Estampes

Expo estampes

.

Une splendide exposition est présentée à l'Hôtel de Caumont Centre d'art de Aix-en-Provence. Il s'agit de la collection de Georges Leskowicz, une des plus importantes collections d'estampes japonaises au monde; une collection de plus de 1800 estampes ( dont les Trente-Six vue du Mont Fuji d'Hokusai et Les soixante-neuf stations de la route Kisokaido d'Hiroshige ), admirée et reconnue au Japon.

En 2015, le collectionneur polonais a créé la Fondation qui porte son nom afin que le public puisse découvrir ces chefs-d'oeuvre. Le site de la fondation ICI  sur lequel il est possible de voir les estampes ( accompagné d'un commentaire qui contextualise ).

Dans cette exposition à Aix-en-Provence, avec plus de 150 estampes ukiyo-e ( images du monde flottant ), c'est la période Edo ( 1603-1868 ) qui nous est racontée par les grands maîtres de l'estampe : Hokusai, Hiroshige, Utamaro, mais également d'autres artistes tels Harunobu, Kunisada. Ce parcours de toute beauté nous emmène en thématiques dans le Japon du XVIIIème siècle au début du XIXème : les paysages, la vie quotidienne, les fêtes du Nouvel An, les " images d'oreiller " ( estampes érotiques ), les légendes, Yoshiwara ( le quartier des plaisirs ) avec les comédiens et les courtisanes. 

La technique de la gravure, originaire de Chine, est pratiquée depuis le VIIIème siècle au Japon. Dès le XVIIème, elle a un rôle d'illustration pour des ouvrages destinés au grand public. C'est vers la fin du XVIIème qu'elle va être reconnue comme un art à part entière, produite sur des feuilles indépendantes. Ainsi, les maîtres de l'estampe ukiyo-e deviennent les chroniqueurs de la société d'Edo. Gravées à l'encre noire, les estampes se parent de couleurs vers la fin du XVIIIeme siècle ( avec Suzuki Harunobu en 1775 ), sublimant l'esthétique entre contours à l'encre et aplats. A la fin du XVIIIème, l'estampe n'est plus seulement à destination des classes populaires, elle est appréciée et recherchée par les samouraïs et les lettrés. C'est le temps des grands maîtres.

Quelques dates pour vous situer : 

- Kitagawa Utamaro : 1753-1806. A partir de 1782, sa notoriété est telle qu'il signe ses oeuvres de son seul prénom Utamaro. Dessinateur de la nature et de l'éternel féminin, j'avoue qu'il a toutes mes faveurs.

Utamaro ete

Amusement d'un soir d'été dans le jardin - Triptyque - 1788-1790 -

Détail : 

Utamaro ete detail

.

- Katsushika Hokusai : 1760-1849. Soixante-dix de carrière, tous genres, il est reconnu comme le maître incontesté. La vague est considérée comme l'un de ses chef-d'oeuvre.

- Utagawa Hiroshige : 1797-1858. Des merveilles, ses estampes sont sensibles, poétiques, naturalistes.

Hiroshige foret

La forêt près du sanctuaire Masaki au bord de la Sumidagawa - 1857 -

.

Entre 1831 et 1834, sont publiés les Trente-six vue du mont Fuji de Hokusai et les Cinquante-trois stations du Tokaido de Hiroshige.

En 1854, c'est le début de l'ouverture du Japon ( forcée par une expédition militaire américaine ) à l'Occident. A partir de 1860, les artistes européens, dont les Impressionnistes français, découvrent les estampes ukiyo-e, les collectionnent, s'en inspirent, stimulant une révolution esthétique qu'un critique d'art ( Philippe Burty ) appelle le " japonisme ". L'un des premiers grands collectionneurs d'estampes est Edmond de Goncourt, qui consacre une monographie à Hokusai, publiée en 1896.

.

