Les invisibles - Roy Jacobsen

Invisibles

- Gallimard Du monde entier 2017 - Folio 2019 -

- Traduit du norvégien par Alain Gnaedig -

«Ils ne quitteront jamais Barrøy, c’est une idée impossible, on ne sait pas que, lorsque l’on vit sur une île, on n’en part jamais, on ne sait pas qu’une île s’accroche à ce qu’elle a, de toutes ses forces.»

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Ce roman, c'est un grand voyage dans un tout petit monde, celui d'une infime île de Norvège, tout près des Lofoten. Une famille réduite vit là, modeste et opiniâtre, les Barroy, du nom de l'îlot. Il y a le père, Martin, son fils et son épouse, Hans et Maria, leur fille Ingrid et l'une des soeurs de Hans, Barbro. Nous sommes au début du XXème siècle, ce que le lecteur devine, par le mode de vie, les mentalités, l'éducation.

Dans ce roman, c'est l'implicite sous le descriptif des jours, des lieux. A Barroy, on ne pose pas de questions, on fait face, aux intempéries et aux tempêtes du long hiver, aux jours et aux nuits qui ne se succèdent pas, au dénuement et à l'adversité parce qu'il faut tout bâtir soi-même. Malgré leur isolement, la famille de Barroy n'est pas seule. Pas loin, sur une autre île, il y a le village avec l'église, l'Usine où l'on vent le poisson, les oeufs d'oiseaux, le duvet, où se trouve le magasin où l'on achète les fournitures et les aliments qui manquent parce qu'on ne les produit pas.

Le temps, ce ne sont pas les années, qui ne semblent pas compter, mais les saisons. Ce sont elles qui rythment la vie. Pourtant les années comptent tout de même, loin des échos du monde qu'on ne connait pas du tout, dont on ne sait pas grand chose, une guerre, une crise économique. Il y a pourtant des ruptures dans les cycles, il y a des avant-après, des présences étrangères, et une inquiétude qui plane, qui ne se dit pas, une histoire d'adaptation, et d'adoption aussi.

Mais Hans Barroy sent toujours poindre une inquiétude quand il regarde sa fille ou quand il contemple l'île et note que tout n'est pas comme avant. [...] il déclare qu'il est peut-être devenu un peu plus pieux. Il dit aussi que c'est bon d'être rentré à la maison, et il y a une expression pour ça : être attaché à son chez-soi. Ce n'est pas nécessairement un signe positif pour un homme, et Maria dit qu'il n'est pas plus pieux ni plus attaché à son chez-soi, il est simplement plus vieux, et il a quelques cheveux gris sur les tempes. "

Le récit débute alors qu'Ingrid a trois ans. Sur des chapitres courts, à la façon de chroniques, nous suivons cette vie insulaire jusqu'à ses 20 ans, les départs et les retours, à Barroy. C'est cette vie entre ciel, terre et mer, cette famille qui se (re)constitue; cette vie de maître et d'esclave de l'île.

J'ai pris le temps pour cette lecture, accompagnant chacun des personnages dans leur rude vie, j'aurai aimé que le récit continue. Ces Invisibles qui m'ont accueillie sur leur île m'ont permis de rencontrer un auteur norvégien dont la plume sobre et sensible m'a attachée à mon tour, un auteur vers lequel je reviendrai. 

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... mais une île, c'est grand comment ? Il y a à peine un kilomètre du nord au sud et un demi-kilomètre d'est en ouest, elle possède de nombreuses buttes, des crueux de terrain, des vallées herbeuses, elle est découpée par des criques profondes, des pointes tourmentées et trois plages blanches. Et même si, par une journée normale, ils peuvent surveiller les brebis du haut de la cour de la ferme, ce n'est pas si simple de garder un oeil sur elles quand elles se couchent dans les hautes herbes. Et cela vaut aussi pour les gens, même une île a ses secrets. "

