Anatomie de la stupeur - Ann Patchett

Ann patchett

- Editions Jacqueline Chambon 2014 - Babel Actes Sud 2019 -

- Traduit de l'anglais ( USA ) par Gaëlle Rey -

Chercheuse au sein d'une entreprise pharmaceutique du Minnesota, Marina Singh est envoyée au Brésil sur les traces de son ancien mentor, le Dr Annick Swenson. Celle-ci semble avoir totalement disparu dans la jungle amazonienne alors qu'elle travaillait sur un nouveau médicament potentiellement révolutionnaire : une pilule qui rallongerait la fertilité de plusieurs années. Personne ne sait où se trouve le Dr Swenson, et le collègue de laboratoire de Marina, délégué sur place avant elle, est mort dans des circonstances mystérieuses avant d'avoir mené sa mission à son terme. Rongée par l'angoisse, Marina embarque pour cette odyssée vers une jungle infestée d'insectes, dans l'espoir de trouver son ancien professeur et des réponses aux questions troublantes qui entourent la disparition de son ami, l'avenir de son entreprise, ainsi que son propre passé.

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J'ai poursuivi mon périple amazonien avec ce roman américain qui m'a quelque peu frustrée. 

J'avais été accrochée par le titre ( version originale State of Wonder ) et surtout par le thème scientifique et les questions qu'ils posent. Ce sujet n'est qu'effleuré. Ce roman est celui de l'héroïne, Marina, la quarantaine, docteur, pharmacologue pour un groupe pharmaceutique puissant. Elle part en Amazonie, missionnée, suite à l'annonce du décès de son collègue, précédemment envoyé sur place afin d'en savoir plus sur les recherches en cours.

Le premier tiers du livre ne se déroule pas en Amazonie, il est très long. Il s'attarde sur Marina, son passé, c'est à dire ses failles familiales, sa relation avec son père venu d'Inde et reparti dans son pays alors qu'elle était enfant, ses cauchemars récurrents de pertes, sa relation amoureuse avec son supérieur, ses études, son orientation en pharmacologie après la gynécologie et donc ses liens avec la docteur qui ne répond pas, celle qui avance ses recherches en Amazonie sans en référer à la compagnie, celle qui fut son professeur.

Marina part enfin pour le Brésil, elle demeure à Manaus, porte de l'Amazonie. Elle est bloquée là parce qu'elle ne sait pas où rejoindre le docteur. Ce sont ces jours d'errance. L'étrangeté de la vie dans cette ville, sous la chaleur poisseuse, est bien rendue, cette atmosphère de bout du monde sans repère, et bien-sûr quelques pages sont consacrées à l'improbable opéra de la ville, une soirée toute aussi improbable en grande tenue.

Soudain, elle oublia tous les insectes de Manaus. Elle oublia les têtes de poulet éparpillées sur les étals du marché, les chiens affamés qui attendaient désespérement que l'une d'elles tombe par terre. Elle oublia les enfants qui chassaient à l'aide d'éventails les mouches des bourriches pleines de poissons, même si elle savait qu'il ne fallait pas oublier les enfants. Mais elle avait tellement envie de les oublier. Elle réussit à faire abstraction des odeurs, de la circulation, des mares de sang visqueuses. La musique les avait enfouies, le monde était resté dehors, aux portes de l'édifice. Tout à coup, il devint évident que la construction d'un opéra était un acte de survie pour l'espèce humaine. "

Enfin, Marina se rend sur le camp de recherches amazonien, dans la tribu des Lakashi et rencontre la population et l'équipe médicale. La population, dans ce roman, reste un groupe avec lequel il y a bien peu de communication, pas seulement à cause la barrière de la langue. Ce n'est pas ce qui est developpé dans ce récit qui reste centré sur Marina, ses émotions, son inconfort et son malaise, tout ce qui la perturbe. C'est son inadaptation à ces confrontations ( l'environnement, ses enjeux, et son professeur ) ainsi que ses retours à ses failles, permanents, qui font que nous en apprenons bien peu. C'est " l'enfer vert ", comme elle, nous avançons à vue et nous préoccupons beaucoup de la disparition de sa valise.

