La note américaine - David Grann

Note americaine

- Editions Globe - 2018 -

- Traduit de l'anglais ( Etats-Unis ) par Cyril Gay -

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David Grann est journaliste, également auteur de plusieurs livres non-fiction ( dont The lost city of Z, film décevant, pourtant le récit est très intéressant ). David Grann enquête; une enquête colossale, approfondie, minutieuse, qui nécessita plusieurs années de recherches.

Ce livre, ce pourrait être un roman noir, un roman noir de l'histoire américaine, j'ai parfois eu l'impression de relire Ellroy. Mais il ne s'agit pas de fiction même si tout le récit de cette enquête se lit sans difficulté malgré tous les protagonistes cités, impliqués, malgré toutes les imbrications - fausses pistes.

Le titre original est Killers of the Flower Moon. The Osage Murders and the birth of the FBI.

Ce livre revient sur le monstrueux scandale d'assassinats et de spoliations dont furent victimes les Indiens Osage au début du XXème siècle car les sols des terres de leur réserve recelaient des gisements de pétrole. Par les dividendes sur le prix des parcelles exploitées par des magnats du pétrole, les Indiens Osage devinrent riches, situation inédite qui exacerba le racisme et suscita les convoitises, attirant les prédateurs.

Un journaliste du Harper's Monthly Magazine écrivit : Jusqu'où cela ira-t-il ? Chaque fois qu'un nouveau puits est ouvert, les Indiens s'enrichissent encore plus. Puis le journaliste ajouta : Les Osages accumulent de telles richesses qu'il va falloir agir. 

De plus en plus d'Américains blancs exprimaient leur colère face à la prospérité des Osages, et cette indignation était attisée par la presse.  "

Dans cette presse, il ne sera pas question des excès des barons du pétrole qui exploitent les gisements.

Ce récit, c'est un rapport circonstancié, terrible, édifiant, révoltant, morbide. L'auteur parvient, tout en gardant une distance, à véritablement faire vivre les protagonistes, à rendre le contexte. Pas seulement le contexte de l'enquête, le contexte américain. L'époque est particulière, ce sont les années 1920, la prohibition, la fin de la conquête de l'Ouest, l'industrialisation avant le krack de 1929. Ce livre est passionnant malgré l'horreur du sujet parce qu'il raconte aussi cette période de changements, et ce avec précision.

J'ai notamment beaucoup appris sur la justice et la police américaines, sur l'évolution à cette période des organes de police, des méthodes d'enquête. C'est le début de la police scientifique. Et sur la nécessité d'une police nationale, fédérale. C'est pourquoi ce récit raconte également la " naissance du FBI " parce que ce sera la résolution de ce scandale qui validera, confirmera, les compétences et prérogatives d'une agence fédérale d'investigations. 

On composa rapidement une enquête de coroner composé du juge de paix et d'un jury. Ce type d'enquête était courant à l'époque, où les simples citoyens devaient assumer le lourd fardeau des enquêtes criminelles et du maintien de l'ordre. Bien des années après la Révolution américaine, l'opinion publique restait hostile à la création de services de police, craignant qu'ils ne deviennent le bras armé de la répression. Les citoyens préféraient répondre aux cris de la foule en traquant eux-mêmes les suspects. [...]. Ce n'est qu'au milieu du XIXème siècle, après l'essor des villes industrielles et les vagues d'émeutes urbaines - après que la peur des prétendues classes dangereuses n'eut supplanté la peur de l'Etat -, que les services de polices firent leur apparition aux Etats-Unis. Au moment de la mort d'Anna, ce genre d'organisation policière prise en main par les citoyens avait déjà été remplacée, mais certains de ses vestiges étaient toujours d'actualité, tout particulièrement dans ces contrées aux confins géographiques et historiques du pays. [ ...] A cette époque, les policiers étaient encore pour la plupart des amateurs. Il était rare qu'ils aient suivi une formation ou se soient confrontés aux récentes méthodes d'enquêtes scientifiques, tout particulièrement en matière d'empreintes et de traces de sang. Les shérifs de la Frontière, particulièrement inexpérimentés, étaient surtout des as de la gâchette et des pisteurs. On attendait d'eux qu'ils dissuadent leurs concitoyens de commettre des actes criminels et appréhendent les bandits armés, vivants si possible, morts si nécessaire. "

David Grann nous plonge pleinement dans l'Histoire et les histoires, rappelant le parcours des Indiens Osage jusqu'à cette réserve, le développement de cette réserve, l'installation de Blancs; il nous présente cette communauté à travers des portraits biographiques et de nombreuses photographies issues des moult archives qu'il a consultées. 

