
- Christian Bourgois Editeur - 2018 -
- Traduit de l'anglais ( USA ) par Christine Laferrière -
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Ce court recueil ( 90 pages ) regroupe les textes de six conférences données par Toni Morrison en 2016 à l'université de Harvard.
Mêlant littérature, politique, Histoire ainsi que des expériences personnelles, elle interroge et réfléchit à la notion d'appartenance et celle d'identité, notions définies par rapport à l'Autre. Toni Morrison nous parle du " processus de fabrication de l'Autre ", du concept de race, de la déshumanisation raciste. Par leurs thèmes, qui n'en est qu'un, les conférences se suivent, abordent divers aspects.
Chacune des conférences porte un titre :
1- Embellir l'esclavage : Dans ce texte, Toni Morrison revient sur le célèbre roman de Harriet Beecher Stowe La case de l'oncle Tom, ainsi que sur l'écriture, les motivations, de ses romans.
" L'oeil le plus bleu a été ma première exploration du mal que provoque la haine raciale de soi. Plus tard, j'ai examiné l'idée de son contraire, la supériorité raciale, dans Paradis. Une fois encore, dans Délivrances, j'ai regardé le triomphalisme et la supercherie qu'entretient le colorisme. "
" La race est la classification d'une espèce et nous sommes la race humaine, point final. Alors quelle est cette autre chose : l'hostilité, le racisme social, la fabrication de l'Autre ? Quels sont la nature du confort que procure la fabrication de l'Autre, son attrait, son pouvoir ( social, psychologique ou économique ) ? Est-ce le frisson qu'engendre l'appartenance, qui implique de faire partie de quelque chose de plus grand que sa seule personne et donc de plus fort ? "
2 - Être ou devenir l'étranger : Dans cette conférence également Toni Morrison débute par l'étude d'un texte littéraire ( toujours citant des extraits ). Avec la nouvelle de Flannery O'Connor Le Nègre factice ( issue du recueil Les Braves gens ne courent pas les rues ), elle met en évidence l'éducation raciste, la façon dont on " éduque " à l'autre, toujours pour se définir soi, se rassurer aussi.
" Cette perception de l'étranger en vigueur au XXème siècle doit être mis en parallèle avec des récits antérieurs, écrits ou consignés par l'étranger, et dans lequel il détaille sa propre perception de soi. Tout d'abord, il pourrait être très utile de rechercher la " race " elle-même. Identification et exclusion raciales n'ont pas commencé ni fini avec les Noirs. La culture, les caractéristiques physiques et la religion ont figuré et figurent parmi les précurseurs des stratégies visant à obtenir l'ascendant et le pouvoir. Il suffit de se rappeler l'histoire du terme " caucasien", ses usages et son déclin. "
" Aussi fascinants d'ignominie que soient ces épisodes de violence [ extraits de témoignages d'esclaves ] , la question qui apparaît, selon moi, question bien plus révélatrice que la sévérité du châtiment, est de savoir qui sont ces gens. Quel acharnement ils mettent à définir l'esclave comme inhumain, sauvage, quand la définition de l'inhumain décrit en vérité très largement celui qui punit. "
3 - L'obsession de la couleur : notamment en littérature. Toni Morrison revient sur ses expériences de lectrice et d'écrivain.
" Dans Home, j'ai de nouveau essayé de créer une oeuvre dans laquelle la couleur avait été effacée, mais pouvait facilement être supposée si le lecteur prêtait bien attention aux codes, aux restrictions que subissaient d'ordinaire les Noirs : les endroits où s'assoir dans le bus, les endroits où uriner, et ainsi de suite. Mais j'étais si bien parvenue à forcer le lecteur à ignorer la couleur que cela a rendu mon éditeur nerveux. J'ai donc, de mauvaise grâce, inséré des références qui confirmaient la race de Frank Money, le personnage principal. Je crois que c'était une erreur qui a remis mon objectif en question. "
4 - Configurations de la noirceur : Lors de cette conférence, Toni Morrison évoque son roman dystopique Paradis, basé sur des faits historiques, tout comme elle évoque Beloved - dans la 5ème conférence : Raconter l'autre - pour lequel elle aborde les sources, ce qui l'a interpellée au point d'écrire ce roman.
" Je tenais simultanément à neutraliser et à théâtraliser la race en indiquant , espérais-je, à quel point cette construction était fluctuante et désespérément absurde. En outre, franchement, savez-vous quelque chose de ces personnages quand vous connaissez leur race ? Quoi que ce soit ?
" Le roman fournit une vaste friche contrôlée, une occasion d'être et de devenir l'Autre. L'étranger. Avec compassion, lucidité et le risque de l'examen de conscience. Dans cette itération, pour moi qui suis l'auteur, la jeune Beloved, celle qui hante, est l'ultime Autre. Qui revendique, à jamais revendique un baiser. "
6- La patrie d'étranger : Le propos de Toni Morrison s'élargit à la mondialisation et à l'immigration, nous entrainant ensuite sur le continent africain littéraire.
Les textes de ce recueil sont citoyens autant que littéraires, ils abordent les notions, la vie, en liant le réel, le concret, à la fiction, c'est ce qui rend cette lecture très intéressante. Parce que ce dont il est question, c'est de l'image, une figure de l'Autre, ce que nous projetons sur l'Autre en miroir de notre identité. Le racisme, c'est cela qui construit le concept de race, qui est d'abord fait de théories, de mots.
- A paraître début octobre, un recueil d'essais ( éditions Christian Bourgois ) -

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- Participation au Mois Americain -
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Commentaires
1 Ingannmic Le 16/09/2019
Sinon, très bien, cette nouvelle présentation, je trouve que les articles y sont davantage mis en valeur.
marilire Le 16/09/2019
2 rachel Le 16/09/2019
marilire Le 16/09/2019
3 Dominique Le 16/09/2019
marilire Le 17/09/2019
4 Cléanthe Le 16/09/2019
marilire Le 17/09/2019
5 Kathel Le 17/09/2019
marilire Le 17/09/2019
6 Autist Reading Le 17/09/2019
Je suis loin d'avoir lu l'intégralité des romans de Toni Morrison mais ceux que j'ai lus m'ont vraiment plu et je suis certain que j'aimerais aussi ce recueil de conférences.
marilire Le 17/09/2019
7 Ada Le 17/09/2019
Sinon, j'ai adoré cet essai, il m'a impressionnée par son intelligence, sa pertinence, sa culture. Merci d'en parler, elle mérite qu'on en parle plus, même si elle est décédée. Je dirais même : d'autant plus.
marilire Le 18/09/2019
8 niki Le 19/09/2019
marilire Le 20/09/2019
9 Enna Le 20/09/2019
marilire Le 20/09/2019
10 maggie Le 21/09/2019
marilire Le 22/09/2019
11 Alys Le 21/09/2019
marilire Le 22/09/2019
12 Tania Le 03/10/2019
marilire Le 04/10/2019
13 Annie Le 03/10/2019
Je viens de recevoir un avis de commentaire de ta part... Mais il n'y avait rien dedans. Depuis ton changement de formule de blog, j'ai l'impression que nous avons du mal à communiquer !
marilire Le 04/10/2019