La finesse et la délicatesse du trait, des camaïeux de couleurs, la maîtrise graphique, ce souci du détail, le parfait état de conservation, ces estampes que nous avons pu admirer à l'Hôtel de Caumont sont sublimes. 

H hakone

- Hiroshige - Hakone ( 11ème vue ) - Série Cinquante-trois stations du Tokaido ( 1833-1834 )

.

Foule et theatre morita 5697

- Hiroshige - Foule devant le théâtre Morita - Triptyque - 1854 - Série Vues de la capitale de l'Est florissante -

.

Kitagawa utamaro travail d aiguille

- Utamaro - Travail d'aiguille ( feuille gauche d'un triptyque ) - 1794-1795 -

.

Moustiquaire pour bebe 5699

- Utamaro - Moustiquaire pour bébé - 1794-1795 -

.

Lors de cette exposition, nous avons découvert les surimono ( qui se traduit simplement par " chose imprimée " ) : ce sont des cartes de voeux, commandées par les lettrés aux artistes, pour le Nouvel An; des estampes, souvent de format carré, mêlant poème et dessins. Reproduites en peu d'exemplaire, hors circuit commercial, sur papier de qualité supérieure, ajoutant la technique du gaufrage pour l'effet relief et l'utilisation de pigments métalliques ( cuivre, argent... ) ainsi que de la poudre de mica pour l'éclat et les reflets, ces estampes relèvent du précieux : 

.

Deux dames de la cour 5698

- Gakutei - Deux dames de la cour admirant les cerisiers - 1820 -

( double format carré, gaufrage sur les cerisiers )

.

L acteur ichikawa 5700

- Utagawa Kunisada - L'acteur Ichikawa Danjuro VII dans le rôle de  Soga no Goro et Omi no Okane - 1818-1830

.

La courtisane de kyoto 5702

- Totoya Hokkei - La courtisane Töen de Kyoto - 1827 -

.

Le plus de cette exposition, c'est une salle qui explique la technique de la gravure. L'estampe en est le résultat. Nous pouvons y voir le matériel d'atelier ( planches en bois, les pigments, les outils ), les étapes en images de la production : le dessin, puis ce dessin avec une première couleur, puis une seconde, puis.... jusqu'à l'estampe terminée.

Dans une vitrine, nous pouvons voir le dessin d'une estampe réalisé avec des annotations de l'artiste à l'intention du graveur, notamment à propos des couleurs, en regard de cette estampe :

Daikokuten dieu du bonheur 5701

- Utamaro - Daikoken, le dieu du bonheur, se dessinant lui-même pour le Nouvel An de l'année du Rat - ( diptyque ) - 1804 -

Nous assistons également à une démonstration en vidéo par un maître japonais. Fabuleux, parce que ce maître reproduit une estampe d'Hiroshige sur les bois gravés d'origine. La technique est impressionnante : A partir du dessin, le bois est gravé. Première application de la feuille, le dessin apparaît à l'encre noire. La couleur, ensuite, une par une, est insérée sur le bois aux endroits où elle doit apparaître. La feuille est appliquée sur la planche, le graveur " passe " avec une " éponge ", ou plutôt comme un tampon, sur le dos de la feuille pour imprimer. Il laisse sécher et recommence avec la couleur suivante, dosant chaque teinte à chaque passage pour les dégradés. Je vous laisse imaginer la dextérité et l'expérience nécessaires pour ajuster à chaque passage la feuille ( souvent fragiles, de grande qualité ) sur le bois gravé, et pour doser ces couleurs. Dans la salle et sur la vidéo, nous avons vu naître cette magnifique estampe, passage après passage, le dessin, les variations de bleu, l'ajout du rouge ( cartouche avec le nom de la série ), puis du jaune ( titre de l'estampe ) :

.

Estampe

- Hiroshige - Tourbillon de Naruto de la province d'Awa - ( 1853 ) -

.

