La Belle de Joza - Kveta Legatova

Belle joza

- Libretto 2014 ( éditions Noir sur Blanc 2008 pour la traduction française )

- Traduit du tchèque par Eurydice Antolin, avec le concours de Hana Aubry -

Pour échapper à la Gestapo, Eliška, une jeune et brillante doctoresse tchécoslovaque, lie dans l'urgence son destin à un homme fruste, force de la nature, vendu par ses parents à l'âge de quinze ans. Quittant ainsi une vie pleine de promesses, un amant bien en vue et une belle carrière, Eliška rejoint dans les montagnes un village aux usages d'un autre temps. Pourtant, et contre toute attente, ces deux êtres vont se découvrir, tel la Belle et la Bête, et apprendre à s'aimer dans un paysage comme en suspens au-dessus de la catastrophe européenne.

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Ce court roman est un récit initiatique et un hommage à la vie. Il est triste, et pourtant cette lecture fait du bien par " l'éveil " qu'il décrit. 

Il nous raconte quelques mois dans la jeune vie d'Eliska, médecin à ses débuts à Prague durant la Seconde Guerre Mondiale. Elle participe comme messagère à un réseau de résistance sans prendre la mesure de son action. Elle n'a pas réellement pris conscience de la violence qu'impliquent l'Occupation et la clandestinité, préoccupée d'elle-même et de son histoire d'amour adultère avec un médecin renommé dont elle a été l'étudiante. Lorsque son réseau est - certainement - dénoncé, un proche collègue, qu'elle découvre responsable de ce réseau, ne lui laisse aucun délai pour son départ, sa fuite est préparée : nouveaux papiers, nouvelle identité. Il est prévu qu'elle parte avec l'un de ses patients, un paysan dont on signe en urgence l'autorisation de sortie, jusque dans son village de montagne, loin, pour y devenir son épouse. L'homme a accepté. Cet homme, c'est Joseph Janda, surnommé Joza. Pour Eliska, cette situation est une condamnation, un emprisonnement, elle se sent spoliée, humiliée, de devoir renoncer à son indépendance, à la vie promise, de lier sa vie à un homme qu'elle méprise - " mon futur mari, cet analphabète " -

Elle rejoint avec lui le village de montagne de Zelary, une zone frontalière. Oscillant entre désespoir et hystérie, elle y est confrontée à un mode de vie traditionnel, rustique, isolé, extrêmement genré, face à ce mari taiseux. 

Je me trouvais sous la coupe des traditions imbéciles d'une tribu de sauvages [...] Je me sentais abandonnée, vouée aux grâces et disgrâces que voudrait bien m'accorder ce village inexistant. Mes vieilles certitudes étaient détruites par les grondements de la rivière, dispersées par l'air saturé d'odeurs inconnues, noyées dans des trombes de couleurs allant du léger roux de la terre jusqu'au ciel changeant, en passant par les teintes de vert les plus nuancées. Dans les moments où je revenais à moi-même, je spéculais avec sang-froid sur l'instant où j'allais devenir folle ici. "

Sur les pages, nous accompagnons Eliska, suivons ses pas et son regard. Sous la plume puissante, éloquente et fine, se dessine la mue de la jeune femme.

Ce à quoi elle est confrontée, c'est à la réalité, dans ses aspects les plus rudes et frustes. Nous la voyons se débarrasser de ses oripeaux de citadine, de privilégiée, d'étudiante prometteuse. Elle touche, au sens propre comme au sens figuré, le dur de l'existence, puis la douceur et la beauté qui peuvent y être arrachées. Elle revient à elle, à ses failles, à une profondeur de pensée, de vécu, d'émotions. Rien n'est facile, elle ne se-s'y reconnaît pas, abdiquant son féminisme, son intellectualisme, sa colère, découvrant le respect. Son savoir universitaire est là-bas sans valeur. Elle apprend beaucoup, elle apprend tout, avec Lucka la vieille guérisseuse, avec les femmes, avec le prêtre même alors qu'elle a renoncé à la foi.

Je l'observais avec stupéfaction. Consolateur et berger, apparamment sans défense, je le voyais surmonter la douleur et la mort par la force de l'amour qui pardonne tout, en lequel je ne croyais pas. Jusqu'alors cet amour allait pour moi de pair avec le marmonnement étouffé de belles paroles. Je ne soupçonnais pas qu'il était vivant et faisait des miracles. Ailleurs qu'à Zelary, le prêtre qui eût appelé les choses par leur vrai nom, avec cette simplicité apostolique, aurait été déporté depuis longtemps, ou excommunié, selon le pouvoir qui se serait emparé de lui le premier. [...] Le prêtre de Zelary vivait ce qu'il prêchait. Avec une simplicité sidérante. "

Comme elle observe enfin son mari, la nature et la paix qu'il lui offre, en patience, son silence, humble, respectueux, sa présence nécessaire, pas par nécessité. 

