La petite-fille - B.Schlink

Petite fille schlink

- Gallimard - 2023 -

- Traduit de l'allemand par Bernard Lortholary -

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À la mort de son épouse Birgit, Kaspar découvre un pan de sa vie qu'il avait toujours ignoré : avant de quitter la RDA pour passer à l'Ouest en 1965, Birgit avait abandonné un bébé à la naissance.Intrigué, Kaspar ferme sa librairie à Berlin et part à la recherche de cette belle-fille inconnue. Son enquête le conduit jusqu'à Svenja, qui mène une tout autre vie que lui : restée en Allemagne de l'Est, elle a épousé un néo-nazi et élevé dans cette doctrine une fille nommée Sigrun. Kaspar serait prêt à voir en elles les membres d'une nouvelle famille. Mais leurs différences idéologiques font obstacle : comment comprendre qu'une adolescente, par ailleurs intelligente, puisse soutenir des théories complotistes et racistes ? Comment l'amour peut-il naître dans ce climat de méfiance et de haine ?

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L'auteur du Liseur signe avec La petite-fille un grand roman sociétal de l'Allemagne contemporaine face à son passé, dans lequel j'ai retrouvé le souffle narratif de son magnifique roman Olga.

J'ai peu lu de romans ces derniers mois, celui-ci m'a happée. Il se déroule en trois temps- trois parties, chacun revenant sur une période historique mettant en cause une " identité allemande ", questionnant ce que serait cette identité. Ce roman nous parle d'héritages à assumer, de mémoire nationale, de divisions et de cicatrices, à travers le nazisme et la RDA; il nous parle également de la vision de l'histoire, de son interprétation jusqu'au négationnisme, de la fracture malgré la réunification des territoires. Ainsi, dans ce roman est mis en évidence la difficulté de certains personnages à trouver leur place dans la société allemande.

Dans la première partie, c'est de l'Allemagne de l'Est qu'il s'agit, de la souffrance de la jeune Birgit, évadée de Berlin Est grâce à l'amour de Kaspar, étudiant de Berlin Ouest. Birgit, bien que sérieuse et volontaire, mariée à Kaspar devenu libraire et installée, bien qu'elle ait eu l'opportunité de reprendre des études, de tenter différentes expériences intellectuelles, spirituelles et professionnelles, ne parvient pas à se défaire d'un sentiment de " vide et de tristesse ", une forme de mélancolie, un malaise. Si elle ne regrette pas d'avoir quitté la RDA et les spectres nazis familiaux, elle s'en sent toujours imprégnée, comme décalée, comme étrangère dans la société de l'Ouest. Ses " origines " apparaissent dans ses modes de pensée.

" La mère disait aussi qu'il avait été un héros, ce qu'on n'avait plus le droit de dire, et un bon mari et un bon père. Il se dressait au-dessus de la petite-fille, il se dressait aussi au-dessus de la grande fille. "

" Si l'on vit dans un pays sous un mauvais régime, on espère un changement, et un jour il advient. A la place du mauvais régime, un bon se met en place. Quand on a été contre, on peut de nouveau être pour. Si l'on a dû s'exiler, on peut revenir. Le pays, pour ceux qui sont restés et pour ceux qui sont partis, est à nouveau leur pays, le pays dont ils rêvaient. La RDA ne deviendra jamais le pays dont on rêvait. Elle n'existe plus. Ceux qui sont restés ne peuvent plus se réjouir. Ceux qui sont partis ne peuvent plus y revenir; leur exil est sans fin. D'où le vide. Le pays et le rêve sont perdus irrémédiablement. Cette perte irrémédiable ne me rend pas triste. Mais le vide me rend triste. Le vide, la douleur du vide, la douleur."

A son décès, son mari découvre ses écrits, un projet de roman autobiographique jamais réellement mené, dans lequel elle relate ce parcours affectif et psychologique. Sur les pages, c'est un récit dans le récit - la version de l'histoire et de l'Histoire de Birgit - qui dévoile aux lecteurs ainsi qu'à Kaspar cette blessure du déracinement, vécue finalement comme un exil même s'il a été choisi. La blessure reste d'autant plus vive que Birgit était enceinte d'une enfant illégitime avant son départ qu'elle a abandonnée à sa naissance en RDA. Ses dernières années, elle tentait des recherches pour la retrouver.

Cette recherche est reprise par Kaspar en seconde partie. Par cette quête, il retourne dans les territoires de l'ex RDA, un voyage dans le passé, intime et national. Et dans le présent : lorsqu'il retrouve Svenja, la fille de Birgit, il rencontre également Sigrun - 14 ans -, la petite-fille, dans une communauté de néoruraux Völkisch vivant dans un " village national libéré " : ultra nationaliste, traditionnelle et profondément ancrée dans la mythologie germanique, négationniste, la communauté Völkisch vit refermée sur ses certitudes et ses rituels : fêtes, chants, vêtements dont le dirndl ( la robe traditionnelle que l'on voit parfois en Bavière et en Autriche ) pour les filles ( " pas de cinéma, de jeans, de cigarette, de rouge à lèvre " ... ). Certains des membres viennent des mouvements violents skins et néonazis. Kaspar n'y est pas bienvenu. Malgré les provocations, il s'immisce dans la vie de la jeune fille, obtient qu'elle le visite plusieurs semaines par an. Il lui fait découvrir Berlin, il espère ouvrir son horizon, lui proposer un discours alternatif à celui de ses parents et de sa communauté, s'interroge longuement sur la façon de communiquer, de lui permettre d'entendre d'autres voix, sans confrontations. Ce sera par la lecture, l'art et par la musique, par les leçons de piano qu'il lui offre.

