Des âmes simples - Pierre Adrian

J’ai écrit lors de la précédente chronique La Piste Pasolini que je souhaitais une lecture particulière pour la reprise d’écriture sur Lire & Merveilles. C’est pourquoi je m’étais tournée vers les récits du jeune auteur Pierre Adrian.

Des âmes simples est son second récit.

Des ames simples

  • Equateurs Littérature – 2016 -

Au cœur d'une vallée, aux confins de la France, un homme tient là seul par sa foi. Au plus près des vies minuscules – les bergers et les bêtes, les paumés et les vagabonds célestes –, il accueille les histoires murmurées, les hommes en perdition. Les croyants et ceux qui ne croient pas. Parce qu' " on ne peut plus faire comme si les gens avaient la foi. " Pour lui, cela importe peu. Jour et nuit, son portable sonne. Il accourt. 

J’écris récit à propos de ce livre car il ne s’agit pas d’une fiction. Certains éléments, certains personnages, certaines situations sont fictionnels mais ce livre est né d’une expérience et d’une rencontre. Frère Pierre existe. Le vieil homme a accueilli Pierre Adrian dans ce monastère en terre isolée, oubliée, depuis l’arrêt du service ferrovière, dans l’arrière pays pyrénéen.

«  Je devine que Pierre en sait des tas d’autres [d’histoires]. Lui, le curé, autour duquel les hommes gravitent. Mémoire des drames et des épiphanies. Plus de drames. Et une terre s’apprend d’abord par ses douleurs. La moindre de ses fissures. Depuis cinquante ans qu’il est le curé de la vallée d’Aspe, frère Pierre les sait toutes. Il baptise, il met en terre. De ces vies qui s’accrochent aux flancs de la montagne, il n’en ignore aucune. Alors je serai à l’écoute de ce guide de l’intérieur. Un temps, je marcherai à ses côtés. J’accepterai de ne pas comprendre et d’être seulement un étranger. J’écouterai la vallée. »

Par cette lecture, j’ai retrouvé le ton du précédent La Piste Pasolini, sensibilité sans concession, le propos militant, social, sur ces instants partagés avec ces «  âmes simples », une quête spirituelle ( du sens d’une spiritualité, du mystère de la foi ) de l’auteur en filigrane. Ces moments en réflexion, sans nombrilisme, à l’image de la photographie de couverture, en camaïeu feutré qui ouvre son espace à chacun s’il le souhaite, sans pour autant que ce récit soit comtemplatif.

J’avoue que j’espérais de la part de Pierre Adrian cette dimension spirituelle en toute humanité, qu’il donne justement une autre dimension à un récit attendu du dévouement d’une vie d’un prêtre.

Alors Pierre Adrian nous raconte, avec réalisme mais toujours avec une distance respectueuse « ceux pour qui la vallée n’est pas un passage mais une île », «  toutes ces rencontres […] que le monastère protège. ». Car cette vallée est un lieu de passage, une étape sur la route de Compostelle. De nombreux pèlerins passent mais les habitants vivent éloignés des bruits du monde qui peinent à s’immiscer dans ce huis-clos géographique. A côté du monde. Et puis, il y a ceux qui s’arrêtent parce qu’ils rejettent le monde. Ou le monde les a rejetés. Comme ce curé, Pierre Adrian ne fait pas semblant, il nous parle des drogués, des alcooliques, des fous, des taulards. Et de ce lieu qui devient refuge.

J’ai également retrouvé les thèmes de la langue, de l’appartenance au pays, de la génération, des écarts générationnels, de la nature face à l’homme – «  la nature raconte à l’homme ses limites »-, de la solitude.

