Des vivants - R.Meltz/L.Moaty/S.Roussin

Des vivants 1

- Editions 2024 -

Été 1940 : la France est occupée. Certains pourtant refusent la fatalité : à Paris, au cœur du musée de l’Homme, quelques ethnologues se réunissent, bientôt rejoints par des gens de tous horizons ― avocats, religieuses ou garagistes. Autour de Boris Vildé, d’Anatole Lewitsky, d’Yvonne Oddon, ces visionnaires posent les bases de la lutte qui mènera à la Libération : évasions de prisonniers, passages vers l’Angleterre ou la zone libre, et publication d’un journal clandestin, Résistance. Mais ces insoumis de la première heure seront bientôt trahis, dénoncés à la Gestapo et, pour beaucoup d’entre eux, exécutés.

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Ce généreux et copieux album ( plus de 250 pages ) rend hommage au premier grand réseau de résistance français : le réseau du musée de l'Homme 1940-1942.

" Un jour qui a commencé avant le 23 février 1942; au soleil éblouissant de l'été 40 quand tous étaient vivants et que nul d'entre eux, ni d'entre nous, ne voulait accepter une défaite mille fois pire que celle des armes : celle de l'homme. "

Les pages de garde nous présentent les protagonistes principaux ( où l'on retrouve Germaine Tillion, entrée au Panthéon en mai 2015 ).

Il s'agit donc d'une BD historique, relatant avec précision ce réseau, sa naissance, ses membres, ses actions, sa fin; d'autant plus historique que le travail sur les archives et documents est impressionnant :

" les événements relatés dans ce livre s'approchent au plus près de la réalité historique. Tous les personnages ont véritablement existé. Tous les mots qu'ils prononcent sont les leurs : paroles trouvées dans leurs lettres, journaux, témoignages, entretiens, souvenirs. Des traces, des fragments de leurs mémoires, montés et adaptés pour composer un récit "

Incroyable. Le scénario est construit sur tous les témoignages, aucune parole n'est inventée, sans que cela pèse ou donne un aspect décousu au récit. On comprend pourquoi les scénaristes de cette BD - Raphaël Metz et Louise Moaty ont reçu le Prix Goscinny pour ce scénario lors du Festival BD d'Angoulême. Toutes les références sont renvoyées à leurs sources en fin d'album, accompagnées d'une biographie de chacun des protagonistes.

Ce dont nous parlent cet album et ce réseau, c'est de la vocation du musée de l'Homme, inauguré en juin 1938 ( inauguration sur laquelle s'ouvre le récit ) :  " le racisme repose sur une confusion entre l'idée de race et celle de culture " [...] Le grand public va prendre conscience de la vaste communauté mondiale, si diverse et pourtant une, à laquelle nous appartenons. "

Evidemment, la presse collaborationniste attaque le musée et son directeur, le professeur Paul Rivet, cet homme qui, lors de l'arrivée des troupes allemandes dans Paris en juin 1940, ouvre les portes du musée, et placarde à l'entrée la poésie de Kipling IF - " ... Si tu peux être fort sans cesser d'être tendre, et, te sentant haï, sans haïr à ton tour, pourtant lutter et te défendre... " -

" Nous sommes le seul monument à ouvrir le jour de l'arrivée des Allemands, à l'heure habituelle. Chacun est à son poste. Nous traitons l'invasion par le mépris. "

Des pièces des collections sont évacuées, Paris se vide. Nous suivons la constitution du groupe, les maladresses, les risques inconsidérés, les premières actions avec les évasions, les évacuations vers l'Angleterre, des tracts puis le journal clandestin pour " démystifier le mensonge ", ceux du gouvernement de Vichy. C'est à ce réseau que nous devons le mot Résistance.

