Frankenstein - Mary Shelley

Frankenstein

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Je lis enfin ce roman écrit il y a deux siècles motivée par la découverte de ce mythe littéraire galvaudé.

Cette lecture relève à la fois du roman romantique, fantastique, du roman d’aventures et du conte philosophique. Il relate la confrontation entre l’étudiant en " philosophie naturelle " Victor Frankenstein et la créature à laquelle il parvient à donner vie.

Le récit se déroule durant le XVIIIème siècle - précédent celui de l’autrice - il y est parfaitement inscrit. En lisant, j’ai songé à ce siècle des Lumières, « ce siècle éclairé et savant», de curiosités et découvertes scientifiques.

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Mary Shelley nous rappelle parfaitement cette période, celle de la création d’automates, des flux électriques, des théories mécaniques du vivant. Elle nous le rappelle également par ses descriptions de la société européenne, celle des privilèges de la naissance.

La lecture est prenante, rythmée par les nombreux épisodes et personnages. J’ai été sous le charme de ce roman à la prose lyrique, en récit épistolaire pour un prologue et un épilogue, en récits enchâssés pour le récit devenu chronologique. Même si les répétitifs passages d’introspection désespérée de Victor Frankenstein m’ont parfois paru long, ils entretiennent cette atmosphère funeste et gothique ( qui m’a rappelé les récits d’Edgar Poe ). La naissance de la créature est un modèle du genre :

« Ce fut en novembre, pendant une nuit affreuse, que je vis l’accomplissement de mes travaux. Dans une inquiétude voisine de l’agonie, je rassemblai autour de moi les instruments propres à donner la vie, pour introduire une étincelle d’existence dans cette matière inanimée qui était à mes pieds. L’airain avait déjà sonné la première heure après minuit; la pluie battait, avec un sifflement horrible, contre mes fenêtres; ma lumière était près de s’éteindre, lorsqu’à cette lueur vacillante, je vis s’ouvrir l’oeil jaune et stupide de la créature : elle respira avec force, et ses membres furent agités d’un mouvement convulsif.»

Le roman s’ouvre sur le sauvetage de Victor Frankenstein dérivant sur un bloc de glace près du pôle. Il est recueilli à bord du bateau d’un jeune explorateur qui consigne son histoire.

Frankenstein raconte : « Vous entendrez parler de puissances et d’aventures que vous êtes habitué à croire impossibles

Le roman dépasse le thème du Prométhée des temps modernes, son sous-titre. Si le sujet est évidemment celui de l’homme voleur de feu, damné pour avoir défié les lois naturelles/divines en donnant la vie, en croyant/espérant libérer l’espèce humaine des incertitudes de la naissance et de la mort, en exerçant ce pouvoir « d’animer une matière inerte », en insufflant la vie - puis « semblable à l’archange qui aspirait à la toute-puissance, je suis enchaîné dans un enfer éternel » -, ce récit lui joint d’autres thèmes :

La créature créée n’est pas un animal régit par des instincts. Elle dispose d’une conscience et d’une pensée qui lui permettent d’évoluer, de comprendre la société humaine. Dotée de sensations, d’émotions, d’une mémoire, d’une capacité d’analyse et d’apprentissage, elle devient humaine.

« J’étais un malheureux sans appui, et digne de pitié; je ne connaissais rien et ne pouvais rien distinguer; mais dominé par le chagrin qui me gagnait de toutes les manières, je m’assis et pleurai.»

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C’est la question que pose ce roman : quelle est la définition de l’humanité, au-delà de l’apparence physique ? Rejetée à cause de sa laideur, de son allure de mort-vivant, de son aspect effrayant ( bien plus grand et fort que la norme, il fait parfois songer à un yéti ), - « Une momie à qui on rendrait l’âme ne serait pas aussi hideuse que ce monstre. Je l’avais observé lorsqu’il n’était pas encore achevé; il était laid alors; mais, lorsque les muscles et les articulations purent se mouvoir, il devint si horrible, que le Dante lui-même n’aurait pu l’imaginer.» - elle développe une haine destructrice contre l’humanité, contre son créateur en particulier. Ce roman, c’est cette violente histoire d’amour et de haine de la créature face à l’humanité; une histoire de reco-nnaissance.

« Dites-moi pourquoi j’aurais pour l’homme plus de pitié qu’il ne m’en témoigne.»

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Il faut noter qu’elle n’est jamais nommée par un prénom mais qualifiée par « le monstre »,  « le démon » alors que, comme elle le dit à V.Frankenstein, lors de leur rencontre tardive ( moitié du livre, puisque le créateur a fui sa créature ) : « Je devais être pour vous un Adam », confirmant encore la dimension biblique/mythologique du roman.

