Clara lit Proust - Stéphane Carlier
- septembre 2022 -
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"Proust. Avant, ce nom mythique était pour elle comme celui de certaines villes - Capri, Saint-Pétersbourg... - où il était entendu qu'elle ne mettrait jamais les pieds."
Clara est coiffeuse dans une petite ville de Saône-et-Loire. Son quotidien, c'est une patronne mélancolique, un copain beau comme un prince de Disney, un chat qui ne se laisse pas caresser. Le temps passe au rythme des histoires du salon et des tubes diffusés par Nostalgie, jusqu'au jour où Clara rencontre l'homme qui va changer sa vie : Marcel Proust.
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Bonheur de lecture que ce roman.
J’en avais craint les facilités de contexte, ce ne fut absolument pas le cas. L’auteur déploie son récit en douceur, en finesse et en profondeur. La lecture résonne.
A travers Clara, c’est une chronique française contemporaine - des chapitres très courts sur deux grandes parties - d’un réalisme impertinent. La tendresse imprègne ces pages.
Clara, la vingtaine, est coiffeuse dans une ville de province, employée dans un petit salon. Elle est discrète, elle écoute et observe son monde, comme en latence, sa patronne nostalgique de sa jeunesse parisienne, les clients, les chansons à la radio, nostalgique aussi. Depuis trois ans, elle vit en couple avec un jeune homme - gendre idéal, beau garçon, pompier - qu’elle ne désire plus, elle s’ennuie durant les dimanches familiaux.
L’auteur prend son temps pour poser le décor, nous présenter ses personnages; un récit tout en atmosphère, en détails. Malgré cette forme de lenteur, l’écriture est vive, enlevée, drôle parfois, à la fois immersive et sensible. Tout au long de la lecture, un sourire ne m’a pas quittée.
Un client oublie un livre au salon. C’est le premier tome de La Recherche de Proust. Clara s’en empare, espérant que ce client qui lui a plu reviendra le réclamer. Il ne reviendra pas. Le livre traîne, dans son sac, chez elle. Et un dimanche, elle l’ouvre. Deuxième partie.
Les étapes de la lecture de Proust par Clara - parsemées d’extraits - sont fabuleusement décrites par Stéphane Carlier, la difficulté, l’incompréhension puis la fascination, enfin la réflexion.
« D’abord, rien. Nada, niente, nichts. Une première phrase aussi connue qu’un slogan publicitaire ou le refrain d’une chanson d’enfant et tout s’obscurcit. Les mots sont des fourmis alignées sous ses yeux. Il est question de François Ier, de Charles Quint et de métempsychose. François Ier est un roi de France. Charles Quint, c’est déjà plus obscur. Quant à métempsychose, ce n’est pas au salon ou dans la bouche de JB qu’elle risque de l’avoir entendu. C’est quoi, ce livre ?
Elle boit une gorgée de thé, remonte le plaid sur ses jambes, reprend la lecture. Là, une phrase l’interpelle telle une main qui lui ferait signe. « J’appuyais tendrement mes joues contre les belles joues de l’oreiller qui, pleines et fraîches, sont comme les joues de notre enfance». L’image la touche et ce qui suit encore plus. Il y est question d’une fausse joie. Un homme se réveille dans son lit. [...]
Elle continue, veut savoir, elle est curieuse, l’a toujours été. Une autre phrase l’arrête. « Un homme qui dort tient en cercle autour de lui le fil des heures, l’ordre des années et des mondes». Impénétrable. Elle fronce les sourcils mais continue, sans plus être touchée. Les mots redeviennent des fourmis alignées. Proust parle de la position de son corps dans son lit, de son bras ankylosé, des meubles autour de lui. Ecrire autant de mots pour simplement dire qu’il n’arrive pas à dormir : ce type a un problème, il faut qu’il consulte.
Elle ferme le livre, le jette sur le canapé. Ça ira, merci.[...]
