Le fils Cardinaud - Simenon

Fils cardinaud

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Hubert Cardinaud est un homme marié d'une trentaine d'années, deux enfants en bas âge, assureur peut-être bientôt associé, propriétaire d'une jolie maison. Il vit aux Sables d'Olonne, tout va bien pour lui, il mène la vie qu'il a souhaité. Parce que Hubert Cardinaud est ce qu'on appelle un " transfuge de classe ". Issu d'un milieu modeste, il aspirait à cette vie bourgeoise, rangée. Il est un honnête, il a épousé son premier amour, il regarde droit devant lui.

Mais un dimanche de mai, dans l'air du printemps, quand il rentre de l'église avec son jeune fils, le gâteau à la main, sa femme a disparu. Il apprend vite qu'elle l'a quitté, qu'elle est partie avec une crapule de retour d'Afrique, une petite frappe qu'elle a connue dans sa jeunesse.

" La veille, il marchait dans le soleil et c'était une marche triomphale. Il marchait vers... Rien du tout ! A présent, il était tout en dessous. En dessous, même, des femmes de la Poissonnerie qu'il regardait avec envie, en dessous de ces pêcheurs qui embouchaient leurs litres comme des clairons. "

Ce roman est un roman psychologique, tout en atmosphère, sur un temps resseré, quelques jours. Hubert Cardinaud a décidé de retrouver sa femme, de la ramener auprès de lui, dans la belle maison. Le récit, c'est celui de son enquête, de sa recherche. A aucun moment il ne se remet en cause même si parfois il a quelques doutes sur sa décision, sur l'avenir possible.

" Il est comme une fourmi obstinée qui suit opiniâtrement sa route, son destin, et qui, chaque fois que sa charge lui échappe, s'en empare à nouveau, bien que cette charge soit plus grosse qu'elle. "

Simenon suit au plus près son personnage, ses pensées et ses émotions durant cette période où l'univers bien ordonné du " fils Cardinaud " est ébranlé. L'auteur décrit finement les états d'âme, la volonté d'assumer, de rester droit face aux regards des autres, et le roman raconte aussi ce regards des autres, leurs réactions, leurs réflexions, la gêne, les commérages, les rires. Il est souvent question de miroirs et de reflets dans ce roman. L'épilogue en est amer.

Simenon rend très bien toute cette petite société, du patron assureur aux membres de la famille. La reconstitution des lieux, de l'ambiance du port, du marché de poissons, de la promenade des vacanciers, est très visuelle, sensorielle même ( et puis, j'ai aimé ce vocabulaire parfois suranné, auto pour voiture, voiture pour landau, et les coups de chapeau de ces messieurs ).

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" Le journée ne finissait pas. Elle se survivait, plus splendide, plus majestueuse depuis qu'un soleil de cuivre rouge avait sombré dans la mer et qu'une lumière sans ombre émanait du monde lui-même. A neuf heures, au bord de la mer sans ourlet, d'un sable à nouveau vierge, quelques baigneuses s'obstinaient et l'on voyait loin sur l'eau le bonnet rouge sang d'une nageuse. Sur la Promenade, la foule avançait lentement, celle des quartiers pauvres qui venait contempler les terrasses où l'on mangeait encore. Et les garçons relevaient les vélums rayés, les orchestres s'accordaient, des carcasses de homards, sur les assiettes, se figeaient dans la sauce. La pureté un peu inquiétante d'un si beau soir pénétrait dans les maisons. Cardinaud, assis tout seul dans la cuisine, voyait le mur de la cour, devant lui, passé à la chaux, qui virait lentement du rose au vert. "

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Ce roman des années 40 a été adapté en film sous le titre Le sang à la tête par Gilles Grangier en 1956. Michel Audiard a participé au scénario, il a écrit les dialogues ( c'est toujours du bon ). Jean Gabin tient le rôle titre.

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Sang a la tete dvd

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Ce film est réussi même s'il n'est pas parfaitement fidèle au roman, jouant de quelques variations ( La Rochelle, Hubert Cardinaud est armateur ), plus romanesque, plus dans l'action ( avec des seconds rôles plus développés ), plus mélo et positif pour l'épilogue, mais l'atmosphère est là.

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Le sang a la tete

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- En 2019, à l'Institut Lumière, partenaire des Quais du Polar, j'avais assisté à une conférence sur les adaptations cinématographiques des romans de G. Simenon avec l'excellent Bertand Tavernier : compte-rendu ICI -

- Participation au rendez-vous Simenon pour le Mois belge organisé par Anne -

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Commentaires

  • Kathel

    1 Kathel Le 07/04/2023

    C'est ce que j'adore dans les romans de Simenon, et celui-ci ne dérogerait sans doute pas, c'est la psychologie des personnages, et surtout le retour dans les années 50 (ou 40, ça ne me gêne pas, même si je ne les ai pas connues, tout de même !) avec le vocabulaire bien daté !
  • Ingannmic

    2 Ingannmic Le 07/04/2023

    Je n'ai pas beaucoup lu Simenon, mais dans les romans "durs" que j'ai découverts, on retrouve cette précision dans la description des états d'âme des personnages.
  • Anne

    3 Anne Le 07/04/2023

    Ah les odeurs de poisson, il maîtrise parfaitement, Simenon. Il y en a dans le Simenon que j'ai lu, même si mon billet est encore sous le clavier...
  • Aifelle

    4 Aifelle Le 09/04/2023

    Je ne pense pas l'avoir lu celui-là. Il avait un sacré talent Simenon pour décrire des ambiances, des lieux et des situations inextricables à première vue.
  • niki

    5 niki Le 12/04/2023

    J’ai surtout lu les enquêtes de maigret, j’hésite un peu à me lancer dans les romans dits « durs »
  • Bonheur du Jour

    6 Bonheur du Jour Le 12/04/2023

    J'aime beaucoup Simenon. Il n'a pas écrit que des Maigret et tous ses autres romans sont vraiment très forts, avec des personnages exceptionnels.
  • A_girl_from_earth

    7 A_girl_from_earth Le 13/04/2023

    Je n'ai lu que Le chat de Simenon mais je me souviens avoir aussi été frappée par la justesse dans la description de la psychologie des personnages.
  • maggie

    8 maggie Le 15/04/2023

    J'aime beaucoup les enquêtes de Simenon... J'en lis un de temps en temps mais celle-ci je ne la connaissais pas...
  • Tania

    9 Tania Le 27/04/2023

    Je n'ai jamais lu celui-là, je note. Oui, Simenon sait rendre le milieu qu'il décrit, les situations, et les atmosphères, comme dans ce bel extrait si visuel.

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