La découverte et l'exploitation de ces gisements de pétrole fut une rage et une folie pire encore que la ruée vers l'or qui ne libéra pas les Indiens. Ils étaient soumis à des curateurs blancs pour gérer leur argent, les commerçants leur appliquaient des tarifs " spéciaux ". Ils subissaient tout de même le confinement, l'acculturation par l'assimilation forcée ( enfants placés dans des institutions catholiques pour les " éduquer " avec interdiction de parler leur langue ). Lorsque les gisements furent exploités, il y avait déjà de nombreux mariages mixtes. Pourtant, les mentalités avaient peu évoluées, c'était encore celle de l'Ouest.

- " La prohibition ne faisait qu'accroitre le sentiment d'impunité sur le territoire en répandant le crime organisé et en créant selon les termes d'un historien la plus grande aubaine criminelle de l'histoire américaine. D'autres régions des Etats-Unis étaient tout aussi chaotiques que le comté d'Osage, là où les codes tacites de l'Ouest et les liens traditionnels entre communautés s'étaient délités. L'argent du pétrole en était venu à dépasser la valeur totale de toutes les ruées vers l'or combinées, et cette fortune avait attiré des vauriens de tout poil venus des quatre coins du pays. "

Chronologiquement, nous suivons l'enquête, ou plutôt les enquêtes, entre exécutions, empoisonnements, attentats, mensonges et corruptions, disparitions de documents, de témoins. L'affaire est à la limite du complot, l'exploitation des gisements devenue synonyme d'exploitation des Indiens Osage par la population blanche des curateurs et notables.

Finalement, cette enquête sera confiée au gouvernement fédéral. Le BOI - Bureau of Investigations, agence obscure du ministère de la justice, qui, en 1935, sera rebaptisé Federal Bureau of Investigation - existait déjà. Le jeune J.Edgar Hoover venait d'y être nommé à la direction. Il désirait conserver ce poste et rénover le Bureau, le moderniser. Cette enquête sera la première grande enquête du Bureau. Hoover missionna l'agent Tom White qui constitua une équipe, principalement d'agents infiltrés. Il avait compris que cela était nécessaire pour contrer la corruption et les manipulations en cours. 

David Grann nous entraine à la suite de T.White et de son équipe, présentant chacun. C'est un hommage qui est rendu à l'opiniâtreté et la fermeté de ces hommes. Ils parviendront peu à peu à dénouer la " conspiration ". Et c'est le long et tortueux procès que nous suivons ensuite; ce procès où se pose la question, qui ne sera jamais abordée, du jury blanc pour condamner des Blancs ayant exploité et tué des Indiens...

Cet Indian business, ainsi qu'on l'appelait, était une opération criminelle complexe qui impliquait plusieurs secteurs de la société. Les curateurs et administrateurs corrompus faisaient partie des citoyens les plus éminents aux côtés des hommes d'affaires, des éleveurs, des avocats et des politiciens. On pouvait aussi compter sur les forces de l'ordre, les procureurs et les juges pour faciliter les transactions et blanchir le produit des arnaques. "

Cette affaire de l'Indien Business sera le succès, la vitrine, du Bureau, démontrant que le pays avait besoin d'une police nationale composée de professionnels ayant suivi une formation technique et scientifique. [...] Hoover avait réussi à créer un mythe fondateur dans lequel le Bureau avait émergé du chaos sous sa direction pour venir à bout de la dernière trace du Far West sauvage.  

David Grann nous emmène avec lui jusqu'au bout de l'histoire officielle, revenant dans les derniers chapitres sur les séjours qu'il a effectués dans le comté Osage, pour ses recherches, pour rencontrer les descendants. Pour la première fois dans le récit, il intervient directement, nous rappelant que certains assassinats n'ont pas été résolus, que certaines enquêtes n'ont pas été menées à terme, qu'il reste encore aujourd'hui des zones d'ombres et une mémoire inquiète et douloureuse de ces années désignées comme Le règne de la terreur.

Lors d'une séance au Congrès, un chef déclara ceci : les Blancs nous ont regroupés ici dans ce coin perdu, l'endroit le plus aride des Etats-Unis, en pensant : " on va envoyer ces Indiens dans la rocaille et on les laissera là. " Maintenant que ces cailloux valent des millions, tout le monde veut venir ici et repartir les poches pleines. "

Une lecture indispensable pour qui s'intéresse à l'histoire américaine. 

