Ce que Frida m'a donné - Rosa Maria Unda Souki

Rosa maria

- Zulma - 2021 -

- Traduit de l'espagnol ( Venézuela ) par Margot Nguyen Béraud et l'auteure -

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Du beau livre. 

Cet ouvrage des éditions Zulma est très différent de leurs publications par son grand format, très agréable, souple, large; par sa conception : il s'agit presque d'un " roman graphique ", c'est à dire que chaque page est illustrée. 

Le texte n'est pas fictionnel. C'est d'un journal, le journal de l'artiste Rosa Maria Unda Souki, artiste vénézuelienne vivant au Brésil. La couverture diffère donc également des livres du catalogue Zulma ( le graphisme de leur couverture est toujours conçu par David Pearson ) puisque le montage des toiles en illustration est une création de l'artiste. Les pages relatent les trois mois d'été 2019 passés en France à l'occasion d'une exposition parisienne qui lui était consacrée.

La cour intérieure avec ses arches annonçait mon entrée dans une sorte de retraite. Et rien de plus logique : cet endroit a d'abord été un ancien couvent, puis un hôpital, un squat et finalement cette fameuse résidence d'artistes. C'est-à-dire quasiment la même chose. "

En fin d'ouvrage, un " catalogue " de l'exposition est proposé, présentant les oeuvres en regard de la biographie de l'artiste mexicaine Frida Kahlo.

Ainsi, ce récit - en prose fluide, intimiste sans peser, perspicace et alerte, avec un véritable sens de la formule - nous découvre l'organisation d'une exposition, d'un atelier temporaire. Trois mois, c'est à la fois un délai long et une période courte. L'artiste nous dévoile, par ce journal en historique, l'acte même de création : cinq années à peindre - " représenter " la Maison Bleue de Frida Kahlo, c'est-à-dire l'histoire de l'artiste mexicaine dans " son " espace.

Rosa Maria Unda Souki peint des lieux, des espaces ( au sens propre comme au sens figuré ). Cette notion de l'espace, de ce qu'on y trouve, de ce qu'on y laisse, des traces et des empreintes, est son grand sujet, presque philosophique. Présence, le mot revient. On pourrait ajouter le mot Présent, alors que Rosa Maria Unda Souki ne cesse de se tourner vers le passé. Ce travail autour de la Maison Bleue pour revenir au présent.

Sur chaque page, les dessins au crayon nous les montrent, des esquisses de pièces, d'objets, parfois griffonés de commentaires, puis les tableaux apparaissent peu à peu. Ce livre a tout d'un carnet de voyage, qui ne serait pas que géographique. 

Le voyage se fait également dans le temps, celui des souvenirs - avec le père de l'artiste, avec la maison familiale au Vénézuela, sa proximité avec la culture mexicaine -; celui dans la vie de Frida Kahlo, de sa maison à elle. L'artiste ne cite jamais Frida Kahlo. C'est " elle "; elle qui l'accompagne, elle l'inspiratrice des tableaux de l'exposition. Et ce sont les correspondances, l'explication du titre du livre. En cherchant Frida Kahlo, l'artiste se raconte et raconte la situation au Vénézuela, le sentiment d'expatriation, de perte, celui du deuil aussi. Où l'on comprend ce que représente une maison pour Rosa Maria Unda Sunki; celle de Frida Kahlo.

Tant de maisons qui n'existent plus, tant de réminiscences d'un pays qui n'existe plus... tant de splendeurs dont il ne reste que les vestiges. Je ne parviens jamais à partager cela avec personne; c'est peut-être justement ça l'exil, le déracinement le plus difficile. Mais qui sait, à travers ma peinture... "

J'ai apprécié que Rosa Maria Unda Souki cherche Frida Kahlo au-delà ( ou en-deçà ) du mythe, de l'icône pop qu'elle est devenue, de la " dépravation médiatique " : " Et dire qu'avec les milliers de photos qu'on a d'elle, il faut encore se coltiner des T-Shirts et des mugs estampillés de l'oiseau aux ailes dépliés que dessinaient ses sourcils. La vulgarité est à son comble. [...] Après sa mort, il y a un peu plus de trente ans, elle est brusquement passée d'une notoriété régionale à un mythe international, sans parler du phénomène commercial. ". J'ai aimé la profondeur de sa recherche, personnelle  - " Comme une cartographie pour me rapprocher d'elle, ne pas me perdre. [...] pour essayer de peindre son écho, sa présence. ". Alors, le récit prend une dimension sensuelle, " présence " végétale, du corps, des sons, des odeurs.

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Frida rosa2

- Ahora solo me quedan los manos ( Maintenant seules me restent les mains ) - 

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" ... la peinture est un acte infiniment solitaire et en même temps infiniment peuplé de gens, de questions, d'événements, de souvenirs, de lieux. "

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- Lecture partagée avec A girl from earth et Anne -

- Participation au mois latino-américain et au Book Trip Mexicain -

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Commentaires

  • Ingannmic

    1 Ingannmic Le 07/02/2022

    Merci pour cette belle proposition. J'avais déjà repéré l'ouvrage en librairie, un très bel objet, et le contenu n'est visiblement pas en reste...
    J'ai récupéré ton lien.