Cette démonstration répond à la question de l'original en gravure; question qui se pose puisque il s'agit d'une méthode de reproduction, il n'y a pas de notion " d'oeuvre unique ". Alors, d'abord, il faut tenir compte du bois gravé : celui-ci est-il un original, réalisé avec l'artiste qui a dessiné ? Ces productions, sur bois gravé d'origine, peuvent être signés par le graveur et par l'artiste qui valide ainsi la réalisation. Il est évident qu'aucune estampe ne sera parfaitement identique si elle a été réalisée manuellement. Donc chacune est un original. Ainsi, dans la valeur de l'estampe ( au-delà la valeur historique ), ce sera sa valeur " d'origine " à prendre en compte ( bois gravé d'origine, production par un maître, estampe signée ). 

L'exposition bénéficie d'une scénographie ( réalisée par Hubert Le Gall ) aussi réussie qu'agréable. Les salles aérées se prêtent à l'observation des estampes, souvent de petits formats. Des objets et costumes d'époque en vitrine, des photographies, complètent les thématiques de chacune des salles, nous immergeant dans la culture japonaise.

Comediens

- Reproduction de photographie Tamamura Kozaburo - Acteurs de Kabuti - ( 2ème moitié XIXème - Musée Guimet )

.

Nous avons quittés l'Hôtel de Caumont ( site ICI ) absolument émerveillés ( et complètement chargés :)).

- Un bel article ICI avec de nombreux visuels -

*

Commentaires

  • Autist Reading

    1 Autist Reading Le 05/03/2020

    Il y a quelques années, j'avais été invité à accompagner un ami à l'expo Kuniyoshi au Petit Palais et contre toute attente, j'ai été fasciné.
    Je comprends tellement l'engouement des artistes du XIXe pour les estampes...

    (et quand tu dis que vous êtes repartis chargés, tu veux dire que tu as fait l’acquisition de quelques pièces ? ;-) )
    marilire

    marilire Le 05/03/2020

    C'est juste, il y a une part de fascination devant ces estampes. Quel qu'en soit le sujet, je suis saisie par les détails, les expressions. Il y a un moment particulier et des émotions, qui s'en dégagent . Je pense à Van Gogh plus qu'aux impressionnistes quand je pense japonisme. Je t'envie cette expo, j'ai découvert l'univers de Kuniyoshi lors de l'expo Enfer et fantômes d'Asie, au musée du quai Branly, j'ai adoré ! ( évidemment, tu connais la formule : " viens voir ma collection d'estampes japonaises " ;))
  • Goran

    2 Goran Le 05/03/2020

    Il y a quelques années, j'étais allé voir l'exposition sur Hokusai au grand palais et j'avais adoré.
    marilire

    marilire Le 05/03/2020

    Oh oui, je me souviens de cette exposition. Immense et fournie, je me rappelle en être sortie épuisée, en clignant des yeux, mais impressionnée.
  • Tania

    3 Tania Le 05/03/2020

    Magnifique ! L'expo sera terminée avant que nous descendions dans le Midi, mais heureusement nous avons eu de très belles expositions d'estampes à Bruxelles ces dernières années.
    marilire

    marilire Le 06/03/2020

    Connais tu le musée Granet à Aix en Provence ? Nous avons profité de notre séjour pour le découvrir, nous avons été très intéressés par l'espace Granet XXème, installé dans une chapelle. Pour cette expo, j'ai vraiment beaucoup apprécié l'espace accordé à la technique, et la démonstration. Le travail du graveur est essentiel, et c'est un peu magique de voir se réaliser l'estampe.
  • niki

    4 niki Le 05/03/2020

    cela me rappelle la belle exposition d'estampes que nous avons eue à bruxelles il y a quelques années - du vrai bonheur
    marilire

    marilire Le 06/03/2020

    Ah, c'est toujours un moment de bonheur une exposition d'estampes. Il ne m'était pas concevable de manquer celle-ci, première fois que des estampes de cette collection sont exposées en France. Et quelle collection ! Le site est très bien fait. ( et puis une escapade à Aix en Provence, ça ne se refuse pas :))
  • Mo