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" Mais Barbro se souvenait ce que c'était de ne pas avoir de chaise si bien que, le jour où elle eut la sienne, elle l'emporta partout avec elle, au hangar à bateaux, à la remise, et même dans les prés; elle s'asseyait dessus et observait les animaux, le ciel, les pies huitrières sur la rive. Un meuble à l'extérieur. C'est faire du ciel un toit et de l'horizon le mur d'une maison qui s'appelle le monde. Personne n'avait jamais fait cela. Ils ne parvinrent jamais à s'y habituer. "

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- Le billet d'Aifelle ICI -

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Commentaires

  • Aifelle

    1 Aifelle Le 24/05/2019

    Un roman que j'ai beaucoup aimé. J'attends le dernier paru à la bibliothèque.
  • Lili

    2 Lili Le 24/05/2019

    J'aime ce genre de récits qui ne racontent pas grand chose, c'est-à-dire qui disent toute la vie.
  • Marilyne

    3 Marilyne Le 24/05/2019

    @ Aifelle : je ne suis pas étonnée qu'il soit passé par toi :). C'est par ce dernier que j'ai découvert l'auteur, ayant préféré le format poche en première lecture. Maintenant je regrette de ne pas avoir pris les deux ^-^. As-tu lu son roman intitulé Les bûcherons ?
  • Marilyne

    4 Marilyne Le 24/05/2019

    @ Lili : oui, ils racontent et disent beaucoup, ce genre de récits. Sans très grands événements, il se passe beaucoup de choses sur cette petite île, entre les personnes, autour d'eux.
  • krol

    5 krol Le 24/05/2019

    Tentant. J'aime aussi ce genre de roman.
  • Anne

    6 Anne Le 24/05/2019

    Cette couverture de poche est envoûtante... Je vais le guetter sur les tables de librairie, ça pourrait bien me plaire aussi ;-)
  • Aifelle

    7 Aifelle Le 25/05/2019

    Non, je n'ai pas lu "les bûcherons" et tu me rappelles que je peux l'emprunter à la bibliothèque celui-là :-)
  • Kathel

    8 Kathel Le 25/05/2019

    Je suis en décalage avec ta lecture ou celle d'Aifelle à propos de cet auteur... J'ai acheté Mer blanche, sans avoir lu celui-ci, persuadée que j'aimerai. Mais rien à faire, je n'ai pas accroché.
    (et il a subi un dégât des eaux alors qu'il était dans mon panier "à vendre ou à donner", dommage, j'aurais pu te le passer !)
  • Bono Chamrousse

    9 Bono Chamrousse Le 25/05/2019

    Je le note immédiatement
  • Dominique

    10 Dominique Le 25/05/2019

    j'aime cet auteur même si ce roman là m'a un peu moins touché que les autres mais un auteur à découvrir assurément
  • Marilyne

    11 Marilyne Le 25/05/2019

    @ Krol : en format poche, on ne résiste pas à la tentation :)

    @ Anne : tu vas le croiser, l'édition poche est récente, mars je crois ( il accompagne le nouveau roman en grand format )

    @ Aifelle : je me suis dit la même chose ;)
  • Marilyne

    12 Marilyne Le 25/05/2019

    @ Kathel : bon, de l'eau sur Mer blanche, c'est quand même un signe ^-^ Il n'était pas fait pour rester avec toi ce livre là !

    @ Bono : je suis certaine qu'il te plaira !

    @ Dominique : ah, tu confirmes, je vais poursuivre avec cet auteur.
  • Annie

    13 Annie Le 25/05/2019

    Comme c'est tentant. J'aime ce genre d'atmosphère et l'extrait sur la chaise est splendide ! Il y a ainsi des objets nécessaires, pour moi, une petite table pliante sans aucun charme ....ramenée de Norvège, mais qui peut me suivre partout.
  • Marilyne

    14 Marilyne Le 25/05/2019

    @ Annie : j'apprécie aussi ces atmosphères, qui nous prennent. Cet extrait avec la chaise m'a interpellée, il m'a fait rêver aussi... j'adore ce souvenir de Norvège, quelle bonne idée. Les objets sont des souvenirs et des lieux également parfois. Un voyage en Norvège, comme l'extrait, ça me fait rêver. Nous y pensons. Lentement mais sûrement.

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