La petite fille qui aimait trop les allumettes - Gaétan Soucy

 

Allumettegs

.

Gaétan Soucy est un auteur québécois que je n'avais jamais lu avant le Festival America 2014 dont l'invité était la francophonie avec l'Ouest Canada, le Québec, la Louisiane et Haïti. Comme vous pouvez vous en douter, j'ai suivi cette thématique francophone de conférences en salon du livre sur le fort sympathique stand de la Librairie du Québec ( librairie indépendante parisienne ), papotant à plaisir avec les tout aussi sympathiques libraires qui accueillaient cette littérature francophone représentée sans distinction de frontières ( ni de genre, aussi bien adulte que jeunesse, fiction, non-fiction et poésie ). C'est de là que j'ai ramené ce roman que j'ai ouvert sans attendre, curieuse. Et je l'ai dévoré, subjuguée. Mais je ne l'avais pas chroniqué.

Aujourd'hui s'ouvre la Foire du Livre de Bruxelles 2015 dont le pays invité est le Québec, ce rendez-vous en belle occasion de répondre à l'invitation de mon amie Anne de Belgique de vous proposer une thématique littérature québécoise la semaine prochaine, du 02 au 08 mars, et de vous l'annoncer ainsi, par cette chronique commune. 

Quelle lecture ! Ce roman est celui d'une folie, et il est une folie. Impossible de le résumer sans le réduire, sans en gâcher la découverte. Voici la quatrième, pour le contexte : 

Deux enfants se retrouvent livrés à eux-mêmes après le suicide de leur père. La Loi paternelle disparue, les jumeaux se lancent à la découverte du monde. Mais cette liberté nouvelle est aussi une épreuve, pas toujours facile à négocier : le réel côtoie l'imaginaire, et le monde " civilisé " se comporte de bien étrange manière... "

Par le rythme virtuose de ce récit ménageant le suspense sur la situation des enfants, livrant par bribes leur histoire, en nous plongeant sans ménagement dans leur présent, il m'a rappelé et m'a autant impressionnée que Trilogie des jumeaux d'Agota Kristof.

Nous avons dû prendre l'univers en main mon frère et moi car un matin peu avant l'aube papa rendit l'âme sans crier gare. "

Et quelle langue ! Un envoûtement en tournant les pages de ce roman. Prenant à s'en " prendre une figette ", comme dirait le narrateur. Les deux enfants ont vécu totalement isolés, hors du monde et de la réalité avec le père, fou. Fou de religion, fou de douleur. Pour ces enfants, chaque livre est un dictionnaire. Ce sont de grands classiques, comme Les Mémoires de Saint-Simon ou Les Fleurs du Mal. Le narrateur de ce roman écrit chaque jour sur un cahier, à la façon d'un journal. Il s'agit d'un testament que le narrateur rédige, " réfugié dans le hangar " de la ferme " pour fuir la catastrophe "... Car ce suicide du père tout-puissant, ayant littéralement travesti le réel dans l'esprit de ses enfants, ne les libère pas de leur histoire familiale mais l'expose à leurs consciences; elle explose, cette famille, cette histoire. " S'ensuive encore pour moi que des emmarmelades "

Ce qu'il appelle sa prose de " secrétarien " nous livre une langue absolument fabuleuse dans tous les sens du terme. S'y mêlent syntaxe et formules désuètes aux descriptions crues, un vocabulaire soutenu à celui familier truffé d'expressions " locales " et une part savoureuse de créativité. On pourrait en sourire si le ton n'était pas si dérangeant, posé, factuel, sur la violence de ce qui est raconté. 

Ce roman est incroyable. 

" ... doooong... si fameux des cloches de l'église depuis toujours, et comment aurais-je pu faire pour le deviner ? Il n'y a pas de cloches dans le clocher de la chapelle du domaine, je ne suis pas prophète. Je fus à ce point ému de la découverte que, sans demander mon reste, je m'assis là comme un seul homme sur le parvis, je trouvais que c'était un son si triste, et j'ai sangloté un petit peu, par tristesse du son, parce qu'il nous venait lui aussi de la terre et que les nuages ne nous disent rien, à part tonner. Mais je ne suis pas venu ici pour m'amuser, me dis-je.

Et la deuxième chose extraordinaire, je n'avais pas mis les pieds depuis trois minutes au village que je vis apparaître un semblable dont je devinai à je ne sais quoi qu'il s'agissait d'une sainte vierge ou d'une pute. Elle était vêtue de noir, ce qui semble commun à nombre de mes semblables, si j'en juge, et marchait voûtée que c'en était une pitié, elle devait avoir passé encore plus de temps que père sur terre, car entre l'état de sa figure et une pomme de terre passée, la comparaison s'imposait avec force à l'esprit, les choses sont comme elles sont. " 

*

Commentaires

  • Martine Littér'auteurs

    1 Martine Littér'auteurs Le 26/02/2015

    Incroyable, dis-tu ? Je m'en vais vérifier ça :D
  • Anne

    2 Anne Le 26/02/2015

    Ah quel beau billet, tu en saisis bien le mystère et ces inventions de langage si savoureuses ! Tu as déjà faitune émule ;-)
  • Marilyne

    3 Marilyne Le 26/02/2015

    @ Martine : moui, ça me paraît nécessaire ;)

    @ Anne : et je l'attendais le tien de billet, difficile d'échanger sur ce roman avant qu'il ait été lu jusqu'au bout ^-^ ( un chouette souvenir en plus, tu étais là tout près lorsque je l'ai acheté :)) ( police des sacs ^-^ )
  • Noukette

    4 Noukette Le 26/02/2015

    Ok. Message reçu. Je le commande dare dare !!
  • Aifelle

    5 Aifelle Le 27/02/2015

    Je crois que je ne suis pas encore remise de la lecture de ce roman il y a ... au moins 15 ans. Il est époustouflant et comme j'ai une sœur jumelle, j'ai été souvent bousculée, plus que la moyenne sans doute.
  • Kathel

    6 Kathel Le 27/02/2015

    Décidément, vous vous y entendez pour donner envie ! Hop, c'est noté !
  • Marilyne

    7 Marilyne Le 28/02/2015

    @ Noukette : c'était bien le message :D

    @ Aifelle : effectivement, je comprends que tu gardes tes distances avec " La trilogie des jumeaux ".

    @ Kathel : c'est à dire que tu tombes dedans et tu y restes accrochée !

Ajouter un commentaire