Finalement, il sera tout de même question, peu à peu, de l'intérêt des recherches en cours, de la fertilité sans limite d'âge, de la pression exercée par le groupe pharmaceutique, comment il est manipulé par les chercheurs, de l'éthique aussi : le droit que s'accorde l'équipe " d'utiliser " les Lakashis pour les tests en effectuant des prélèvements, de diffuser des informations sur leur environnement au risque de susciter des convoitises économiques, d'interférer dans leur mode de vie, autant en fournissant des produits de consommation inconnus qu'en intervenant médicalement pour des blessures ou des mesures d'hygiène et de protection. La question des limites.

La lecture est fluide, prenante dès l'arrivée en Amazonie. Les descriptions du fleuve - " cette épaisse soupe brunâtre " -, de la forêt, moite, fourmillante, celles de la communauté, sont plutôt réussies bien que l'ensemble manque de style. Une scène épique avec un anaconda ne nous est pas épargnée, entre les papillons, les champignons, les fièvres et la malaria. Dans le dernier tiers, le roman gagne en densité, lorsque ces aspects scientifiques et éthiques se révèlent. Dommage que la fin, réduite à quelques pages, soit invraisemblablement expéditive et expédiée. Sans réponse, sans réelle réflexion.

Trop romanesque à mon goût, je crains qu'il ne me reste rien de cette lecture.

En quelques minutes seulement, la rivière sans nom se rétrécit, un rideau de verdure tomba derrière eux et le rio Negro disparut. Marina s'était imaginée que la principale frontière à franchir avait été celle qui séparait les docks du bateau, de la terre ferme de l'eau. Elle s'était imaginée que la civilisation s'arrêtait à partir du moment où l'on se trouvait sur l'eau. Mais tandis qu'ils se faufilaient entre deux grosses masses de végétation vivace, elle comprit qu'elle était entrée dans un tout autre monde, qu'elle allait voir la civilisation s'évanouir encore et encore jusqu'à ce qu'ils arrivent enfin à destination. Tout ce que voyait Marina était de couleur verte. Le ciel, l'eau, l'écorce des arbres : tout ce qui n'était pas vert le devenait. "

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- Le billet plus enthousiaste de Keisha ICI -

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Commentaires

  • Sandrine

    1 Sandrine Le 15/04/2020

    Dommage en effet d'attendre le dernier tiers et d'être encore déçue. Le sujet était prometteur, ainsi que le titre...
    marilire

    marilire Le 15/04/2020

    Ce type de déception m'arrive rarement, je suis chanceuse. Je crois que je me suis laissée emporter par la lecture d'Amazonia de P.Deville, j'avais envie de retourner en Amazonie, ce roman à l'époque contemporaine semblait répondre à mes attentes.
  • keisha

    2 keisha Le 15/04/2020

    Je ne me souvenais plus trop des lenteurs avant d'arriver en Amazonie, bien sûr c'est cette partie qui m'a le plus plu(ah l'opéra de Manaus!)
    marilire

    marilire Le 15/04/2020

    Je me souviens de ton intérêt pour cet opéra, c'est un grand moment. Je regrette que cette partie amazonienne n'est pas été plus developpée, moins centrée sur le personnage de Marina. Pour une fois que je m'intéresse à un sujet scientifique ;)
  • Lili

    3 Lili Le 15/04/2020

    Rien de pire que ces romans inégaux parce qu'on les lit tout de même jusqu'au bout (les franchement mauvais ont au moins le bon goût de tomber très vite des mains) mais finalement, il n'en reste pas grand chose a posteriori...
    marilire

    marilire Le 15/04/2020

    J'ai tendance à lire jusqu'au bout pour en avoir le coeur net ! Il est rare que je fasse mauvaise pioche. Pas une lecture désagréable mais qui n'apporte rien.
  • Kathel

