Les soldats de Salamine - Javier Cercas

Soldatsalamine

- Actes Sud 2002 - Livre de poche 2005 -

- Traduit de l'espagnol par Elisabeth Beyer & Aleksandar Grujicik -

- Photographie de couverture de Robert Capa -

A la fin de la guerre civile espagnole, l'écrivain Rafael Sanchez Mazas, un des fondateurs de la Phalange, réchappe du peloton d'exécution. Un soldat le découvre terré derrière des buissons et pointe son fusil sur lui. Il le regarde longuement dans les yeux et crie à ses supérieurs " Par ici, il n'y a personne ! "
La valeur qu'il entrevoit au-delà de l'apparente anecdote historique pousse un journaliste, soixante ans plus tard, à s'attacher au destin des deux adversaires qui ont joué leur vie dans ce seul regard. 

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Il était temps que je lise Les Soldats de Salamine, roman-document fondateur de Javier Cercas après avoir tant apprécié la lecture de son dernier récit Le Monarque des ombres.

J'y ai retrouvé le principe narratif qui mêle la genèse de l'écriture du récit au récit. Si dans Le Monarque des ombres, ces deux récits n'en font qu'un, ce n'est pas le cas dans ce livre en trois parties.

La première raconte l'origine, un historique du parcours de Javier Cercas en tant qu'auteur, comment il en est venu à s'intéresser au sujet de ce livre - le phalangiste Rafael Sanchez Mazas - puis à envisager d'écrire son histoire autour d'un épisode précis de cette histoire. La seconde partie présente cette biographie. La dernière revient sur ce travail d'écriture insatisfaisant pour l'auteur, sa recherche des causes, jusqu'à l'aboutissement de ce livre.

Nous suivons donc Javier Cercas dans ses doutes, ses rencontres, les hasards, sous une plume teintée d'autodérision qui interroge autant son sujet que le travail d'écriture, autant la relation aux témoins, aux documents que la notion de mémoire, et celle d'héroïsme. Nous suivons son enquête, la confrontation des témoignages avec la réalité, à la façon d'un reportage; nous suivons sa quête d'auteur également.

Cette dernière partie, relatant la rencontre et les échanges avec un vieil homme, combattant républicain puis soldat volontaire toute la durée de la Seconde Guerre Mondiale avec le général Leclerc, est magistrale, prenante, émouvante.

Au delà de l'intérêt historique et culturel ( j'avoue m'être un peu perdue dans les références littéraires espagnoles en début de lecture ), ce sont toutes ces réflexions, parfois sans réponse, cette honnêteté qui n'épargne personne, qui donne la profondeur et cette résonance à ce récit, son humanité aussi par la justesse du regard sur les autres, sur la relation aux autres, sans complaisance. 

Il a été très intéressant de lire ce titre datant de 2001, en miroir, du Monarque des Ombres paru l'année dernière reprenant le sujet et les thèmes ( la Phalange, la définition de l'héroïsme, l'héritage de l'Histoire, nationale et familiale ), même s'il m'a semblé que ce dernier récit est à la fois plus approfondi et plus ample, plus développé, que ce soit les questions qui se posent que sur la Guerre d'Espagne. Malgré la dimension intime, ou peut-être pour cette raison, Le Monarque des Ombres m'a paru - narration et réflexion - plus mûri. Toutefois, il est évident que ce dernier n'aurait pas été écrit sans l'écriture de ce premier. 

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" ... tous trois étaient si différents que la seule chose qui les unît était à mes yeux leur condition de survivants, cet illusoire supplément de prestige que les protagonistes du présent - toujours coutumier, anodin et sans gloire - confèrent souvent aux protagonistes du passé - toujours exceptionnel, tumultueux et héroïque, puisque nous ne le connaissons qu'à travers le filtre de la mémoire "

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" - Sanchez Mazas a survécu à l'exécution. Miralles acquiesça, patient, savourant son nescafé au cognac. J'ajoutai : Il a survécu grâce à un homme. Un soldat de Lister.

Je lui racontai l'histoire. Quand j'eus terminé, Miralles posa sa tasse vide sur la table et, se penchant un peu, sans se lever du fauteuil, il ouvrit la fenêtre du balcon et regarda dehors.

