Vies de peintres sont encore publiées ( en deux tomes ). Ces livres sont considérés comme référence et fondateur de l’histoire de l’art.

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Vasari autoritratto

- Autoportrait - G.Vasari - vers 1566 -

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J’ai dévoré ce roman ( avec, par mauvais esprit, un marque-page reproduisant un angelot potelé, magnifique petit rêveur de la Chapelle Sixtine du pinceau de Raphaël, au siècle précédent ) qui nous entraîne à Florence au XVIème siècle, en pleine période du Maniérisme en peinture, de l’embellissement constant des édifices de la ville ( palais et églises ), du pouvoir omniprésent de L’Eglise, sur l’art, sur les gouvernants, qui exerce son inquisition.

« Vous savez bien que ce ne sont pas tant les hommes qui changent leurs goûts que la politique qui change les hommes

Inquisition pour les mœurs, de pensées, inquisition pour les représentations artistiques. Le nu doit disparaître. Les personnages peints par Michel-Ange pour la Chapelle Sixtine vont être pudiquement voilés, on craint même leur destruction. Le divin maître Michel-Ange, personnage de ce roman, artiste amer ayant passé les quatre-vingt ans, toujours à Rome, sollicité par chacun.

176 lettres pour ce récit, datées de janvier 1557 à août 1558 dans lesquelles se mêlent et se croisent différentes intrigues, nous racontant une histoire de l’art et une histoire politique : Catherine de Médicis, reine de France, ne renonce pas au duché de Florence dont elle est l’héritière légitime, le duc Cosimo de Médicis ( qui doit son titre à l’assassinat commis par Lorenzaccio ) espère la couronne de Toscane que seul le Pape peut lui offrir; les complots, les guerres et les alliances entre les royautés et empires européens, avec, en filigrane, la chasse à la sédition protestante et l’héritage intégriste du moine Jérôme Savonarole.

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Jacopo pontormo cosme de medicis 1518

- Cosimo de Médicis par Jacopo da Pontormo - 1518 -

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A propos de l’assassinat du peintre Pontormo et de ses fresques « obscènes et offensantes » à la basilique San Lorenzo  ( sur le rabat du bandeau, des reproductions des dessins préparatoires - en couverture la toile Vénus et Cupido, une toile dont il va être également follement question ) :

« Dieu punit les méchants et récompense ses serviteurs en faisant d’eux les instruments de son châtiment. Ce n’est qu’en se purifiant de ses vices que Florence pourra échapper à la colère divine, sans quoi les prophéties du frère Jérôme Savonarole s’accompliront et les Français reviendront, ou les Luthériens déferleront d’Allemagne, ou les Impériaux mettront la ville à sac comme ils l’ont fait jadis à Rome, la peste reviendra, mille calamités nous frapperont et cette fois le frère Jérôme, paix à son âme, ne sera plus là pour nous sauver. J’ai vu en rêve une armée qui s’avançait dans la plaine et qui était conduite par un prince à tête de loup. On dit que Pontormo était protestant. S’il n’avait rencontré son créateur par la grâce d’une main proprement guidée par Dieu, la Sainte Inquisition l’aurait confondu et brûlé un jour ou l’autre. [...]. Voilà pourquoi rappeler à Dieu un peintre sodomite réformé, dont la punition dans cette vie ou dans l’autre était inévitable, ne peut être un crime.»

- Extrait de la lettre 7 - Soeur Catherine de Ricci à soeur Plautilla Nelli -

« Heureusement, il a plu à Dieu de rappeler à lui ce vieux fou, et sa mort providentielle, certes advenue dans des circonstances regrettables, ne lui a pas permis de mener à bien son entreprise impie, que le Duc a interrompue, sitôt après avoir vu ces fresques hérétiques. Ainsi, j’ai l’honneur d’informer Votre Sainteté qu’il n’y aura pas de deuxième Sixtine à Florence, ni aujourd’hui ni demain, ni jamais.»

