La neuvième heure - Alice McDermott

La neuvieme heure

- Quai Voltaire/La Table Ronde 2018 - Folio 2020

- Traduit de l'anglais ( Etats-Unis ) par Cécile Arnaud -

Jim referme la porte derrière sa femme Annie qu'il a envoyée faire des courses. Il enroule alors son pardessus dans le sens de la longueur et le pose au pied de cette même porte. A son retour, c'est un miracle si Annie ne fait pas sauter la maison entière en craquant une allumette dans l'appartement rempli de gaz. En ce début de XXe siècle, dans la communauté irlandaise de Brooklyn, le sens des convenances, la superstition et la honte s'allient pour effacer le suicide de Jim. Enceinte, sa jeune veuve est recueillie par une congrégation de soeurs soignantes. Annie puis sa fille Sally vont s'épanouir sous le regard bienveillant des nonnes. 

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Reprise en douceur avec ce joli roman, parfait pour revenir à la lecture, avec ses personnages attachants, plus complexes qu'ils ne peuvent paraître, avec ses chapitres comme des séquences, des moments.

Ce que nous devons faire, dit-elle enfin, c'est avancer pas à pas. "

Si le contexte est rude, la plume est délicate, d'une profonde humanité.

Ce roman décliné au féminin s'étire dans le temps, il accompagne ses femmes le long de leur vie. Ses femmes, au premier abord, ce sont la jeune veuve et sa fille à naître, mais aussi les Soeurs qui vont partager sa vie ainsi qu'une épouse handicapée qui bénéficie de leurs soins et une voisine, mère de famille nombreuse, devenue amie. C'est un tableau vivant de Brooklyn au début su siècle, de l'immigration irlandaise, et " des règles de l'Eglise, les réglements municipaux et ce que soeur Miriam appelait les règles de la bonne société - qui compliquaient la vie des femmes : des femmes catholiques en particulier et des femmes pauvres en général. "

Ce roman raconte autant les soeurs, leurs souvenirs, leurs expériences, leurs vie " d'avant ", leurs défauts de caractère, leur foi et leur interprétation de la pratique de cette foi comme de la présence de Dieu. Sans pesanteur. Ce qui m'a frappée lors de ma lecture, c'est ce magnifique paradoxe de ses soeurs soignantes : alors même que leur choix est spirituel, porté vers une forme de détachement et de pureté, elles se vouent à une vie on ne peut plus concrète. Elles en savent long sur la misère humaine sous tous ses aspects, sur la réalité des corps, par la maternité, la maladie, la vieillesse; elles en savent long sur les couples, sur l'amour, sur la famille, sur les relations homme-femme, sur le pouvoir de l'argent. Elles connaissent " la faim ", de nourriture comme de chaleur, de sécurité, d'affection. 

" Un jour, comme elle était jeune religieuse, elle avait été envoyée dans un appartement sordide, plein d'enfants misérables, où une femme squelettique, livide et tellement vieillie par la maladie qu'elle avait presque perdu forme humaine, souffrait les dernières douleurs de l'agonie. " Il n'y a plus rien à faire ", l'avait avertie soeur Miriam avant d'ouvrir la porte. Puis quand elles étaient entrées - qu'elles avaient perçu l'épouvantable odeur animale de pourriture, les gémissements rauques de la femme, le silence apeuré des enfants affamés - ell avait ajouté : " Faites ce que vous pouvez. " 

Toutefois, ce roman n'est pas une chronique religieuse, il ne s'agit pas d'une hagiographie. Un fil se déroule et se dénoue autour de Sally - la fille de la jeune veuve. La narration est bien menée, portée par les enfants, devenus adultes, qui reviennent sur ces histoires familiales. Il y a une indulgence sous le réalisme crû, un sourire amusé sous l'acuité du regard, de belles émotions.

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- Participation au Mois américain -

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Commentaires

  • lcath

    1 lcath Le 01/09/2020

    Intéressant comme sujet !
    marilire

    marilire Le 02/09/2020

    Une approche différente de la condition des femmes à cette époque.
  • rachel

    2 rachel Le 02/09/2020

    Oh tu en parles si bien...tout en douceur en tout cas....
    marilire

    marilire Le 02/09/2020

    C'est juste, malgré le contexte, il y a une douceur sur les pages.
  • Ingannmic

    3 Ingannmic Le 02/09/2020

    Oh non mon commentaire a encore disparu..
    Grrr, bon je disais que cet avis est très tentant, notamment pour le parallèle entre la noirceur du fond et la délicatesse de l'écriture, et j'en profite pour te demander si c'est toujours OK pour notre LC du 25 (en tous cas, c'est bon pour moi) ?
    marilire

    marilire Le 02/09/2020

    L'été n'a pas du tout été propice à la lecture, trop de charges ( gros travaux - grosse fatigue et emménagement ), j'essaie de reprendre le rythme, la lecture m'a manquée. Je n'ai pas oublié notre rendez-vous, il est prioritaire, je serai présente.
  • eimelle

    4 eimelle Le 02/09/2020

    ça a l'air bien fait!
    marilire

    marilire Le 02/09/2020

    Oui, la lecture est prenante.
  • Kathel

    5 Kathel Le 02/09/2020

    J'ai déjà noté cette auteure, mais jamais lue... (Someone me tente aussi). Ce que tu en dis confirme cette impression que j'aimerais.
    Bravo pour le retour à l'écriture ! ;-)
    marilire

    marilire Le 02/09/2020

    Merci ^-^. Ce qu'on appelle une heureuse surprise que cette lecture. Je ne sais pourquoi, depuis que j'ai vu ce roman lors de sa parution en poche, il me tentait. J'ai eu raison de céder à la tentation :). Peut-être la motivation à relire américain rapidement tiendra-t-elle malgré un programme déjà chargé.
  • Dominique

    6 Dominique Le 03/09/2020

    heureuse de te retrouver

    c'est un roman que j'ai beaucoup apprécié je l'ai chroniqué l'an dernier et j'en garde un très bon souvenir
    marilire

    marilire Le 05/09/2020

    Il est bien possible que ce soit chez toi que je l'ai remarqué alors !
  • Lilly

    7 Lilly Le 03/09/2020

    Sur le papier il ne me tentait pas, mais les avis sont unanimes.
    marilire

    marilire Le 05/09/2020

    Je crois que ce roman a une délicatesse qui fait chaud au coeur, c'st sûrement pour cela que nous en gardons un souvenir de lecture si agréable.
  • Goran

    8 Goran Le 04/09/2020

    Beau retour avec cette intéressante critique...
    marilire

    marilire Le 05/09/2020

    Merci. Bon retour à toi aussi.
  • Anne

    9 Anne Le 05/09/2020

    Chouette retour ! J'ai l'impression d'avoir déjà lu un roman d'Alice McDermott, mais lequel ?? Pas celui-ci en tout cas, dont je note le titre !
    marilire

    marilire Le 06/09/2020

    Je me demandais justement si tu l'avais déjà lu, je crois qu'il te plaira autant qu'à moi.

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