Le chagrin des vivants - Anna Hope

Chagrin hope

- Gallimard 2016 - Folio 2017 -

- Traduit de l'anglais par Elodie Leplat -

Durant les premiers jours de novembre 1920, l’Angleterre attend l’arrivée du Soldat inconnu, rapatrié depuis la France pour une cérémonie d’hommage. À Londres, trois femmes vivent ces journées à leur manière. Evelyn, dont le fiancé a été tué et qui travaille au bureau des pensions de l’armée ; Ada, qui ne cesse d’apercevoir son fils pourtant tombé au front ; et Hettie, qui accompagne tous les soirs d'anciens soldats sur la piste du Hammersmith Palais pour six pence la danse. Dans une ville peuplée d’hommes mutiques, rongés par les horreurs vécues, ces femmes cherchent l’équilibre entre la mémoire et la vie. Et lorsque les langues se délient, les cœurs s’apaisent.

.

Le chagrin des vivants est le premier roman de Anna Hope qui signe pour cette rentrée littéraire 2017 La salle de bal. J'ai choisi ce premier roman plutôt que la dernière parution pour ses thèmes et son contexte historique et parce que cette lecture est un coup de foudre littéraire de Mind The Gap qui m'a permis de découvrir ce livre. 

Les récits anglophones, romanesques et fournis ( plus de 400 pages pour celui-ci ) ne sont pas mes lectures de prédilection et pourtant c'est le deuxième que j'apprécie autant en peu de temps ( après La Frontière du Loup de Sarah Hall ). Il est bon parfois de se laisser tenter par d'autres chemins sur lesquels on nous invite.

Ce roman s'articule autour du 11 novembre 1920, jour de la cérémonie dédié au Soldat Inconnu britannique rapatrié dans son pays; un récit en cinq journées seulement ( du 7 au 11 novembre ) dont on ne voit pas filer les pages. A la façon d'un roman choral, sans l'emploi du JE, nous suivons trois femmes, trois âges de la femme. Il y a une jeune fille qui aspire à la vie - " La guerre est terminée, pourquoi ne peuvent-ils donc pas tous passer à autre chose, bon sang ? " - mais qui devra prendre conscience de la réalité horrifiante de la guerre et de ses conséquences; il y a une femme bientôt trentenaire, " veuve " d'un fiancé, amère, et il y a une mère, plus que mère enfermée dans son deuil d'où son couple s'échappe. Pour chacune des journées, le récit alterne les moments de ces femmes, rythmé par quelques passages en italiques relatant le rapatriement du corps de ce Soldat Inconnu.

L'écriture est fine, précise, autant pour le contexte que pour les personnages dont nous nous rapprochons peu à peu. Bien que le roman soit sans complaisance quant aux horreurs, aux douleurs, jusque dans l'intimité de ses personnages, il y a une pudeur dans ce livre. Certaines scènes, sans fioritures, sans lyrisme, m'ont particulièrement touchée, j'y ai pleinement ressenti le trouble et la souffrance. Le gâchis. 

A travers ces femmes, c'est également la peinture de cette Angleterre d'après-guerre, cette société anglaise entre deux époques dans laquelle les femmes ne sont pas si libres, ce monde post-kaki qui n'assume pas vraiment le retour des soldats. Ce roman nous raconte en creux la difficile réinsertion sociale et économique de ces hommes abimés, physiquement, psychologiquement; ces hommes marqués que, finalement, on ne souhaiterait pas voir pour ne plus se souvenir ou plutôt pour ne penser qu'à la victoire. Alors, il est important ce 11 novembre même s'il fait partie du carnaval de l'armistice, ce spectacle

Elle n'ira pas. Elle le déteste de toute façon, ce jour de l'Armistice, cette nouvelle tradition qui dégouline déjà de vénération grasse : une nouvelle opportunité pour ceux qui ont du sang sur les mains de jouer à se déguiser dans leur costume de meurtriers et de traîner derrière eux leurs chevaux et leurs affûts de canons en paradant dans les rues de Londres. "

Par les réactions de chacun, se pose la question de l'acte de mémoire et de respect, de l'hommage aux morts. Car, à travers ces femmes, ce sont également les hommes qui se racontent; les hommes pendant la guerre, après cette guerre.