- Une histoire très romanesque, dit-il ensuite sur un ton neutre, au moment de prendre une cigarette du paquet à moitié fumé depuis le matin.

Je me souvins de Liquel Aguirre et dis :

- C'est possible. Mais toutes les guerres sont pleines d'histoires romanesques, n'est-ce pas ?

- Seulement pour celui qui ne les vit pas. Miralles exhala une bouffée de fumée et cracha ce qui devait être un brin de tabac. - Seulement pour celui qui raconte. Pour celui qui va à la guerre pour la raconter, et non pour la faire. "

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Commentaires

  • Ingannmic

    1 Ingannmic Le 16/02/2019

    C'est avec ce titre que j'ai découvert -et aimé- Cercas, et je m'en réjouis, puisqu'il a visiblement fait encore mieux parla suite ! J'ai également lu Les lois de la frontière, en effet plus dense que celui-ci également, et L'imposteur m'attend sur mes étagères. Le monarque des ombres viendra ensuite..
  • niki

    2 niki Le 16/02/2019

    je réalise de plus en plus qu'en dehors de la littérature anglo-saxonne, je connais peu de choses - il va falloir que j'y remédie :)
  • Cléanthe

    3 Cléanthe Le 16/02/2019

    J'ai adoré Les soldats de Salamine, lu il y a quelques années déjà. Par contre j'ai toujours le dernier Cercas sur ma PAL. Il va falloir que je m'y mette, mais je suis plus dans une phase russe qu'espagnole en ce moment.
  • Kathel

    4 Kathel Le 17/02/2019

    C'est heureux que Le monarque des ombres soit plus abouti... l'auteur a évolué entre temps ! Je ne sais pas, cette forme en trois parties me freinerait sans doute un peu.
  • Annie

    5 Annie Le 17/02/2019

    J'avais déjà noté "Le monarque des ombres"... mais est été prise par d'autres titres depuis ! Tant à lire, comme c'est heureux !
  • Marilyne

    6 Marilyne Le 17/02/2019

    @ Ingannmic : Oui, Le Monarque des Ombres est passionnant, émouvant aussi. De Javier Cercas, j'avais lu A la vitesse de la lumière qui m'a convaincue de relire l'auteur. J'ai bien noté Les lois de la frontière.

    @ Niki : et je ne connais pas grand chose à la littérature anglo-saxonne ;).

    @ Cléanthe : ah oui, nous avons nos périodes de lecture. La littérature russe, je m'étais promise d'y revenir durant cet hiver, et puis je m'éparpille. Sûrement le mois prochain, tant de titres m'attendent. Bonne lecture à venir du Monarque des Ombres.
  • Marilyne

    7 Marilyne Le 17/02/2019

    @ Kathel : j'ai l'impression qu'il a pu aller plus loin dans le sujet, alors que c'était forcément plus difficile puisque cette fois, l'approche était familial. Pour Les soldats de Salamine, c'est la troisième partie qui donne sa dimension aux deux précédentes.

    @ Annie : oui, on ne cesse de papillonner d'intérêts en tentations et découvertes en lectures, et c'est aussi ce qui est si plaisant, cet infini.
  • Dominique

    8 Dominique Le 17/02/2019

    pour moi les livres de Cercas sont complémentaires les uns des autres, l'aspect roman, l'aspect enquête familiale, l'aspect histoire
    Avec le crayon du charpentier et Lune de loup, ce sont les trois romans sur cette période que je préfère
  • Marilyne

    9 Marilyne Le 18/02/2019

    @ Dominique : c'est vrai qu'à travers les livres, il y a tout le chemin de l'auteur. Je prends bonne note des titres que tu recommandes.
  • Tania

    10 Tania Le 19/02/2019

    L'anecdote du début me rappelle ce qu'a vécu ma mère quand les Allemands sont venus fouiller chez eux (à la recherche de son frère résistant et de documents compromettants) : elle s'était couchée dans son lit (dis que tu es malade, avait dit sa mère) avec les faux papiers sous les draps. Au moment de fouiller le lit, un officier allemand s'est interposé, déclarant que c'était en ordre, qu'il avait vérifié.
  • Marilyne

    11 Marilyne Le 19/02/2019

    @ Tania : merci pour cette anecdote incroyable ( et peut-être pas si marginale, ces faits inexplicables si soudains où beaucoup se joue en quelques instants ).

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