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Comment les sciences et les arts se mêlent, comment les découvertes scientifiques influent sur notre vision du monde, et donc sur la représentation de ce monde par les artistes, c'est le propos de la passionnante et dense exposition présentée au musée d'Orsay intitulée Les Origines du monde - L'invention de la nature au XIX ème siècle.
Je désespérais de visiter cette exposition si prometteuse ( collectionnant les articles et hors-série à son propos pour patienter ), elle est heureusement reportée jusqu'au 18 juillet 2021 ( présentation sur le site du musée ICI ). Et cette exposition tient ses promesses. J'aime beaucoup le titre de l'article consacré de Libé ( Elizabeth Franck-Dumas - 31/05/21 ) qui me parait si pertinent : " Et la culture créa la nature ".
Cette exposition - conçue en partenariat avec le Muséum d'Histoire naturelle dont les collections recèlent des trésors - met en lumière les grandes découvertes, les explorations de notre planète, les illustrant de moult documents magnifiques ( puisque, souvent, les scientifiques étaient de talentueux dessinateurs et peintres aquarellistes ) ainsi que d'oeuvres d'art s'inspirant indéniablement de ces nouvelles informations et images.
Le parcours est à la fois chronologique et thématique. Les panneaux explicatifs sont clairs pour présenter les scientifiques, les enjeux de leurs découvertes.
Cette exposition, c'est un grand voyage. Cette influence directe des sciences sur la création artitistique génère au XIX ème siècle des questions fondamentales quant aux origines des sociétés humaines et de l'homme, la relation à l'animal, à l'incroyable beauté et diversité de la nature.
Au commencement était la Bible, la Génèse. Les artistes représentent déjà les espèces animales avec des peintures du Paradis terrestre, de l'arche de Noé. L'exposition présente des manuscrits enluminés du XVème siècle, des livres illustrés du XVIème, des gravures, des toiles.
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- Jan Brueghel le jeune - Le Paradis terrestre avec la création d'Eve - 1630 -
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- Filippo Palizzi - Après le déluge - 1864 -
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Les animaux " exotiques " apparaissent en Europe. C'est à la Renaissance que l'humanité passe de la " curiosité à la studiosité ", après les premiers ouvrages décrivant, détaillant précisément les animaux, les plantes, des minéraux, et tente de les classifier. Ce sont les premiers traités des savants et des humanistes, et les cabinets de curiosité. Les voyages au long cours, la découverte de " nouveaux mondes ", au XVIème et XVIIème siècle, permettent de collecter et de collectionner, d'acclimater dans les jardins et dans des ménageries des domaines princiers. Des engouements deviennent des modes, inspirent les artistes, avec notamment le rhinocéros et la girafe, puis, plus tard, le paon, la plume de paon ( jusquà l'éphémère Art Nouveau qui célèbre tant la Nature, ses formes, ses métamorphoses ).
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- Albrecht Dürer - gravure sur bois - 1515 -
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- Alexandre-Isidore Leroy de Barde - Aquarelle -
- Réunion d'animaux étrangers placés dans différentes caisses -
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- Anne Vallayer-Coster ( 1744-1818, l'une des rares femmes reçue à l'Académie Royale de peinture ) -
- Nature morte avec panache de mer, coquillages et lithophytes -
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Nommer les espèces, tel Adam dans la Génèse. C'est l'époque des inventaires, des nomenclatures, des classifications ( genre, espèce, variété ), des Histoires Naturelles dont celle, en 36 volumes, du comte de Buffon au XVIIIème siècle, ou les articles de l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert.
En ce XVIIIème siècle, des scientifiques embarquent avec les grands navigateurs, Bougainville, Cook, Lapeyrouse. Ils ramènent des échantillons ainsi que des illustrations de leurs observations : Planches naturalistes, aquarelles et sculptures animalières et botaniques, herbiers, précision et beauté, la science est art en dévoilant la nature. Ces documents sont partagés, publiés. La diversité croise l'immensité. La vision ne cesse de s'étendre par les échanges commerciaux maritimes, par l'expansion coloniale. Les classements ne suffisent plus.
L'exposition s'attache à plusieurs expéditions dont celle d'Humbolt en Amérique du Sud ( 1799 - 1801 ) ainsi que celle de Charles Darwin à bord du Beagle ( 1832-1835 ). Des carnets, des dessins, issus de ces expéditions sont présentés.
Ce sont également les débuts de l'océanographie, illustrée dans ce parcours par les fascinantes lithographies du biologiste allemand Ernst Haeckel ( 1834 - 1919 ), au véritable talent de peintre naturaliste. Gustave Moreau, pour sa Galatée, consulte l'ouvrage d'un naturaliste anglais ( Philip Henry Gosse, promoteur de " l'aquarium mania " de l'époque victorienne ) pour l'arrière plan marin de son tableau. Le XIXème siècle verra la construction des grands aquariums publics ( 1861 pour celui au Jardin d'acclimatation à Paris ).