    5 Mo Le 06/03/2020

    Je n'ai jamais vu d'exposition d'estampes. Ton article me donne très envie de regarder s'il y en a dans les environs. Je pense que oui vu la richesse de l'offre culturelle par chez moi ! En attendant, je me suis régalée avec les photos partagées ici !!
    marilire

    marilire Le 06/03/2020

    Oh, merci. Et ravie de t'avoir suscité l'envie de voir de plus près. J'ai passé un temps fou à choisir les estampes pour cet article, je voulais montrer la variété. J'espère que tu auras cette belle occasion, en vrai, c'est mieux !
  • Aifelle

    6 Aifelle Le 06/03/2020

    Ça doit être superbe en effet. Des estampes, j'ai pu en voir un certain nombre à Giverny, puisque Monet en était très amateur. Depuis quelques années ce ne sont plus les originaux qui sont là, mais des fac-similés. Tu avais vu à la Pinacothèque l'expo Van Gogh - Rêve de Japon ? J'en garde un bon souvenir. Dommage qu'Aix soit trop loin pour moi.
    marilire

    marilire Le 06/03/2020

    Et non, je n'avais pas pu voir cette expo et je le regrette. Et il faudrait vraiment qu'un jour, je nous organise une escapade à Giverny :)
  • Dominique

    7 Dominique Le 06/03/2020

    j'aime la peinture japonaise et particulièrement la peinture de paysages mais j'ai des livres des oeuvres de ces trois peintres dans ma bibli et quand je les ouvre j'y passe un temps très long
    les petits chanceux qui peuvent aller à Aix en Provence vont s'en donner à coeur joie
    marilire

    marilire Le 06/03/2020

    Je me perds aussi à plaisir dans ces livres. Au Centre d'art, nous avons pu compléter la collection. Nous sommes difficile quant à la qualité des reproductions, c'est pourquoi nous n'avons pas pris le catalogue d'expo ( et heureusement, nous nous sommes rendus compte après que celui édité pour les librairie, en cartonné dur, était bien mieux imprimé ). J'ai peu vu de publications consacrées à Utamaro. En auras-tu une à me conseiller ?
  • Alys

    8 Alys Le 08/03/2020

    Superbe!
    marilire

    marilire Le 10/03/2020

    Contente de partager avec vous :)
  • krol

    9 krol Le 08/03/2020

    Ca donne envie de découvrir toutes ces belles estampes, dans une exposition... Merci pour ce bel article.
    marilire

    marilire Le 10/03/2020

    J'espère que tu en auras l'occasion.
  • Lili

    10 Lili Le 08/03/2020

    Mais quel délice pour les yeux ! Merci pour le voyage virtuel.
    marilire

    marilire Le 10/03/2020

    Ah, ravie que tu aies apprécié :)
  • Tania

    11 Tania Le 10/03/2020

    Oui, j'ai visité le musée Granet et la collection Planque, je me rends compte que je n'ai pas repris cette visite à Aix dans l'index des musées & expos, je vais le faire tout de suite.
    marilire

    marilire Le 11/03/2020

    Je viens de lire ton article, plaisir de retrouver la lumière de Aix. Ma première visite, pour l'expo Turner que tu mentionnes, ne fut pas concluante. C'était l'été, je ne suis pas sentie à l'aise dans cette ville ( contrairement a Arles où je retourne maintenant chaque année ), bien que je garde un magnifique souvenir de l'hôtel de Caumont, du rafraîchissement dans le jardin. Cette visite en janvier pour les estampes japonaises m'a réconciliée avec la ville.
  • maggie

    12 maggie Le 18/03/2020

    Je m'y intéresse depuis peu et je trouve ça très beau ! Il faudrait que je me trouve un livre dessus...

Ajouter un commentaire