- Extrait de la letre 22 - Eléonore de Tolède, duchesse de Florence, à Sa Sainteté, le pape Paul IV -

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Dans la préface, l’auteur espère que cette lecture « vous fera l’effet d’un long tableau, ou plutôt, pour dire juste, d’une fresque sur le mur d’une église italienne.» Une fresque, exactement, malgré le temps resserré, avec les nombreux personnages,  sans que le lecteur s’égare, d’autant qu’une liste des correspondants est consultable sur les premières pages.

Cette forme épistolaire m’a été un régal, rythmant ce récit au ton vif, la prose enlevée. Ses contraintes, quand celui qui écrit adapte son propos à son correspondant, soit par respect des règles, soit parce qu’il se doit d’écrire en implicite, sont savoureuses. Une forme d’ironie, le sens de la formule, en rebondissements et contre-temps.

Et ce dont nous parle ces correspondants, c’est de liberté de création, du statut de l’artiste, de sa corporation, face aux pouvoirs, à une morale puritaine, de la conception de l’art ( en théorie, en pratique ), et il nous dit beaucoup de la puissance de la peinture en contre-pouvoir. Sous la verve et la virtuosité narratives, ce sont ces réflexions ainsi que l’aspect roman choral qui justifient pleinement ce titre - Perspective(s).

« Brunelleschi découvrant les lois de la perspective, c’est Prométhée volant le feu à Dieu pour le donner aux hommes. Grâce à lui, nous avons pu, non pas seulement enluminer des murs comme jadis Giotto avec ses doigts d’or, mais reproduire le monde tel qu’il est, à l’identique.[...]. La perspective nous a donné la profondeur. Et la profondeur nous a ouvert les portes de l’infini.»

- Lettre 149 - Michel-Ange Buonarroti à Giorgio Vasari -

Quel hommage à l’art pictural.

Du scandaleux avec Agnolo Bronzino, digne élève de Jacopo da Pontormo :

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Bronzino venus cupidon et satyre 1553 55

- Vénus, Cupidon et Satyre - 1553-1555 -

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Le voyage littéraire dans la Florence des Médicis se poursuit puisque j’avais prévu de relire le Lorenzaccio de Musset, avec le plaisir ce prochain mardi, 19 septembre, d’une rencontre en librairie avec Laurent Binet.

Lecture partagée avec ClaudiaLucia - Le billet de Je lis, je blogue.

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Commentaires

  • nathalie

    1 nathalie Le 15/09/2023

    Oh mais vous vous êtes donné le mot pour me faire bisquer ! Je n'ai pas encore mis les pieds dans une librairie (mais demain normalement c'est bon !) et j'ai très envie de lire ce livre... que je lirai dans quelques années ! Ah la Renaissance florentine, on aurait bien aimé voir cela le temps d'une journée.
    marilire

    marilire Le 15/09/2023

    Ah, ah, belle balade en librairie à toi. J'espère que tu feras bonne pêche, même si certains titres devront attendre leur heure ( je connais bien ça :-)). Et oui, je t'aurais accompagner pour cette journée florentine !
  • Kathel

    2 Kathel Le 15/09/2023

    Les avis sont unanimes, et ce roman semble un incontournable d'une rentrée plutôt réussie !
    Je n'ai jamais lu Laurent Binet, mais je suis sûre de lire ce roman un jour...
    marilire

    marilire Le 15/09/2023

    Pour tout te dire, les thèmes m'intéressaient mais je n'imaginais pas l'apprécier autant. Un régal. D'accord avec toi pour cette rentrée, j'essaie d'être raisonnable mais comme je n'ai encore aucune déception... J'ai bon espoir en ma quatrième lecture :)
  • keisha

    3 keisha Le 15/09/2023

    Je viens de chez claudia lucia, pas tout à fait de ton avis sur le côté épistolaire. Une chose à faire : le lire, pour savoir! ^_^
    marilire

    marilire Le 15/09/2023

    Absolument ! C'est tout l'intérêt d'avis qui diffèrent sur certains points, ça attise la curiosité...
  • claudialucia Ma librairie

