Les saisons de Giacomo - Rigoni Stern

Giacomo stern

- Pavillon Poche - Editions Robert Laffont -

- Traduit de l'italien par Claude Amboise & Sabine Zanon Dal Bo  -

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Il était temps que je rencontre " ce frère en littérature " de Jean Giono. 

Ce récit de Mario Rigoni Stern est une histoire triste, nostalgique, un témoignage.

L’auteur nous raconte l’entre-guerre en Italie, dans sa région, celle du Haut-Adige, frontalière avec l’Autriche, un pays de montagnes, de hameaux, d’alpages, celui du plateau d’Asiago, en Vénétie, dont les villes les plus proches sont Vicente, Trieste, Trente, Bolzano.

Ce sont des territoires isolés qui abritent une population laborieuse, d’une extrême pauvreté, au plus proche de la terre, on y vit au rythme des saisons, des rigueurs de l’hiver.

Dans les années 20, le paysage est dévasté par les ravages de la Première Guerre Mondiale, plaies ouvertes des combats ayant opposés les armées italiennes aux armées autrichiennes : plateaux dénudés, tranchées, trous d’obus.

Sans lyrisme, la prose sobre, descriptive, donnant vie et voix à chacun, s’attachant à un hameau dont est natif le jeune Giacomo, l’ami d’enfance, Mario Rigoni Stern nous raconte également l’Italie fasciste.

Sur les premières lignes, le narrateur revient dans ce hameau abandonné, devenu factice, sans âme : « Maintenant, c’est-à-dire depuis une trentaine d’années, les sept portes du hameau ne s’ouvrent que lorsque les gens de la ville montent de la plaine pour les vacances. Ils ne sont plus là, les descendants de ceux qui les avaient construites avec les pierres extraites des montagnes et les troncs choisis dans nos bois, qui les avaient réparés en 1920, qui avaient commencé ou achevé ici leur vie, ou qui étaient partis d’ici pour aller travailler au loin, ou faire la guerre. [...]. Les jardins sont devenus des parkings. Il n’y a même plus de fontaine car elle empêchait les voitures de manœuvrer. Tout a changé. Ce qui était vivant dans cette maison est très loin, elle est vidée de tout et remplie de silence. Ici était né et avait vécu jusqu’à vingt ans mon copain d’école.»

Le narrateur se souvient, il se souvient des maris, des pères, de frères, qui partent pour travailler, quelques années, en France, en Suisse, pour toujours, en Amérique, en Australie. Trop peu d’emplois pour les hommes malgré la reconstruction et le reboisement entrepris, après l’abandon du village entre 1916 et 1919, la population évacuée à l’approche des combats, jetée sur la route, suivie par la grippe espagnole.

Il nous raconte l’école jusqu’au 10 ans, avec le certificat d’étude, et le métier de récupérateur. Les hommes explorent les zones de combats, creusent, pour récupérer les douilles, les cartouches, les billes de plomb, tout ce métal que l’on revend au poids à l’usine en ville, la poudre aussi.

La mémoire de cette Première Guerre Mondiale est très présente. Parmi ces villageois, certains ont été soldats, ont combattu dans cette région. Eux aussi se souviennent. Ces hommes, leurs garçons, leur famille qui aident au tri, voient encore cette guerre, ils vivent avec; avec ce qu’il en reste, du métal et des corps enfoncés dans cette terre dont il n’est pas possible parfois d’identifier s’ils sont italiens ou autrichiens. Une population qui survit à ces temps tandis que le parti fasciste prépare déjà les prochaines, la guerre coloniale, la guerre européenne.

« Désormais, chez nous, si on n’avait pas de travail stable il fallait choisir entre aller en Afrique orientale avec les centuries de travailleurs, ou faire le récupérateur. L’Italie avait un grand besoin de métaux pour ses fabriques d’armement. Quatre fois par jour, le petit train à crémaillère descendait dans la plaine avec trois wagons de marchandises remplis de débris de métaux qui passaient à la fonderie en préparation d’autres armes, d’autres munitions. Pendant ce temps, en Espagne une autre guerre venait de commencer.»

Sur le pages, se déploie l’édifiante propagande fasciste, l’emprise du parti, le culte du Duce, au quotidien, et les échos de luttes ouvrières, ailleurs, des antifascistes dont on parle à voix basse. Et cette mémoire, et cette misère, qui résistent aux discours et aux réécritures.

« Il restait toujours un milieu officiel qui gérait les colonies de vacances, les concours de gymnastique, les manœuvres militaires, les cérémonies; et un autre monde composé d’émigrants, de chômeurs, et même d’affamés

Mémoire, c’est le mot de ce récit, livre dans le livre. Deux personnages, plus âgés, issus de précédents romans de Mario Rigoni Stern, sont cités, personnages de cette même région ( Tönle, lu précédemment et Tana de l’Année de la victoire ). Nous ne connaissons pas le nom du narrateur. Pourtant, parmi les copains d’école, il y a Mario, ce lecteur qui achète ses livres à la Foire annuelle puis les prête à Giacomo après les avoir lus; puis Mario soldat de vingt ans, envoyé sur le front russe.

Le premier livre de Mario Rigoni Stern s’intitule Le Sergent dans la neige, relatant le terrible retour de ce front.

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Commentaires

  • Aifelle

    1 Aifelle Le 18/09/2023

    J'ai beaucoup aimé cette lecture. J'ai terminé cet été un petit recueil de nouvelles et "Histoire de Tönle" m'attend sur le dessus de la PAL. C'est une valeur sûre.
    marilire

    marilire Le 18/09/2023

    Absolument, une valeur sûre. Ces deux lectures m'ont convaincue.
  • Thaïs

    2 Thaïs Le 18/09/2023

    Je commence à me lasser des lectures sur la guerre et l'après-guerre , je crois que je passerai mon tour
    marilire

    marilire Le 19/09/2023

    Je peux comprendre. Je m'intéresse particulièrement à la période de l'entre-deux guerres, à la littérature italienne également que je parcours de plus en plus, ce titre-ci m'était incontournable :)
  • nathalie

    3 nathalie Le 18/09/2023

    Ah c'est un magnifique auteur ! Le Sergent dans la neige, pfff, c'est vraiment un chef d'oeuvre. Je note ce titre que je ne connais pas. Ce sera une joie de le lire.
    marilire

    marilire Le 19/09/2023

    Et, d'après l'enthousiasme de ton commentaire, ce sera une joie pour moi de lire Le sergent dans la neige !
  • keisha

    4 keisha Le 19/09/2023

    De lui je n'ai lu que Le livre des animaux, et j'avais vraiment aimé! Faut y revenir, à cet auteur.
    marilire

    marilire Le 19/09/2023

    J'y viens, et j'y reviens !
  • Bonheur du Jour

    5 Bonheur du Jour Le 19/09/2023

    Je vénère Mario Rigoni Stern, que je relis régulièrement. Ses livres ont une place à part dans ma bibliothèque et il m'arrive très régulièrement de penser à lui.
    Bonne soirée.
    marilire

    marilire Le 20/09/2023

    Je peux comprendre. Je crois que sa prose m'a plus touchée encore que celle de J.Giono.

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