Evidemment, les premières illustrations des romans de Jules Vernes trouvent pleinement leur place dans cette exposition tant ses récits ( et leur mise en image ) sont inspirés de toutes ces découvertes scientifiques. Pour Vingt mille lieux sous les mers, il s'inspirera des deux aquariums géants installés sur le Champ de Mars ( avec pas moins de huit cents animaux marins ) lors de l'Exposition Universelle de Paris en 1867.
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- Ernst Haeckel -
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- Gustave Moreau - Galatée - 1880 -
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La révolution darwinienne ( concernant les violents débats que suscite sa théorie, quelques dessins de caricatures du naturaliste sont présentés ) pose la question des origines et des évolutions ( avec l'obsession du " chainon manquant " ), attisée par les avancées scientifiques quant à " l'Antiquité de la terre ", le développement de la géologie- on étudie les glaciers, les volcans, les causes des catastrophes naturelles -, de la paléonthologie, de l'anthropologie, de la zoologie. Le mot Biologie est apparu en 1802, le terme regroupe toutes ces sciences naturelles. Nous devons le mot Ecologie à Ernst Haeckel, qui fut également un immense vulgarisateur.
La découverte de fossiles, d'espèces disparues ( par Cuvier ), d'ossements humain préhistoriques et de dinosaures prouve un monde en évolution, un monde mouvant que le temps façonne depuis très longtemps. Le cinéma et la littérature populaire s'emparent de la préhistoire dès la fin du XIXème. Des extraits de films du début du XXème nous démontrent que la dino-mania n'est pas d'hier... On pense au Monde Perdu de Arthur Conan Doyle ( 1912 ). En 1914 était diffusé un animé ( de Windsor McCay ) avec pour personnage un " gentil dinosaure " prénommé Gertie.
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- Caricature de Charles Darwin et d'Emile Littré ( sur les cercles sont inscrits les mots " crédulité " - " erreurs " ) -
- Le lexicographe Emile Littré a défini l'homme comme un animal raisonnable -
- Publiée dans La Lune rousse ( août 1878 ) -
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C'est une quête des origines, de l'origine de la vie, que traduisent certaines oeuvres d'art, comme la " scandaleuse " toile de Gustave Courbet L'origine du monde, réfutant la réponse biblique en inscrivant l'humanité dans son animalité, dans la " reproduction de l'espèce "; toile exposée en regard de La Coquille de Odilon Redon ( qui serait une représentation de La naissance de Vénus, qu'il peindra à nouveau la même année de façon plus explicite ) et de, un peu plus loin, la Madone de Edvard Munch, une " maternité athée ", une femme-mère, entourée de spermatozoïdes, avec, en bas de la toile, un enfant en gestation. Pour la première fois un foetus est représenté en peinture, témoignant de ce questionnement fondamental sur les origines de la vie.
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- Odilon Redon - Pastel - 1912 -
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- Edvard Munch - Lithographie - 1895-1902 -
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J'aime particulièrement l'oeuvre d'Odilon Redon ( de Courbet aussi, mais plutôt ses marines ), ce fut un bonheur que ses dessins au fusain, ses lithographies, ses toiles. Je suis ravie de clore cet article avec lui.
Les Origines, paru en 1883, est un recueil de lithographies de la période " des Noirs ", une suite retraçant quelques étapes de l'évolution en huit planches métaphoriques, de l'obscurité primitive à la faible apparition de la lumière qui effrait l'humain. Le peintre symboliste présente sur chaque planche une " espèce disparue ", hybride. Odilon Redon demeure un artiste de la couleur à laquelle il reviendra, nous invitant à nous émerveiller en sa forêt d'or.
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- Les Origines -
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- Oannes - 1900-1910 -
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- Arbre sur fond jaune - 1906 - Décoration du château de Domecy )
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" Le monde est si plein de tant de choses que nous devrions tous être heureux comme des rois. "
- R.L.Stevenson -
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Commentaires
1 Mina Le 04/06/2021
marilire Le 04/06/2021
2 niki Le 04/06/2021
marilire Le 05/06/2021
3 Bono Chamrousse Le 04/06/2021
marilire Le 05/06/2021
4 Dominique Le 05/06/2021
marilire Le 05/06/2021
5 PatiVore Le 05/06/2021
marilire Le 06/06/2021
6 Alys Le 05/06/2021
marilire Le 06/06/2021
7 maggie Le 06/06/2021
8 Lilly Le 08/06/2021
9 krol Le 16/06/2021
10 Tania Le 22/06/2021
11 Cléanthe Le 01/07/2021