    4 claudialucia Ma librairie Le 15/09/2023

    Un plaisir de voyager dans le temps à Florence parmi tous ces artistes que j'aime tant, mais comme tu l'as lu dans mon blog la forme épistolaire (que j'aime beaucoup d'habitude) ne m'a pas paru réussie.
    Lorenzaccio ! Une pièce que j'ai beaucoup lue ! Je l'aurai bien relu avec toi mais je n'aurai pas le temps d'ici le 19. Surtout que je me suis engagée dans une lecture de Pot Bouille avec Miriam.
    marilire

    marilire Le 15/09/2023

    Lorenzaccio, ce sera une seconde lecture, presque une première puisque la première effective date tellement ! Le 19, c'est rendez-vous en librairie avec Laurent Binet. Il parlera sûrement de ce choix épistolaire.
  • Nathalie

    5 Nathalie Le 15/09/2023

    Pardon mais je vois les commentaires et : une LC Lorenzaccio est prévue ? C’est dans longtemps ? Je le relirai bien, moi aussi ! Si ce n’est pas trop tard…
    marilire

    marilire Le 15/09/2023

    Pas de LC de prévue, simplement Lorenzaccio est au programme de mes prochaines lectures. Si tu veux, nous pouvons convenir d'une date.
  • Nathalie

    6 Nathalie Le 15/09/2023

    Super ! On se laisse un mois, genre 26 octobre ? Il faut que je retrouve un exemplaire, le mien a dû s’évanouir je ne sais où l
    marilire

    marilire Le 16/09/2023

    Très bien le 26 octobre, c'est noté ( tout pareil, ma recherche de mon ancien exemplaire a été vaine, je m'en suis procurée un nouveau :))
  • Aifelle

    7 Aifelle Le 16/09/2023

    Tu n'as pas les réserves de ClaudiaLucia sur la forme ; je suis moins familière que vous avec cette époque et ce monde-là, mais pourquoi pas, un jour. Je n'ai jamais lu Laurent Binet, alors que j'aime beaucoup l'écouter (je vais bientôt à une rencontre avec lui).
    marilire

    marilire Le 16/09/2023

    Tous les correspondants sont présentés et les lettres permettent de comprendre le contexte. Et puis, cette lecture rend curieuse. Comme toi, je me réjouis d'une rencontre avec l'auteur la semaine prochaine.
  • Sandrine

    8 Sandrine Le 16/09/2023

    Très tentée aussi, tout ce que j'ai lu de Binet m'a plu (plusieurs fois HHhH), il faudrait juste que j'arrête de lire des avis sur ce livre parce que ça va me lasser...
    marilire

    marilire Le 16/09/2023

    Figures-toi que je n'ai jamais pris le temps de lire HHhH, qui m'attend pourtant. Je crois que maintenant, je ne vais plus tarder ( d'autant que la réflexion sur l'écriture parallèle au récit m'intéresse sérieusement ).
  • Anne

    9 Anne Le 16/09/2023

    Jamais lu Laurent Binet non plus. Ce titre fait envie. Je viens de m'offrir Veiller sur elle de Jean-Baptiste Andrea, aussi sur le thème de l'art et de nombreux avis positifs.
    marilire

    marilire Le 17/09/2023

    Je n'ai pas regardé ce titre, j'attends donc ton retour de lecture :)
  • A_girl_from_earth

    10 A_girl_from_earth Le 18/09/2023

    Je me suis jusqu'à présent tenue à l'écart de la rentrée littéraire, celle très au devant de la scène disons. Je préfère quand ça se décante un peu, on est déjà tant à lire.^^
    marilire

    marilire Le 18/09/2023

    C'est certain, c'est sans fin :-)
  • dasola

    11 dasola Le 19/09/2023

    Bonsoir Marilyne, je compte bien lire ce roman dans un contexte historique passionnant. Bonne soirée.
    marilire

    marilire Le 20/09/2023

    Bonsoir Dasola, ce roman emporte, ce sera un très bon moment de lecture.

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