A Berlin, Kaspar emmène Sigrun à la Neue Wache, un mémorial dans lequel est exposée une sculpture de Käthe Kollwitz, une pieta. 

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Pieta koolwitz 

- En savoir plus ICI

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" - C'est une mère allemande avec son fils mort ?

- Oui, mais à son inauguration, beaucoup ont trouvé que, certes, on commémorait là les victimes allemandes de la guerre, mais pas les victimes de la ditature allemande. D'où le texte au sol. 

- Aux victimes de la guerre et de la dictature, lut Sigrun, et elle secoua la tête. Pourquoi pas aux victimes allemandes ? Pourquoi ne pouvons-nous pas nous souveir de nos victimes et les autres des leurs ? 

- Dans la mort tous sont égaux. Et il est bon de ne pas se souvenir seulement de ce qu'on a subi, mais aussi de ce que l'on a infligé à d'autres.

- Toujours les autres.

- Non, Sigrun, aussi les autres. "

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Le roman, dans cette partie, n'a rien de mièvre, de facile, il n'y a pas de révélation, mais des petits pas en avant, quelques pas en arrière. Kaspar, à soixante-dix ans, est tenace face à l'épreuve, parce que ce roman, politique, historique, est un roman d'amour. 

La troisième partie, en épilogue, laisse la porte grande ouverte à Sigrun, majeure, à ses épreuves pour se trouver, trouver sa place, mieux que sa grand-mère, sans se retourner.

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" Cela m'a aussi gâché mes études. Je ne me sentais pas intégrée. [...]. Ou je craignais que l'un des dégourdis trouve exotique mon origine et m'adresse la parole après le cours et que je me sente uniquement inférieure et horriblement mal. Et rien n'était pris au sérieux. Je voulais savoir qui était l'auteur, quand et pour quelle raison et dans quelle intention il avait écrit le texte, je voulais connaître l'effet qu'avait eu le texte à son époque et éprouver l'effet qu'il avait aujourd'hui, je voulais me trouver dans le texte et me laisser atteindre et changer par lui, voir sa force, sa beauté, sa grandeur et les comprendre et les aimer. A l'université, personne ne voulait voir et comprendre la force, la beauté et la grandeur des textes, ou se laisser atteindre et changer par eux. "

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- Le billet de Dominique -

- Bernhard Schlink est également auteur de romans policiers, toujours inscrits dans l'histoire allemande : Un hiver à Mannheim ICI -

- Parmi les articles consacrés à l'art que je me promettais de publier sur ce blog, il y avait l'oeuvre de Käthe Kollwitz. Promesses de printemps ? -

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Commentaires

  • Aifelle

    1 Aifelle Le 01/05/2023

    Je l'ai terminé récemment, je vais faire un billet. Un livre qui m'a intéressée, mais moins que je ne l'aurais cru.
    marilire

    marilire Le 02/05/2023

    Ah, j'attends donc ton billet :)
  • niki

    2 niki Le 01/05/2023

    voilà qui m'intéresse, je ne connais qu'un livre de cet auteur
    marilire

    marilire Le 02/05/2023

    Le Liseur ? Si tu n'as pas lu Olga, je recommande encore.
  • Dominique

    3 Dominique Le 02/05/2023

    Un roman qui m'a très fortement touchée il faut dire que j'ai eu l'occasion de cotoyer des allemands de l'est avant la réunification mais aussi après avec les difficultés qu'ils ont connu et ce livre me parait d'une très grande justesse et surtout d'un regard à la fois bienveillant mais regardant en face les difficultés et ne les minimisant pas
    pour moi un grand roman sur cette période
    marilire

    marilire Le 02/05/2023

    Je te rejoins, un grand roman, qui permet d'approcher l'Allemagne contemporaine. Je n'ai pas tant d'expériences que toi sur le sujet mais je me souviens de longues discussions avec des amis allemands de l'Ouest.
  • Kathel

    4 Kathel Le 02/05/2023

    Merci de ce retour, je compte bien le lire car c'est un auteur que j'apprécie beaucoup et qui ne m'a jamais déçue, ou alors je l'ai oublié ! ;-)
    marilire

    marilire Le 02/05/2023

    Je me disais bien que ce roman allait passer par toi. De mon côté, j'envisage de récidiver côté polar.
  • Lilly

    5 Lilly Le 03/05/2023

    Une lecture qui semble dans la lignée des oeuvres de Schlink. Il me tente beaucoup.
    marilire

    marilire Le 05/05/2023

    On y retrouve ses grands thèmes.
  • Céline

    6 Céline Le 03/05/2023

    Ayant beaucoup aimé "Olga", je pense me laisser tenter par celui-ci
    marilire

    marilire Le 05/05/2023

    Je ne crois pas que tu seras déçue.
  • Parisianne

    7 Parisianne Le 05/05/2023

    Bonjour,
    Merci de cette belle chronique. Je suis en cours de lecture et j’anime beaucoup la justesse du ton, la sensibilité sans mièvrerie.
    Bonne journée
    Anne
    marilire

    marilire Le 05/05/2023

    Alors j'attends votre retour de lecture. Merci de votre visite.
  • keisha

    8 keisha Le 17/05/2023

    Intéressant, bien sûr, mais des longueurs, j'étais perdue, je ne connais pas assez le contexte, ça restait 'froid'
  • Sibylline

    9 Sibylline Le 04/06/2023

    Je l'ai vraiment beaucoup aimé moi aussi. J'ai été pleinement convaincue et j'ai fait un billet.

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