A la recherche du temps perdu. Ce voyage, pourquoi pas ? Le passé l’a toujours attiré. Les voilettes, les longues robes, les fiacres filant sur les rues pavées. Chez sa nourrice, il y avait, dans le salon, au-dessus du canapé, la reproduction d’un tableau qui doit dater de l’époque du livre. On y voyait une femme debout dans le vent. Elle avait une longue jupe blanche et une ombrelle verte à la main pour se protéger du soleil. Clara l’a tellement regardée qu’il lui semblait la voir bouger, cette femme, et parfois même tourner la tête dans sa direction pour l’observer en silence, les yeux plissés dans le flou de la distance. C’est drôle, ça fait des années qu’elle n’y a pas repensé. C’est sa lecture qui a réveillé ce souvenir, comme s’il était caché derrière un paravent que Proust aurait déplacé avec une infinie délicatesse.»
Ce livre lui « parle », il lui pose des questions, lui propose des réponses. Elle en vient à prendre des notes. Elle relit. Et la lecture lui ouvre des horizons, au passé, au présent, au futur.
Elle confronte sa lecture à sa réalité, à la réalité. Cette confrontation est parfois ironique, toujours juste. Par la lecture de La Recherche, c’est comme si Clara sortait de sa chrysalide, avec de nouvelles rencontres, de nouvelles perspectives, de nouvelles expériences intimes; nouvelles expériences intellectuelles et sensorielles ( déjà simplement les rythmes qu’impose la lecture, " lenteur et vigilance " ), dont celle de la « mémoire involontaire « et celle du temps. Ce livre lui donne tout, y compris l’envie de partager comme celle de revenir à elle, d’explorer la littérature et l’art, entre fierté et humiliation par son manque de culture ( de très jolies scènes avec le libraire ). C’est l’histoire d’un plafond de verre qui se brise, de ce rideau qui s’ouvre devant « ce grand livre qui remet tout en question ».
« Avec Proust, elle a l’impression de tout voir. Forcément, puisqu’il lui montre le monde visible dans ses détails infinis et un autre, derrière, caché mais vaste et puissant, qui impose sa loi, sa volonté au premier : la réalité psychique, psychologique des êtres.»
J’ai apprécié cet épilogue en miroir de l’oeuvre de Proust - A la recherche du temps perdu -, confirmant au récit sa dimension de fable ( bien que le parcours de Clara n’est pas sans rappeler celui du comédien Fabrice Luchini ).
Quel hommage, au-delà de celui à Proust, à la littérature. Le type de roman que je relirai, juste pour le plaisir et cette infinie délicatesse.
« Vous avez une jolie âme, d’une qualité rare, une nature d’artiste, ne la laissez pas manquer de ce qu’il lui faut.» - Du côté de chez Swann - M.Proust.
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- La femme à l'ombrelle ou La promenade - Claude Monet -
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- Le billet de Dominique -
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Commentaires
1 niki Le 01/11/2022
marilire Le 03/11/2022
2 A_girl_from_earth Le 01/11/2022
marilire Le 03/11/2022
3 Aifelle Le 02/11/2022
marilire Le 03/11/2022
4 Kathel Le 02/11/2022
marilire Le 03/11/2022
5 Dominique Le 02/11/2022
C'est ingénieux, écrit de façon alerte une petite réussite à ma avis merci à toi pour le lien
marilire Le 03/11/2022
6 Katell Le 02/11/2022
Dès que je le trouverai en médiathèque, je le lirai. Merci pour ton beau billet.
marilire Le 03/11/2022
7 maggie Le 02/11/2022
marilire Le 03/11/2022
8 Tania Le 03/11/2022
9 keisha Le 04/11/2022
marilire Le 04/11/2022
10 Anne Le 04/11/2022
marilire Le 04/11/2022
11 Lilly Le 06/11/2022
marilire Le 06/11/2022
12 Fanny Le 07/11/2022
marilire Le 08/11/2022
13 L'ourse bibliophile Le 08/11/2022
marilire Le 08/11/2022
14 Livr'escapades Le 23/11/2022