On faisait que traîner dans la tranchée ce matin-là. C'était pire que d'être au combat, d'être dans un endroit comme ça, parce qu'on ne pouvait pas bouger. Fallait juste poireauter. On était coincés. J'arrétais pas de me dire que c'était comme si la pire chose au monde s'était produite ici, et qu'on était juste là pour contempler le désastre. Juste là dans ce trou pour contempler la pire chose au monde. Parce que s'il n'y avait personne pour la voir, alors personne ne croirait jamais que c'était possible.

Il écrase sa cigarette.

En même temps, personne a jamais voulu savoir. "

Le 10 novembre, dans le dernier tiers du livre, les récits - passé-présent - se croisent, le 11 novembre, ils se dénouent, sans tomber dans le happy end. Les récits prennent sens, les personnages prennent conscience.

Le titre français de ce roman est tout-à-fait pertinent, reprenant les mots sur les pages finales. En anglais, le titre est Wake : s'éveiller/une veillée. Par ces deux titres, les deux aspects de ce roman prenant, émouvant, sont mis en évidence.

.

- Le billet enthousiaste et tentateur de Mind The Gap ICI -

*

Commentaires

  • Aifelle

    1 Aifelle Le 23/11/2017

    Je découvrirai cette auteure, tôt ou tard.
  • Anne

    2 Anne Le 23/11/2017

    Ce genre de récit anglophone, c'est ma tasse de thé ;-) (et il traîne dans ma PAL, ben voilà)
  • MTG

    3 MTG Le 23/11/2017

    Exactement, j'ai ressenti la même chose que toi pour l'essentiel. Je n'avais pas remarqué qu'elle n'employait pas le " je " dans le récit, tellement les personnages sont bien campés . On voit le film se dérouler sous nos yeux, c'est vraiment une belle découverte . Et merci pour le clin d'oeil.
  • Marilyne

    4 Marilyne Le 23/11/2017

    @ Aifelle : ah oui, je pense que ses romans pourraient te plaire. Je vais lorgner sur La salle de bal.

    @ Anne : je le savais pour le thé :) Et, mazette, tu fais bien de préciser qu'il traîne, j'avais prévu de te l'amener. J'aurai dû m'en douter... encore raté, mazette !

    @ MTG : pour le JE, on ne remarque pas, parce que nous sommes vraiment plongés dans les pensées et les émotions des personnages, je pense. Et c'est vrai que ça ferait un beau film ! Un récit franchement bien mené. Merci à toi pour cette découverte.
  • Valérie

    5 Valérie Le 23/11/2017

    Je suis restée totalement en dehors de ce roman.
  • Saxaoul

    6 Saxaoul Le 24/11/2017

    Pat Rub m'avait donné envie de le lire et tu ne fais que renforcer cette envie. Cette auteure a tout pour me plaire.
  • Dominique

    7 Dominique Le 26/11/2017

    j'ai beaucoup lu sur le sujet et je suis un peu en surdosage mais je garde le titre et l'auteur car c'est un effet qui va s'estomper
  • Marilyne

    8 Marilyne Le 26/11/2017

    @ Valérie : tu ne liras donc pas " La salle de bal ". J'en suis curieuse maintenant.

    @ Saxaoul : ah oui, le genre de lecture dans lequel on plonge, ne t'en prives pas.

    @ Dominique : je comprends, j'ai certainement moins lu que toi sur le sujet mais je reconnais que j'ai comme des " périodes ", j'ai enchaîné sur un incroyable album en hommage à un artiste de cette Première Guerre.
  • Valérie

    9 Valérie Le 26/11/2017

    J'hésite tout de même un peu pour La salle de bal à cause du thème.
  • Marilyne

    10 Marilyne Le 27/11/2017

    @ Valérie : alors peut-être attendre la parution en poche.
  • Annie

    11 Annie Le 14/12/2017

    Cela, fait des semaines que je "tourne" autour de ce roman. Je n'hésiterai donc plus la semaine prochaine... Toujours heureuse de pouvoir découvrir un nouvel auteur. Merci.
  • Marilyne

    12 Marilyne Le 15/12/2017

    @ Annie : je ne me serais pas décidée sans recommandation non plus. J'espère que tu ne seras pas déçue.

Ajouter un commentaire