Joza était là. Sans Joza, je serais un fragment. Ma défaite, mon asservissement. C'est justement par son incapacité à dominer qu'il m'a enchaînée à lui. "

Jusqu'à ce que la guerre parvienne jusqu'à ce village.

La prose de Kveta Lagatova est parfaite, évocatrice et sensible, sans lyrisme ni pathos complaisant, d'une réelle finesse psychologique, sans négliger chacun des personnages qui se révèlent peu à peu, comme se révèlent les paysages. 

L'autrice, de son véritable nom Vera Hofmanova ( 1919-2012 ), nous raconte une région qu'elle connaît. Enseignante, elle y a été affectée-reléguée par les autorités communistes qui la considéraient comme un " cas problématique ".

Des notes de la traductrice contextualisent à propos les noms-événements-réferences tchèques qui pourraient nous manquer.

J'ai découvert qu'il existe une adaptation cinématographique de son roman La Belle de Joza sous le titre Zelary.

Film zelary

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- Participation au mois de l'Europe de l'Est -

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Commentaires

  • Anne

    1 Anne Le 06/03/2022

    Oh ça a l'air bien ! C'est une belle initiation dans un contexte douloureux. Je note.
    marilire

    marilire Le 07/03/2022

    Un très beau roman, ne t'en prive pas !
  • Kathel

    2 Kathel Le 06/03/2022

    Un très beau souvenir de lecture (il y a sept ans !) que tu me rappelles joliment...
    marilire

    marilire Le 07/03/2022

    Ce serait donc sur tes pages que je l'ai noté, alors ( tout à fait possible vu mes délais de réaction :)). Je crois que c'est un livre que je relirai.
  • Patrice

    3 Patrice Le 06/03/2022

    Je ne peux pas juger le livre mais le film Zelary est très beau, très émouvant. L'actrice principale Ana Geislerova est très connue et appréciée en République Tchèque. Très heureux que tu aies chroniqué ce titre, merci !
    marilire

    marilire Le 07/03/2022

    J'ai très envie de voir ce film, je l'ai cherché mais il semble difficile à trouver, et pour nous ce sera en anglais. La bande-annonce m'a emballée ( alors que je suis exigeante avec les adaptations ), et puis j'ai envie de voir les paysages.
  • Barmaid aux Lettres

    4 Barmaid aux Lettres Le 07/03/2022

    J'en avais bien entendu parler ! Cela me parait toujours une excellente lecture !
    marilire

    marilire Le 07/03/2022

    Je confirme. Il dit beaucoup ce roman.
  • Dominique

    5 Dominique Le 07/03/2022

    Un roman que j'ai lu il y a environ trois ou quatre ans et que j'avais beaucoup aimé, je l'avais lu pour la nationalité de l'auteure et ses déboires avec le régime en place
    marilire

    marilire Le 07/03/2022

    Je me rends compte que j'ai très peu lu d'auteurs tchèques. Pour ce mois-ci, je débute un troisième roman de ce pays, mode rattrapage :)
  • Aifelle

    6 Aifelle Le 07/03/2022

    Je n'ai pas du tout entendu parler du film, le livre j'ai dû lire des billets mais j'ai oublié. Je note, l'histoire est très belle racontée comme tu l'as fait. Pas facile sûrement, mais un thème qui a de la consistance.
    marilire

    marilire Le 07/03/2022

    Je n'ai pas vu passer ce film non plus, j'ai bien l'impression qu'il n'a pas été projeté en France, j'ai beaucoup de mal à le trouver pour me le procurer.
  • Passage à l'Est!

    7 Passage à l'Est! Le 07/03/2022

    Le livre qui a fait l'objet de mon tout premier billet! La traduction française était encore récente à l'époque, et à l'époque je l'avais acheté uniquement parce que c'était l'un des rares livres "de l'Est" de ma librairie locale en France, mais sans rien savoir d'autre. Il s'est avéré que le libraire avait bon goût.
    En attendant, je n'ai toujours pas lu son autre livre traduit en français, Ceux de Zelary (Noir sur Blanc).
    marilire

    marilire Le 08/03/2022

    Un livre fondateur ! Le genre de lecture pour laquelle je me demande pourquoi j'ai tant tardé à la lire. J'ai regardé Ceux de Zelary, il semble très différent, un recueil de nouvelles si j'ai bien compris.
  • A_girl_from_earth

    8 A_girl_from_earth Le 10/03/2022

    Tiens, je me demande si je ne l'avais pas noté chez Kathel. Je l'avais inclus dans ma liste pour un challenge "l'Union européenne en 28 livres" il y a 8 ans, mais je peux tout à fait l'avoir noté a posteriori. Dommage, j'aurais pu profiter de ce challenge pour essayer de le caser et le lire enfin. En tout cas, tu l'as rappelé à mes souvenirs. Je vais tâcher de ne plus trop tarder à le lire.:)
    marilire

    marilire Le 12/03/2022

    Je vois bien, j'ai des listes historiques aussi. Je crois que tu ne seras pas déçue.
  • Lilly

    9 Lilly Le 27/03/2022

    Un très beau souvenir de lecture pour moi également.

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