
- Glénat - 2022 -
- Scénario : Teresa Radice - Dessin : Stefano Turconi -
- Traduit par Frédéric Brémaud -
Trois hommes, un Russe, un Allemand et un Italien s'échappent d'une prison à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Ils ne se connaissent pas, ne se comprennent pas et n’ont d’ailleurs rien en commun. Pourtant, pendant ce voyage sous pression, ils seront obligés de collaborer et de révéler leurs secrets… Face à l’urgence et aux dangers de la traque, le lien qui les unit les transformera et marquera leurs existences.
.
" La locomotive siffla, le clairon ordonna le départ et le train, ce long train qui allait vers l'Est et transportait tous ces chasseurs alpins, dans un bruit de ferraille abominable, reprit sa route vers la guerre. " - Mario Rigoni Stern - La chasse aux coqs de bruyère.
Magnifique. Cette BD est de toute beauté, récit et graphisme.
Le récit débute en mars 1943, en Russie, aux monastères des îles Solovetskij, sur la Mer Blanche, devenus bases militaires et prisons. Deux hommes s'évadent, l'hauptgefreiter Volker Werner surnommé Fuchs ( renard ), le chasseur alpin italien Attilio Limonta issu " d'un village sur les monts du lac de Côme ", entraînant dans leur cavale l'un des gardes russes en faction Ivan Pavlolic qu'on appelle Vanja. C'est encore l'hiver, la fuite est rude dans le froid, dans la forêt.
.

.
Le récit est au plus proche des hommes, des rencontres au gré des étapes dans les isbas isolées; le dessin aussi, par les visages, les attitudes. Le scénario est excellent, l'image toute en aquarelle également, ils ne se complètent pas, ils sont parfaitement liés. Les enchainements des cases, les décors, les attitudes, les expressions, les regards disent tout. Il y a de nombreuses pages muettes. Le texte, quant à lui, est un monologue, les pensées du narrateur, le jeune soldat italien.
Il y a de nombreux dialogues dans cette BD, des dialogues que l'on ne comprend pas sans que cela gêne la compréhension : chaque personnage parle dans sa langue. Se mêlent l'allemand, le russe et le français ( traduit de l'italien ). C'est une immersion dans ce que vivent ces hommes, leur déracinement, leur route en terre inconnue, leur contrainte de survivre ensemble alors qu'ils sont si mal assortis. Nous marchons avec eux. Ils sont perdus plus qu'égarés. Quelques mots leur permettent d'échanger. Ce choix narratif donne paradoxalement une force émotionnelle exarcerbée à cette histoire.
.

.
" ça commence par une histoire drôle. Comme celle qu'on raconte là-bas, au bistrot des platanes, devant un plat de semüda et Zincarlin arrosé de vin frais de la maison. C'est l'histoire d'un italien, d'un russe et d'un allemand. Ils ne se connaissent pas, ils ne s'aiment pas et ne se comprennent pas. Certes, l'allemand sait quelques mots d'italien et l'italien parle un peu russe mais le fait est qu'ils n'ont aucune envie de se comprendre. Ils sont pourtant obligés de passer du temps ensemble. Une drôle de troupe en somme. On dirait le début d'une histoire, non ? Dommage qu'il n'y ait pas de quoi rire. "
Cette fuite devient un voyage initiatique. Dans son monologue, Attilio déroule ses réflexions sur la guerre, sur ce que lui inspire ses compagons, leur situation, leurs réactions, leurs motivations, sur la relation à la nature, sur la nostalgie, sur son passé. Les souvenirs affluent, en images cette fois, comme une pudeur, sans les mots, en récit double, de l'enfance au camp de prisonnier. Ce sont également des étapes, dans une odyssée intime. Ce récit comme une fuite en avant, sans but réel, qui impose de revenir à soi avant de repartir à celui qui a toujours été un fugitif, à réfléchir à ce qui fait une vie - lieux,personnes, engagements - pourquoi on décide d'y rester, ce que l'on peut et veut donner, pour se sentir soi, chez soi.
.

.
Le rythme du périple est marqué par des chapitres, une pleine page avec une citation de Tolstoï, un extrait; une pleine page sur laquelle de longs traits blancs sont dessinés, un de plus à chaque fois, ces traits que l'on trace pour compter le temps.
Sur l'aquarelle des illustrations, ces moments-pages de silence sont les bienvenus, nous laissant nous imprégner des couleurs en camaïeu, du ciel, des feuillages, des paysages - entre observation et introspection - les émotions suscitées par l'extérieur, par l'intériorité -
Les vues des paysages du lac de Côme sont d'une telle délicatesse qu'elles suscitent une envie folle d'y revenir, de s'y (dé)poser.
" Parfois, le moyen le plus efficace de faire la paix avec la réalité est de fréquenter la fiction. Ou la nature. Voire les deux. "
*
Commentaires
1 Aifelle Le 23/02/2022
marilire Le 24/02/2022
2 A_girl_from_earth Le 24/02/2022
marilire Le 24/02/2022
3 Kathel Le 24/02/2022
marilire Le 25/02/2022
4 Passage à l'Est! Le 24/02/2022
marilire Le 25/02/2022
5 A_girl_from_earth Le 25/02/2022
marilire Le 25/02/2022
6 krol Le 25/02/2022
marilire Le 25/02/2022
7 niki Le 16/03/2022