    4 Kathel Le 15/04/2020

    Aïe, bon, on verra, le romanesque ne me fait pas peur, et j'avais aimé Orange amère de la même auteure (d'où cet achat).
    marilire

    marilire Le 15/04/2020

    Je n'avais jamais lu l'auteure, j'ai choisi ce titre en lisant la chronique de Keisha ( ou plutôt en lisant Amazonie et pharmacologie dans sa chronique, sans en savoir plus ).
  • niki

    5 niki Le 15/04/2020

    puisque tu n'es pas emballée, je ne dois pas noter => j'adore cette phrase
    c'est un peu dommage car ton billet est bien structuré, comme d'habitude
    marilire

    marilire Le 15/04/2020

    Je reconnais que ne pas noter est parfois satisfaisant, surtout en ce moment où les listes s'allongent, s'allongent... :-p
  • Brize

    6 Brize Le 15/04/2020

    Je l’avais repéré aussi mais je n’étais pas bien sûre, donc merci pour ton éclairage.
    marilire

    marilire Le 16/04/2020

    C'est l'intérêt d'avoir plusieurs retours, on peut se faire son propre avis ( ou céder à la curiosité pour se le faire :))
  • Bono Chamrousse

    7 Bono Chamrousse Le 15/04/2020

    Dommage... car la couverture est superbe
    marilire

    marilire Le 16/04/2020

    C'est de ma faute, j'ai foncé à cause du contexte, je n'ai vu que ce que je voulais voir en le choisissant.
  • krol

    8 krol Le 15/04/2020

    Je ne connais pas l'auteure. Tu manques vraiment d'enthousiasme. Je ne le note pas. De toute façon, j'en ai déjà trop noté que je ne trouverai peut-être même pas à la bibliothèque une fois qu'elles seront réouvertes.
    marilire

    marilire Le 16/04/2020

    Je ne connaissais pas non plus l'auteure, il faudrait tenter un autre idée pour avoir un avis plus juste. ( je fréquente bien plus les librairies que les bibliothèques alors, fatalement, j'ai plus de mal à me limiter ;-))
  • Aifelle

    9 Aifelle Le 16/04/2020

    J'en ai acheté un de cette auteure, juste avant le confinement, ouf ce n'est pas ce titre-là. De toute façon, il ne m'aurait pas tentée. Des recherches pour prolonger la fertilité, je n'en vois pas la nécessité, cette propension de l'homme (dans le sens humanité) à vouloir à tout prix tripatouiller la nature m'énerve).
    marilire

    marilire Le 16/04/2020

    Ah, alors je suis curieuse de ton retour de lecture sur cet autre titre !
  • Ingannmic

    10 Ingannmic Le 16/04/2020

    Je note ta déception, qui tranche avec l'avis enthousiaste lu à son sujet (sans doute celui de Keisha). J'avais de toute façon décidé de lire en priorité Orange amère, de cette même auteure (sur les conseils de la même Keisha !), je m'en tiens donc à cette décision pour l'instant..
    marilire

    marilire Le 16/04/2020

    Je crois qu'il faudrait que je tente Orange amère aussi.
  • keisha

    11 keisha Le 16/04/2020

    Si tu vois Orange amère, n'hésite pas, tu n'auras pas les mêmes défauts je pense
    marilire

    marilire Le 16/04/2020

    C'est bien noté :) ( et puis encore un joli titre ^-^ )
  • Autist Reading

    12 Autist Reading Le 18/04/2020

    Je n'ai jamais lu cet auteur mais les bonnes retombées d'Orange amère m'avaient incité à me procurer le roman, qui attend toujours son tour.
    marilire

    marilire Le 19/04/2020

    Je crois que tu as fait le bon choix ;)

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