
- Editions Marchialy - 2020 -
- Traduit de l'anglais ( Ecosse ) par Morgane Saysana -
Kapka Kassabova est née à Sofia en 1973. Elle ya grandi jusqu'à ce que sa famille quitte le pays après le chute du Mur. Elle vit en Ecosse où elle se consacre à l'écriture.
Quand elle retourne dans son pays natal, la Bulgarie, pour la première fois depuis vingt-cinq ans, c'est à la frontière avec la Turquie et la Grèce que Kapka Kassabova se rend. Une zone inaccessible lorsqu'elle était enfant et que la guerre froide battait son plein, un carrefour qui grouillait de militaires, d'espions. Au gré de son voyage, elle découvre les lieux qui furent dominés par des forces successives, de l'Empire Ottoman au régime soviétique, baignés de mythes et de légendes.
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J'ai découvert ce livre sur le blog Passage à l'Est, je l'en remercie déjà. J'ai eu la chance d'attraper l'unique exemplaire disponible à la librairie en début de mois ( cet ultime petit tour en librairie fut plutôt particulier, le second livre que je voulais, il a fallu que la libraire aille le chercher dans les cartons de retour éditeurs, éditions Zoé en l'occurence, un seul exemplaire également, paru depuis moins de trois mois, " il n'a pas trouvé son lecteur "... Bref ). Ces heureux concours de circonstances, donc, m'ont permis de plonger dans une lecture passionnante.
Ce livre est un récit de voyage; un voyage intime, géographique, historique, culturel. Le sous-titre est explicite : Un voyage aux confins de l'Europe.
Dans la préface, l'auteure explique les motifs de ce livre : un retour à son pays d'origine, l'exploration de la zone interdite, une réflexion sur la notion de frontière, la part émotionnelle, le propos écologique lié à la destruction de ces régions de montagnes, de forêts et de sources jusqu'ici préservées.
Il s'agit d'un parcours circulaire, réalisé en plusieurs fois, des abords de la Mer Noire, dans le massif de la Stranja, dans celui des Rhodopes. Une carte détaillée en début d'ouvrage nous permet parfaitement de nous situer, de suivre son chemin, les étapes.
Ce que nous raconte Kapka Kassabova, ce sont des " récits sur la frontière "; cet espace si particulier, le " rideau de fer le plus méridional d'Europe, un mur de Berlin boisé, vicié par les armées de trois nations. Un territoire meurtrier, à l'époque, et toujours sensible car pétri de terreur. ".
Ce voyage se fait sous sa dimension humaine, ce sont des rencontres, des histoires, des témoignages, de tout un peuple de Lisière, abandonné autant qu'oppressé. C'est le titre, il prend tout son sens. L'auteure n'occulte pas ses sentiments, son trouble, son incompréhension, sa colère, sa rancoeur, sa peine. Des souvenirs d'enfance en " prison à ciel ouvert " ainsi que des remarques sur son propre exil, sa double identité, s'inscrivent dans ce récit.
Par cette lecture, j'ai beaucoup appris sur cette région, qu'elle soit bulgare, grecque ou turque; beaucoup appris sur sa population, mêlée, son histoire, complexe. Kapka Kassabova remonte au temps des Thraces, à l'Empire Ottoman, à la guerre des Balkans au début du XXème, la Seconde Guerre Mondiale, la période d'occupation soviétique. Son écriture est fluide, sensible, aucun didactisme, pas de leçon, même si les mots sont durs, aucune difficulté de lecture sans que le propos soit superficiel. Elle aborde de nombreux sujets, très spécialisés ( en postafce, elle cite les ouvrages et études qu'elle a consultés ), comme l'économie, par exemple, avec la culture du tabac, de la Rosa damascena, et ses implications, ou l'aspect linguistique. En quatre parties, pour quatre pérégrinations dans chacune des régions de cette zone, l'auteure raconte dans de courts chapitres des moments, des visites, des conversations. Chacun de ces chapitres est précédé d'une " fiche ", un texte court, plus factuel, contextualisant le lieu ( de façon géographique, ou historique, ou politique, ou.... racontant une légende ).
J'ai apprécié cette " vue panoramique " qu'elle nous offre, tout en se posant au plus près des personnes. Elle nous emmène sur des sites archéologiques et des sanctuaires antiques ( où il sera question des chasseurs de trésors qui sévicent depuis des années, parfois certains officiels... ), nous relatent les légendes et superstitions, les traditions, les exils incessants liés, toujours, à la confusion entre religion et nation. Ce sont les Bulgares musulmans rejetés en Turquie, les chrétiens d'Orient en Grèce, notamment; des villages qui se vident, se remplissent de nouveau arrivants, expatriés eux aussi. Ce sont ces allers-retours sur plusieurs générations, des lieux de mémoire, de pélerinage pour les générations suivantes. J'en ai su un peu plus, un peu plus précisément sur les Goryami ( résistants à l'occupation soviétiques ), sur les Pomaques des Rhodopes, sur les Peshmergas.
Et puis le Rideau de fer, cette région devenant une zone terrible, celle par où des personnes des pays de l'Est tentèrent d'atteindre l'Ouest, imaginant qu'il était plus facile de longer une côte, passer par une forêt, pour atteindre la Grèce. Les arbres sur lesquels sont gravés des initiales et une date. Le lieu de tous les traffics. " Un couloir de l'Histoire ". Encore maintenant, dans l'autre sens, par où tentent de passer les Kurdes d'Irak, des Syriens, ceux qu'on appelle les réfugiés.
" Pendant la deuxième décennie du XXIème siècle, la Ville-de-la-soie et ses environs foisonnaient à nouveau de fantômes, mais il n'y avait personne pour écrire de poèmes à leur sujet. Ils avaient parcouru les couloirs immuables pour échouer ici, en Thrace, entre trois mers, et, disons-le, " deux mondes, deux jeunesses ". Le monde de ceu qui possédaient le bon passeport et le monde de ceux qui venaient d'endroits aux noms antédiluviens : Babylone, Mésopotamie, Kurdistan. "
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" Memleket : mère patrie. Du mot turc " meme ", la poitrine. Un endroit qui vous nourrit. Un terme naturellement galvaudé par les politiciens, qui nous le font sucer avec le lait. D'où notre volonté de nous en remettre aux poètes. "
- Participation au Mois de l'Europe de l'Est -
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Commentaires
1 Anne Le 30/03/2020
marilire Le 30/03/2020
2 Ingrid Le 30/03/2020
J'aime beaucoup les présentations des Editions Marchialy, et j'avais aussi noté ce titre chez Passage à l'Est (mais je n'ai pas eu la chance de pouvoir me le procurer avant le confinement..).
Rien à voir mais je viens de lire La jumelle H. noté ici, et j'ai beaucoup aimé, mon billet devrait paraître en fin de semaine..
Ingannmic
marilire Le 31/03/2020
3 Aifelle Le 31/03/2020
marilire Le 31/03/2020
4 Kathel Le 31/03/2020
marilire Le 31/03/2020
5 Passage à l'Est! Le 31/03/2020
marilire Le 01/04/2020
6 krol Le 01/04/2020
marilire Le 01/04/2020
7 Géraldine Le 11/07/2020
marilire Le 11/07/2020
8 Bono Chamrousse Le 22/04/2021