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- Le billet de Annie - celui de Keisha -

- David Grann sera présent aux Quais du Polar à Lyon ( 29-31 mars 2019 )

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Commentaires

  • Lili

    1 Lili Le 28/01/2019

    Quand on voit ce qui se passe encore aujourd'hui exactement pour les mêmes raisons sur ce même continent Américain, j'ai quand même un peu envie de pleurer.
    Ce livre-là, je le lirai, c'est sûr. Mais plus tard.
  • keisha

    2 keisha Le 28/01/2019

    Oh que oui ces bouquins sont encore meilleurs que des romans!
  • keisha

    3 keisha Le 28/01/2019

    Wahou super, les commentaires passent de mon ordinateur!
  • Kathel

    4 Kathel Le 28/01/2019

    Déjà repéré chez Keisha, il y a vraiment des pépites chez cet éditeur...
    J'espère pouvoir écouter David Grann aux Quais du Polar !
  • Anne

    5 Anne Le 28/01/2019

    Je trouve déjà la couverture elle-même glaçante avec ces personnages figés...
  • Marilyne

    6 Marilyne Le 28/01/2019

    @ Lili : il me semble important de le lire, ne serait-ce que pour l'historique des mécanismes et un devoir de mémoire. D'autant que comme tu le soulignes... et pas seulement aux USA, sur tout le continent américain il y a eu cette acculturation et assimilation forcée des populations natives. J'ai eu la chance de discuter avec la poétesse québécoise Joséphine Bacon, une femme solaire, une poésie magnifique et pourtant le français, cette langue lui a été littéralement imposée. C'était dur à entendre pour moi qui étais professeur FLE à cette époque, qui voyait l'apprentissage du français comme une façon d'accéder à une certaine liberté...
  • Marilyne

    7 Marilyne Le 28/01/2019

    @ Keisha : je suis bien d'accord ! Sur certains sujets, on ne peut pas se contenter d'un roman. ( Yes pour les commentaires :))

    @ Kathel : tout pareil ! J'ai hâte de connaître le programme des interventions.

    @ Anne : ah, les photographies d'époque bien statiques... sur cette couverture, il s'agit d'un couple. La famille de cette femme a été décimée lors du " règne de la terreur ".
  • Ingannmic

    8 Ingannmic Le 28/01/2019

    J'ai prévu de lire bientôt dans le cadre d'une LC, ça a l'air d'être un récit à la fois bouleversant et édifiant!
  • Sandrine

    9 Sandrine Le 29/01/2019

    Je veux lire ça !!!
  • Marilyne

    10 Marilyne Le 29/01/2019

    @ Ingannmic : tu ne regretteras pas cette lecture malgré le révoltant ! Je n'ai pas pu la lâcher une fois commencée.

    @ Sandrine : absolument !
  • Lili

    11 Lili Le 30/01/2019

    Tu as parfaitement raison, le devoir de mémoire et la compréhension des événements est cruciale. Ce qui me donne plutôt envie de pleurer, en fait, c'est de m'apercevoir fréquemment que les personnes qui ont cette pensée sont déjà convaincues, finalement. Quant aux autres... elles continuent de faire la pluie et le beau temps (surtout la pluie) avec les ressources et les êtres. (Voilà, c'était la minute pessimiste ahaha.)
  • Annie

    12 Annie Le 30/01/2019

    Merci pour ce billet, Maryline et ce renvoi vers le moi. J'avais vraiment beaucoup aimé ce livre passionnant et hélas édifiant.
  • Jérôme

    13 Jérôme Le 30/01/2019

    J'imagine à quel point cette lecture doit être aussi fascinante qu'effrayante.
  • Marilyne

    14 Marilyne Le 31/01/2019

    @ Lili : ta remarque est juste, ton pessimisme justifié. Et pourtant, il ne faut pas oublier qu'il y a aussi ces personnes convaincues.

    @ Annie : merci à toi qui a confirmé mon intérêt pour cette lecture par ton billet.

    @ Jérôme : c'est exactement ça !
  • maggie

    15 maggie Le 05/02/2019

    Dommage, je ne pourrais pas à aller à cet événement. Ca m'aurait bien plu, c'est un genre que j'aime bien. J'avais déjà noté ce roman que j'ai vu sur plusieurs blogs et ça a l'air passionnant.
  • Marilyne

    16 Marilyne Le 05/02/2019

    @ Maggie : attention, ce n'est pas un roman mais une enquête véritable. Il est vrai que la réalité y dépasse la fiction...
    Dommage, oui, pour les Quais du Polar, cela aurait été l'occasion de se croiser :)
  • maggie

    17 maggie Le 26/03/2019

    J'espère qu'on aura d'autres occasion de se voir. J'ai vu que tu avais été cette année au salon du livres... J'y suis déjà allée. Un autre fois peut-être. En tout cas, j'ai quand même rencontré l'auteur ! Je viens d'acheter ses trois livres dont la note américaine !
  • Marilyne

    18 Marilyne Le 27/03/2019

    @ Maggie : ce serait bien de parvenir à se rencontrer !
    oh, tu as été gourmande, trois livres ;)

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