    Bonne journée.
    marilire

    marilire Le 07/02/2022

    Il est très intéressant de lire, comme ça, un " journal " d'artiste, pour son projet et aussi pour sa relation à l'exposition de ses oeuvres. ( merci pour le lien, tu as été plus rapide que moi :))
  • Kathel

    2 Kathel Le 07/02/2022

    J'ai beaucoup aimé aussi ce livre si original, et la manière dont Rosa Maria dessine les espaces...
    marilire

    marilire Le 07/02/2022

    C'est l'originalité, le format, et le propos qui m'ont attirée, ne connaissant pas Rosa Maria Unda Souki. En revanche, je rejoins Anne : son travail m'a intéressée ( ce " catalogue " en fin d'ouvrage est un vrai plus ) mais ne m'a pas du tout touchée, trop systématique, en série, en variations. C'est vraiment son récit qui m'a accrochée, les liens qu'elle tisse.
  • Tania

    3 Tania Le 07/02/2022

    La dernière fois que j'ai vu la maison de Frida Kahlo, c'était sous la plume de Patti Smith, il me semble. J'aime l'angle choisi pour ce livre, loin des dérives commerciales.
    marilire

    marilire Le 08/02/2022

    L'approche est tout-à-fait personnelle, un récit intime tant pour l'acte de création que pour l'histoire personnelle.
  • Aifelle

    4 Aifelle Le 07/02/2022

    "La dépravation médiatique" c'est plutôt bien vu. Je n'ai pas repéré ce livre en librairie, je vais y passer cet après-midi. Je suis curieuse de le feuilleter.
    marilire

    marilire Le 08/02/2022

    J'espère que tu pourras le voir, c'est un beau livre, de forme et de fond.
  • Anne

    5 Anne Le 07/02/2022

    Waow mais ton billet est bien meilleur que le mien, je n'ai pas été aussi sensible que toi à cet ouvrage, je n'en ai pas saisi toutes les finesses... Belle lecture !
    marilire

    marilire Le 08/02/2022

    Il est très bien ton billet, très clair ! Après, c'est notre ressenti. Ce type de lecture s'offre vraiment à la sensibilité de chaque lecteur, ce que l'on y projette.
  • maggie

    6 maggie Le 07/02/2022

    Tu m'as donné envie de le lire... En plus, je vais participer au challenge book trip Mexicain
    marilire

    marilire Le 08/02/2022

    Parfait, nous allons nous ouvrir des horizons :-)
  • A_girl_from_earth

    7 A_girl_from_earth Le 07/02/2022

    J'aurais adoré voir cette exposition ! Ces tableaux sont si colorés et chaleureux, même quand ils représentent des événements pas si gais. J'ai vraiment beaucoup aimé cette approche plutôt originale de la vie d'une artiste, par une artiste. En fait, tous les artistes devraient faire pareil pour parler de leurs oeuvres. Le processus créatif est tellement fascinant !
    marilire

    marilire Le 08/02/2022

    Il est certain que rien ne remplace le face à face avec l'oeuvre. Après, je n'ai pas la même démarche que toi. J'ai besoin, je revendique même, un " espace " ( c'est le cas de le dire ) de liberté devant l'oeuvre, une émotion qui ne soit pas , au premier abord, orientée par celle de l'artiste, par son histoire. Comme Frida a donné à Rosa Maria, j'espère ce que va me donner l'artiste. ( c'est exactement ce que je fais, je crois, lors des billets poétiques, en plaçant-réinterprétant des oeuvres en les associant à des poèmes ).
  • niki

    8 niki Le 08/02/2022

    grande admiratrice depuis toujours de frida kahlo, je pense que cela pourrait me plaire :-)
    marilire

    marilire Le 08/02/2022

    Certainement, tu retrouveras dans les tableaux comme dans le texte des moments de sa biographie.
  • A_girl_from_earth

    9 A_girl_from_earth Le 08/02/2022

    J'aime bien ta démarche de revendiquer un espace de liberté devant l'oeuvre. À vrai dire, j'aime aussi qu'on me laisse ce moment et cet espace mais je sens bien au bout d'un moment (très court^^) que je reste en surface, qu'il me manque des clés pour mieux apprécier l'oeuvre encore.
    marilire

    marilire Le 09/02/2022

    Je vois ce que tu veux dire. En fait, tu veux comprendre l'oeuvre, le travail de l'artiste, son univers ( et son intention aussi ).
  • Autsit Redaing

    10 Autsit Redaing Le 10/02/2022

    Je suis d'accord avec toi sur la "richesse" incomparable de pouvoir aborder une œuvre, vierge de toute connaissance du contexte de sa création et/ou de son auteur(e). Mais ça marche uniquement quand l’œuvre éveille des émotions en toi, bonnes ou moins bonnes.
    Mais quand l’œuvre ne t'évoque rien, c'est souvent parce qu'il te manque une clé d'entrée. Et dans ce cas-là, connaître le contexte permet d'envisager autrement ce que tu regardes... et apprécier le spectacle qui te laissait de marbre avant.
    marilire

    marilire Le 11/02/2022

    Tu as raison, mais dans ce cas l'approche est intellectuelle, culturelle, il s'agit de compréhension. Et c'est intéressant parce que cela permet de " construire " le regard, d'avoir des références, des comparaisons. Mais j'ai envie de t'écrire que si l'oeuvre n'éveille rien en moi ( quelque soit l'émotion, y compris le rejet ), je suis moins intéressée par l'artiste. Je veux dire que mon intérêt sera didactique, voir technique.

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