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Des vivants 3

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" Ce qui fut fait par nous et par d'autres c'était n'importe quoi, souvent n'importe comment, dans l'ignorance, les tâtonnements, les illusions. Nous n'étions pas des amateurs, nous étions des apprentis, des apprentis sans maîtres. Des autodidactes de la conspiration. " 

" Je me demande combien nous pouvons être. Des dizaines ? Des centaines ? Des milliers ? Et combien existe-t-il de groupements analogues au nôtre ? "

Mais le réseau est infiltré, il est suivi de près par la Gestapo. Délation, trahison, les premières arrestations ont lieu en 1941, de janvier à avril. Les prisonniers restent presque une année en prison. Leur procès a lieu le 8 janvier 1942, dix d'entre eux sont condamnés à mort. Les hommes sont fusillés, les femmes déportées.

L'année de prison est superbement mis en images : des silhouettes enfermées dans leur petites cases, qui pensent, écrivent, solitaires et solidaires. Cependant, cette lecture m'a déçue par son choix graphique, ses couleurs claires, en gamme restreinte, en aplats. Si ce choix ne pose aucune difficulté pour reconnaître les personnages, si les nombreuses vignettes muettes laissant place aux actes sont justifiées, j'ai regretté que le dessin me paraisse plus sommaire que sobre, trop esquissé, sacrifiant les décors, les détails, les ambiances et lieux d'époque. Peut-être cette sobriété, ces tons froids, étaient-ils nécessaire sur la longueur, ils m'ont tenue à distance.

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Des vivants 4

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Des vivants 5

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Une autre BD sur le sujet et la période :

Nuit noire sur brest

- Damien Cuvillier/ Bertrand Gallic & Kris -

- Futuropolis 2016 -

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J'ai repéré celle-ci aux Quais du Polar. Sur un trait classique, cette BD aux allures de roman d'espionnage ou de piraterie ( adaptation d'un roman de Patrick Gourlay " nuit franquiste sur Brest " ) relate un épisode vérédique de septembre 1937, lorsque la guerre d'Espagne s'invite en Bretagne. Cet épisode semble méconnu, enseveli sous les bombes qui ont écrasé le port en 1944. Elle raconte l'apparition d'un sous-marin républicain espagnol à Brest, les manipulations des franquistes pour récupérer ce sous-marin contre les marins. Alors que le gouvernement français s'abstient d'intervenir, chaque camp reçoit les soutiens clandestins de Français, fascistes, cagoulards, anarchistes, communistes...

Beau travail graphique, lieux, atmosphère, sur une mise en page dynamique.

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Nuit brest 1

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Sur les dernières pages, tout un intéressant dossier sur cet épisode, ses conséquences, avec documents d'archives, photographies.

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Commentaires

  • Dominique

    1 Dominique Le 09/05/2022

    J'adore prendre des idées de cadeau chez toi, des BD qui je le sais vont plaire chic chic et merci
    marilire

    marilire Le 10/05/2022

    Avec grand plaisir !
  • Kathel

    2 Kathel Le 09/05/2022

    Le sujet est passionnant, et j'apprends déjà des choses en te lisant. Dommage pour le graphisme, mais je pense que j'aimerais tout de même...
    Quant à la deuxième, elle est à la médiathèque, je note illico !
    marilire

    marilire Le 10/05/2022

    J'étais étonnée qu'il n'y ait pas plus de " littérature " sur le réseau du musée de l'Homme, alors quand j'ai vu cette BD, je me suis précipitée.
  • Aifelle

    3 Aifelle Le 10/05/2022

    Comme Kathel, je trouve que c'est dommage pour le graphisme, mais ça ne suffit pas pour m'enlever l'envie de lire le premier album. Les deux BD sont à la bibliothèque, parfait !
    marilire

    marilire Le 10/05/2022

    La BD vaut la découverte malgré mon bémol tout-à-fait subjectif.
  • A_girl_from_earth

    4 A_girl_from_earth Le 10/05/2022

    Eh bien voilà une BD historique qui me semble incontournable ! Je vois les réactions sur le graphisme, c'est vrai qu'au niveau personnages, ce n'est pas ce que je préfère non plus mais il semble y avoir un travail intéressant plutôt autour des couleurs et des effets visuels.
    marilire

    marilire Le 11/05/2022

    Le choix graphique est intéressant, certainement justifié par la longueur qui aurait demandé un travail très long. Il est effectivement très visuel, efficace ( il sort d'ailleurs mieux sur écran que sur les pages ).

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