Pierre Adrian a choisi de vivre le quotidien de la vallée et du monastère en décembre, à la période des fêtes de Noël, période de l’année à la fois chaleureuse et si terrible pour les personnes isolées. Alors, dans ce monastère, tout autour, éparpillées, c’est la réunion de toutes ces petites solitudes. Le jeune auteur ne glose pas sur la solitude, il raconte la multitude des solitudes, et son dernier témoin, ce curé, pilier de la foi, même non partagée, pour les habitants. Comme si c’était sa croyance à lui qui était essentielle et les rassurait.

«  Frère, ce que je vis cette nuit est tellement dur, que je ne vois pas qui je pourrai appeler sinon vous, à cause de votre foi. »

Pierre Adrian était présent au Festival de St-Malo 2017, en mai dernier. Ce fut une chance car je désirais le rencontrer depuis ma lecture de La Piste Pasolini. Nous avons discuté de ces mots là : solitude, simplicité, temps ; de la solitude à se réapproprier, cette solitude intime qui permet l’honnêteté vis-à-vis de soi et des autres, qui permet l’unité intérieure, de son aspect positif négligé tant le mot a été galvaudé dans ce monde soi-disant de liberté où il peut être si difficile parfois d’être simplement soi en toute conscience ; de cette simplicité qui en découle, de la notion de temps qu’il faut justement (ré)apprendre. De tout ça qui est plénitude bien plus que le rythme de renouvellement incessant de la société actuelle, qui brasse bien du vide, finalement.

" Le monde veut ce qui brille, et la lumière vraie ne brille pas. "

Et nous avons parlé de ce curé comme une porte ouverte avec lequel les faux-semblants n’ont pas cours.

«  En quittant la vallée pour la première fois, cet été là, je savais déjà que je reviendrais. J’écrirais. […] En citant saint Paul, frère Pierre me dira que la véritable sagesse n’est pas celle du monde : Si quelqu’un pense être sage à la manière d’ici-bas, qu’il devienne fou pour être sage. »

Lors de cette lecture, je me suis souvenue d’un extrait de l’auteur italien ( de ses Racconti romani ) lu dans La piste Pasolini :

« Pour vivre, il faut lutter, il n’y a pas de mystères. Il convient de souffrir, mais de supporter : en attendant, s’accommoder, même avec rage. Il y a peut-être un Dieu, chrétien, catholique, qu’il faut apaiser avec des cierges et des prières : et puis s’arranger : c’est ici, sur terre, que l’on est récompensé ou châtié. »

- Pier Paolo Pasolini –

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Et pour la beauté sans qu'il soit nécessaire d'y croire, une toile de Michele Giambono,un peintre italien du XVème siècle découvert en exposition temporaire au titre évocateur - " Il paradiso riconquistato " - dans un musée vénitien.

 

Michele giambono birth of the virgin

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Commentaires

  • Anne

    1 Anne Le 11/09/2017

    Rhooo mais je crois que ce récit pourrait me plaire...
  • Aifelle

    2 Aifelle Le 12/09/2017

    Un livre qui a tout pour me plaire ; je le note tout de suite.
  • keisha

    3 keisha Le 12/09/2017

    Une lectrice de ma bibli en a fait un 'coup de coeur', il est donc disponible. Toi tu sais tenter.
    Maintenant je vais aborder l'épreuve du code de confirmation flouté... ^_^
  • Marilyne

    4 Marilyne Le 12/09/2017

    @ Anne : j'en suis certaine :-D ( et cette photographie de couverture, superbe, non )
    @ Aifelle : je l'espère. Si tu le lis, je suis très curieuse de ton retour.
    @ Keisha : je ne suis pas étonnée pour le coup de coeur ! Merci d'avoir subi l'épreuve du code flouté :)
  • Saxaoul

    5 Saxaoul Le 12/09/2017

    À peine de retour et tu allonges déjà la liste de mes envies !
  • Marilyne

    6 Marilyne Le 13/09/2017

    @ Saxaoul : et j'en suis plutôt contente ( ce ne sera pas tous les jours ;-) ). Sérieusement, une plume à découvrir et une belle lecture.

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