Deuxième récit enchâssé, ce moment de rencontre, de la prise de paroles de la créature, ouvre les perspectives du roman. Ce changement de point de vue tourne le récit vers un propos social, la créature en ingénu. En formation par l’observation, elle apprend « la vertu » ( la description en est parfois moraliste, l’éden du sage bonheur domestique ) autant que la géopolitique, l’injustice, l’inégalité et le crime.

D’heureuses surprises m’attendaient à cette lecture. D’abord, la référence, romantique ( au réel sens du terme, littéraire ) s’il en est, à ce magnifique roman de Goethe « Les souffrances du jeune Werther », qui apprit les passions à la créature lorsqu’elle le lut. Ensuite, l’évocation de la beauté mélancolique de paysages qui me ravissent, ceux de la Suisse, ceux du Rhin - «... il y a un charme incomparable dans les rives de ce fleuve délicieux » -. J’imaginais les lieux de ce roman anglais comme son autrice. Les voyages, jusqu’en Écosse, les descriptions - la poésie de la nature - participèrent au plaisir de lecture.

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L'édition dans laquelle j'ai lu ce roman date : elle a été publiée par Albin Michel en 1984. La traduction est plus ancienne encore, il s'agit de celle de l'édition originale de chez Corréard de 1821 signée J.S ( Jules Saladin ). Cette édition Albin Michel est un format album, généreusement illustrée par Berni Wrighton ( dessinateur américain - 1948-2017 ) d'une quarantaine de planches. J'ai ajouté à cette chronique certaines de ses illustrations à l'encre de chine du Frankenstein, parfaitement évocatrice.

- Une galerie de ses illustrations sur son site ICI -

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- Lecture partagée avec Ingamnic -

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Commentaires

  • Sandrine

    1 Sandrine Le 12/10/2022

    J'ai été aussi séduite par ce très beau roman. J'ai lu tout un tas de choses sur ce mythe fascinant, rien que l'histoire de la rédaction du roman vaut la peine (le lac Léman, les ghost stories, Byron, Polidori et son vampire...). Et les adaptation (surtout celle de Whale en 1931) et les variations (j'ai beaucoup aimé "les mémoire d'Elizabeth Frankenstein"... quelle histoire !
    marilire

    marilire Le 12/10/2022

    J'avoue que je n'ai vu aucune adaptation ... En revanche, maintenant que j'ai lu l'original, les variations m'intéressent.
  • keisha

    2 keisha Le 12/10/2022

    Pas sûr que je me jette dessus, mais ton avis demeure intrigant.
    marilire

    marilire Le 12/10/2022

    Tu devrais tenter, par curiosité pour le thème, parce que " science sans conscience n'est que ruine de l'âme " - Rabelais.
  • Kathel

    3 Kathel Le 12/10/2022

    Lu il y a bien longtemps, je suis ravie de lire ta chronique qui me rappelle ce roman très puissant.
    marilire

    marilire Le 12/10/2022

    Avec plaisir. J'ai tant tardé à lire ce classique !
  • Passage à l'Est!

    4 Passage à l'Est! Le 12/10/2022

    Ton billet me rappelle par certains côtés le Golem d'I.B. Singer que j'ai lu cet été. Le contexte et le style (et la raison d'être) du livre sont tout à fait différents mais on retrouve la question de comment insuffler la vie à une matière inerte et comment celle-ci fait ensuite l'apprentissage des émotions. Et comme dit Sandrine et le décrit Ingannmic, l'histoire de la rédaction du livre est curieuse! Bref, moi qui ne connait que le côté galvaudé du mythe (et encore, très peu), je suis bien tentée. Merci à vous deux pour vos chroniques!
    marilire

    marilire Le 12/10/2022

    Je n'ai pas pensé à rappeler l'histoire de la génèse de ce roman, elle me semble si connue, elle fait partie du mythe, très inscrite dans son époque ( mon erreur confirme qu'il faut toujours se méfier de ses propres évidences ). Finalement, à chaque fois, on se rend compte que le mythe est simplifié à l'extrême. Je reviens de plus en plus aux classiques. En fait, l'essentiel est de pouvoir les contextualiser, pour pleinement les apprécier.
  • nathalie

