La maison préservée - Willem Frederik Hermans

La maison preservee

- Gallimard - 2023 -

- Traduit du néerlandais par Daniel Cunin -

.

Curieuse je suis. Lorsque j'ai vu ce court roman ( environ 70 pages ) datant de 1952 d'un auteur néerlandais présenté comme un classique parmi les nouvelles publications Gallimard, j'ai cédé à l'appel. 

La maison préservée est le troisième roman de Willem Frederik Hermans ( 1921 - 1995 ) traduit en français, un texte fort, dense, tout en atmosphère.

Durant la guerre, certainement en 1944, le narrateur, hollandais sans nom, est enrôlé dans une troupe de soldats russes constituée de partisans de l'Est, suite à ses péripéties de prisonnier-évadé. 

" Je pensai à un Espagnol qui, un matin, m'avait demandé une allumette. Il connaissait quelques mots de français. De la troupe se composant de partisans bulgares, tchèques, hongrois et roumains, je ne comprenais personne. J'ai quitté la Hollande depuis quand ? me demandais-je. A l'étranger sans discontinuer, dans différents pays, partout la même obscurité dans les villes, le soir venu, et en fin de compte plus un seul individu à qui m'adresser. En Allemagne, au moins, il m'avait été possible d'écouter, mine de rien, les conversations. Mais à présent, tout ce que j'entendais se résumait à du bruit et à rien d'autre."

Cette incommunicabilité, cette perte de repères, temporels et géographiques, ce sentiment d'absurde et d'abandon presque, crée une distorsion dans l'esprit du narrateur, une distance avec les événements. Il ne comprend pas les ordres de mission, il perçoit les tirs, en vient à se demander s'il n'est pas devenu un fantôme, la mort omniprésente. Une âme errante. 

La troupe parvient dans une ville thermale désertée. Là, il pénètre dans une belle " maison préservée ", inquiet d'abord par les traces de présences récentes, puis fasciné, envoûté par les lieux, ses pièces, leur confort, tout ce qui le renvoie à une vie loin de la guerre, protégée.

" Une fois dans la propriété, et alors que je parcourais sans me presser la déclivité jusqu'au perron, je pris conscience que, pour la première fois depuis longtemps, j'allais entrer dans une vraie maison, une véritable habitation. J'avais dormi dans des prisons, dans des baraquements, sur la paille de salles de classe, une fois aussi sous un camion, sur des bottes de foin, dans des wagons de marchandises... Depuis trois ans, je dormais uniquement dans des abris où les gens ne font autre chose que travailler ou attendre quand ils ne sont pas prisonniers : gare, commissariat, grange, sans oublier une semaine dans un hôpital.[...] J'étais pareil à un homme qui, venant de retrouver un objet perdu, le touche et le tâte pour s'assurer qu'il est bien de nouveau en sa possession."

Notre narrateur s'y installe en propriétaire, se débarassant de son uniforme, disposant de ce qu'il trouve dans la maison. Il entend toujours le fracas des combats, ne s'en préoccupe pas. Des fenêtres sur le jardin, il ne voit rien. La maison comme un refuge, un présent infini. 

Les combats se poursuivent. Les troupes allemandes prennent la ville, s'annoncent devant la maison, réquisitionnent pour loger des officiers. Notre narrateur obtempère. Chacun de ses actes sera guidé par cette unique volonté, préserver la maison, préserver sa maison.

Rester ici pour toujours, songeais-je, ici rien ne peut m'arriver. Je ne remarquerai rien si le monde entier vient à disparaître, dans la mesure où cette maison, ce gazon, tout ce que je vois autour de moi, reste identique."

Mais une maison ne suffit pas à s'abriter du temps et des temps.

Il y a une beauté sombre et amère dans ce récit désenchanté, il y a l'intime, les profondeurs de l'âme humaine soumise à la violence et à la survie, " une poésie noire " selon la formule de Milan Kundera qui qualifiait ainsi l'écriture de Willem Frederik Hermans.

*

Commentaires

  • nathalie

    1 nathalie Le 04/05/2023

    Un auteur classique, abondamment repéré, mais que je n'ai toujours pas lu. Et pourtant il y en a sur mes étagères. Ce titre-ci a l'air très beau également, je vais le noter de ce pas.
    marilire

    marilire Le 05/05/2023

    J'espère que tu nous présenteras le titre qui attend sur tes étagères.
  • Dominique

    2 Dominique Le 04/05/2023

    Une jolie idée de lecture j'aime bien la littérature flamande et Néerlandaise
    marilire

    marilire Le 05/05/2023

    Je connais peu cette littérature, je crois que ce titre va me rester.
  • Aifelle

    3 Aifelle Le 05/05/2023

    Je ne connais pas cet auteur ; c'est intrigant ce que tu dis de ce roman, tu me donnes envie de le découvrir à mon tour.
    marilire

    marilire Le 05/05/2023

    C'est un roman très court, prenant. Il vaut la découverte.
  • Anne

    4 Anne Le 05/05/2023

    Encore une découverte grâce à toi. J'aime les romans où la maison a une grande importance, voire est un personnage.
    marilire

    marilire Le 05/05/2023

    Dans ce roman, c'est le lieu symbolique, un personnage tragique.
  • Bonheur du Jour

    5 Bonheur du Jour Le 13/05/2023

    A découvrir pour moi. Il n'y a de lui, à la médiathèque que "Ne plus jamais dormir". Je l'ai mis sur ma liste d'envies.
    Merci et bon week end.
  • Tania

    6 Tania Le 22/05/2023

    Voilà qui me donne envie d'entrer dans ce livre et dans cette maison, merci.

Ajouter un commentaire