Les voix du soir - Natalia Ginzburg

Voix du soir

- Liana Levi - Piccolo - 2019 -

- Traduit de l'italien par Nathalie Bauer -

Dans un bourg proche de Turin, durant les années 1940, celles de la guerre et de l’après-guerre, quelques familles de la bourgeoisie piémontaise se croisent dans une paisible cohabitation. Leur petite communauté assigne à chacun un rôle déterminé et des aspirations convenues. L’occupation favorite des uns et des autres consiste à «enterrer ses pensées» pour laisser place à d’insignifiants commentaires sur un quotidien étriqué et répétitif. Un environnement étouffant pour les plus jeunes parmi lesquels se trouve l’invisible narratrice de ce récit distancié, Elsa.

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J'ai lu ce court récit au féminin d'un souffle. On s'y laisse prendre malgré la narration distanciée. La narratrice, jeune femme de ce village, raconte chacun, de façon factuelle, semble-t-il, comme elle semble parfois omnisciente. Nous saurons le prénom de cette narratrice bien tardivement dans le récit, lorsque les pages sont celles de son propre présent.

Le cadre comme la vie au village est convenu : une usine, son fondateur et propriétaire, ses enfants, quelques bourgeois, des domestiques, des affaires de mariages.

Cette jeune narratrice nous relate par touches les histoires dans lesquelles la Deuxième Guerre Mondiale intervient, en échos, assourdis, un fasciste, un communiste, des mots plus que des actes dans ce récit; des mots qui débordent un peu du cadre. Il y a ce sentiment permanent d'ordinaire conventionnel dans le propos, de manque de consistance et de perspective du réel, comme un désoeuvrement, du concentrique, une intemporalité, comme si l'écriture s'adaptait à l'atmosphère. C'est le bavardage incessant de la mère de la narratrice qui dévoile les petites histoires, fait les questions-réponses, complété par les remarques de sa fille, des petites phrases qui planent parfois, qui prennent sens plus tard. Une tristesse, une résignation, affleurent.

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Je suis allée à l'université en ville. Je vivais au Foyer protestant avec la benjamine des petites Bottiglia. Giuliana Bottiglia a terminé l'Ecole normale d'institutrice et j'ai obtenu une licence de Lettres, puis nous sommes rentrées toutes deux au village. Je vais en ville environ deux fois par semaine sous un prétexte ou un autre : rendre les livres de tante Ottavia et en prendre de nouveaux à la bibliothèque Selecta; acheter pour ma mère du fil à broder et des biscuits à l'avoine; pour mon père, un tabas pour pipe particulier de marque anglaise. D'habitude, j'emprunte le bus à midi et demi sur la place principale; en ville de descends corso Piacenza, à deux pas de la villa dello Statuti, où se trouve la bibliothèque Selecta. Le dernier autobus part à dix heures du soir. "

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Et finalement, ce roman, sous cette écriture sobre, qui paraît simple, c'est une histoire d'amour désenchantée dans cette petite société bourgeoise provinciale, cette incapacité à s'arracher à cette détermination, à ce lieu, à se réinventer une vie, les racines trop profondes, la souche sèche. Mais cette vie continue, inexorable.

Comme les villages sont pesants ! a-t-il dit. Ils pèsent autant que le plomb, avec tous leurs morts. Comme notre village me pèse, si petit, une poignée de maison ! Je ne peux jamais m'en libérer, je ne peux pas l'oublier ! Je l'emporterai même au Canada si je me retrouve là-bas. "

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Par cette lecture, je découvre l'auteure italienne Natalia Ginzburg ( 1916-1991 ). Elle écrivit des romans, des pièces de théâtres, des essais; elle fut traductrice de Flaubert et Proust. Elle reçut le prix Strega en 1963 pour Les mots de la tribu, roman autobiographique. Ce roman Les voix du soir date de 1961.

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Commentaires

  • Ingannmic

    1 Ingannmic Le 05/05/2020

    Tiens, cela peut faire une lecture intéressante comme complément à celle de La jumelle H...
    marilire

    marilire Le 06/05/2020

    Une lecture " de l'intérieur ", très refermée, très différente de la Jumelle H.
  • Aifelle

    2 Aifelle Le 05/05/2020

    J'ai l'impression d'avoir lu quelque chose d'elle il y a longtemps ... A lire aussi pour le contexte non ?
    marilire

    marilire Le 06/05/2020

    Pour l'atmosphère surtout. Finalement, il y a le contexte mais j'ai eu l'impression que ce récit pouvait tout à fait s'adapter à un autre pays d'Europe.
  • Paolina

    3 Paolina Le 05/05/2020

    C’est probablement par ce livre-là que je vais découvrir l’autrice. Je ne possède rien d’elle et pourtant j’ai souvent feuilleté ses livres en librairie.
    Merci pour le rappel
    marilire

    marilire Le 06/05/2020

    Je vais feuilleter maintenant aussi :)
  • Anne

    4 Anne Le 05/05/2020

    Cela semble mystérieux et forcément attirant.
    marilire

    marilire Le 06/05/2020

    Disons que le récit gagne peu à peu en intensité, en intimité.
  • Patrice

    5 Patrice Le 07/05/2020

    Très tentant en effet et une invitation à découvrir cette auteure. Merci !
    marilire

    marilire Le 08/05/2020

    Un texte court, qui semble reprendre les thèmes de l'auteure, il a été parfait pour découvrir son écriture, oui, cette façon sobre et distante qui résonne tout de même.
  • MTG

    6 MTG Le 07/05/2020

    Il me tenterait bien ce court récit, autant pour la voix féminine, que l'époque et le coté un peu renfermé, disons caché au niveau des sentiments.
    marilire

    marilire Le 08/05/2020

    C'est en effet un récit pudique, et pourtant vibrant.
  • Dominique

    7 Dominique Le 08/05/2020

    juste un petit coucou pour te dire le plaisir de te retrouver ici, j'ai repris vie sur la toile alors je serai désormais fidèle au rendes vous
    marilire

    marilire Le 08/05/2020

    Bonjour Dominique, j'ai vu avec joie ton billet ce matin. Merci pour ton message, je suis heureuse de te retrouver.
  • Alys

    8 Alys Le 09/05/2020

    Je n'ai jamais entendu parler de cette autrice, merci pour la découverte! :)
    marilire

    marilire Le 10/05/2020

    Avec plaisir. Je ne connaissais pas non plus avant qu'une amie m'offre ce livre :).

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