    5 nathalie Le 12/10/2022

    J'ajoute ma pierre à l'édifice. Avant il y avait une seule histoire de l'origine du roman (celle que raconte Ingannmic avec ce rassemblement de personnalités hors normes pendant un été pluvieux dans un endroit où on s'ennuie à mourir) et depuis quelques années il faut ajouter la seconde histoire, celle de l'année sans été, une particularité connue depuis longtemps mais que nous a fait connaître Gillen Wood dans son livre. Le monstre est à la fois issu de l'imagination d'une jeune fille de 16ans, de ces grands esprits romantiques, et d'une catastrophe géologique et météorologique (mais à l'époque personne ne le savait). C'est vraiment une image de la condition humaine !
    https://fr.wikipedia.org/wiki/Année_sans_été#Klingaman
    marilire

    marilire Le 13/10/2022

    Merci d'avoir ajouté cette pierre, je ne connaissais pas cet aspect là !
  • Aifelle

    6 Aifelle Le 12/10/2022

    Ce n'est pas le genre de littérature que j'aime, mais en vous lisant j'apprends avec intérêt qu'il y a une deuxième version à l'origine de ce roman. Je ne connaissais que la première. J'ai vu un film, qui n'a pas soulevé mon enthousiasme. C'est un peu frustrant de rester à l'écart d'une histoire qui semble fasciner tant de monde.
    marilire

    marilire Le 13/10/2022

    N'étant pas passé par les adaptations cinématographiques, je ne savais pas trop ce que j'allais lire, mis à part cette catégorisation " gothique/fantastique ". Il me semble qu'il y a eu, il n'y a pas si longtemps, un film sur Mary Shelley.
  • Ingannmic

    7 Ingannmic Le 12/10/2022

    Quel beau billet, qui rend bien justice à la richesse de ce roman !
    Et les commentaires sont tout aussi instructifs...

    Ravie de cette LC, et rendez-vous le 18 pour notre LC d'un tout autre genre (quoique, on y retrouve aussi cette présence imposante de l'environnement naturel)..
    marilire

    marilire Le 13/10/2022

    Ah oui, cette lecture comme les échanges ont été très intéressants !
  • A_girl_from_earth

    8 A_girl_from_earth Le 13/10/2022

    Je l'ai lu il y a très longtemps, ça devait être à l'époque de la fac, et j'en garde encore un souvenir fort. J'avais adoré !
    marilire

    marilire Le 13/10/2022

    Je te comprends. Je ne sais pas pourquoi j'ai tant tardé.
  • krol

    9 krol Le 13/10/2022

    Quel billet intéressant qui renforce mon envie de lire ce classique de la littérature...
    marilire

    marilire Le 14/10/2022

    Ne t'en prive pas :)
  • Autist Reading

    10 Autist Reading Le 13/10/2022

    Comme Aifelle, je ne suis pas fan de cette littérature mais ton billet est très m'intéressant et j'ai apprécié les diverses contributions qui viennent l'enrichir
    marilire

    marilire Le 14/10/2022

    Ce fut une belle lecture justement aussi par tous les échanges qu'elle a suscité.
  • Mina

    11 Mina Le 13/10/2022

    Quelles superbes illustrations ! L'inscription dans le 18e siècle que tu mentionnes me donne très envie de le lire, ce qui n'avait pas été le cas jusqu'ici. J'ignorais par contre les histoires de l'origine du roman / son inspiration.
    J'ai vu trois adaptations au théâtre, dont deux avec des marionnettes et un parti pris assez fort. C'est intéressant de voir comment chacun aborde ce mythe, se l'approprie et met certains thèmes en exergue (la question de l'humanité, le deuil et le refus de la mort, par exemple, dans la dernière adaptation que j'ai vue, celle de la compagnie des Karyatides).
    marilire

    marilire Le 14/10/2022

    Ah, les illustrations. Dommage qu'elles rendent si mal à l'écran. Ce que tu écris est très intéressant. Je n'avais jamais remarqué d'adaptations théâtrales. Je serai très curieuse d'en voir !
  • Alys

    12 Alys Le 16/10/2022

    Un roman qui est entré dans la culture populaire et l'a marquée, mais d'une manière très éloignée de ce qu'il est réellement. Entre cette créature qui s'interroge sur sa place sur Terre et celle qui avance les bras tendus en faisant "greuuuh", il y a un monde! :)
    Je me suis fort ennuyée quand je l'ai lu, mais c'était intéressant de découvrir le matériau brut. Je suis ravie que tu aies apprécié. Et ces illustrations sont géniales!
    marilire

    marilire Le 17/10/2022

    Oh, dommage si tu t'es ennuyée. J'ai été embarquée alors que je craignais un peu la narration très classique et/ou une prose trop emphatique. Bien d'accord, incroyables ces illustrations. Elles méritent une belle réédition.

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