Soudain le Minotaure - Marie Hélène Poitras

 

Minotaure

- Phébus -

Novembre, un soir de neige. Une rencontre qui n’aurait jamais dû avoir lieu. Le quotidien tranquille d’une étudiante bouleversé par l’arrivée d’un être venu apporter la peur en cadeau. Quelques mois plus tard, du fond de sa cellule, Mino Torrès décharge son fiel sur les femmes. Quant à Ariane, c’est entre Munich et Berlin qu’elle renoue avec ses sens, avec le corps des autres, et avec le sien. Deux versions complémentaires d’un brusque corps-à-corps.

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Ce roman choral à deux voix est le premier roman de Marie Hélène Poitras, l'auteur de Griffintown ( prix France-Québec 2013 ). Publié en 2002 au Québec, il a été récompensé du prix Anne-Herbert. Il vient de paraître en France aux éditions Phébus.

Vous l'aurez compris par la présentation de la quatrième de couverture, ce roman est celui d'un viol, ou plus exactement d'un violeur multirécidiviste et de l'une de ses victimes. Qu'il n'a pas violé. La victime différente. Celle qu'il a attendu chez elle, celle dont il connait le nom, Ariane, lien évident avec le titre; Ariane, fil rouge de ce roman. Brisé. Mino Torrès n'a pas eu le temps de violer Ariane, parce que quelqu'un est intervenu, parce qu'elle s'est défendue. Elle s'est battue, il l'a battue, elle a cherché à fuir, il a failli la tuer en l'étranglant, elle a toujours cherché à s'échapper, à en réchapper, elle ne s'est pas soumise, elle n'a pas eu peur. Pendant. Mais après...

Deux parties dans ce roman, deux narrations en JE. D'abord, celle de Mino Torrès, en prison. Arrêté peu après, pas pour cette agression, pour d'autres. Du procès, il sera peu question. Il raconte son histoire, sa famille, ses fantasmes. Son récit est évidemment dérangeant. Il parvient à présenter lui-même les mécanismes de ses violentes pulsions sexuelles, son fétichisme physique, mais il refuse de se considérer comme malade, il refuse de lutter contre ses instincts pervers. Nous sommes enfermés dans sa psychose, tenu par son ton froid malgré sa colère; sa colère dont il ne dit jamais clairement les origines, les causes. Mino Torrès n'est pas en colère contre les femmes, s'en est presque pire, il décharge sa colère sur les femmes, parfaitement conscient de ses actes. Puisqu'il ment, à sa mère, à son épouse. Puisqu'il veut protéger des hommes sa jeune soeur aguichante. Puisqu'il sait qu'il s'agit de viol. Il n'y a pas le discours sur la provocation sensuelle féminine mais celui de la proie et du prédateur, de l'attitude de proie qui excite son désir d'agression et de contrôle. Contrôler les femmes, enfermer la sienne dans la maison, soumettre des inconnues par la peur en les prenant de force, comme lui est soumis et terrassé par ses crises d'épilepsie. La loi du plus fort. Il répète jusqu'à l'écoeurement la passivité de ses victimes. Et que ce qu'il veut voir, c'est leur effroi. Et il se sauve, pour ne surtout pas voir leur désespoir. Pas d'émotion. 

Chacune des deux parties est constituée de chapitres brefs, non chronologiques, des épisodes dans lesquels est parfois, puis souvent, évoquée l'agression d'Ariane. On rôde autour. Avant qu'elle ne soit décrite. Par Ariane. La prose est efficace, directe; ça pique, ça griffe, ça mord.

Ce second récit, celui d'Ariane, est tout aussi dérangeant, pas d'émotion non plus, la colère aussi. Marie Hélène Poitras ne joue pas avec l'émotionnel. Elle colle à son personnage par la psychologie, tout ce rationnel qui ploie et s'adapte à l'angoisse irrationnelle qui a frappé la tête sous les coups. Comme elle l'explique dans la postface dans laquelle elle revient sur le travail d'écriture de ce premier roman, elle l'écrit par le sensoriel, par ce que vit Ariane, les sens plus qu'en éveil, une tension permanente, puisque ce sont ses sens qui l'ont trahie, qui n'ont pas averti de l'homme embusqué dans sa chambre. Ses envies et la peur paranoïaque. La séquelle de cette agression, cette perte de confiance, la solitude et le silence insupportables avec " l'incapacité de renoncer aux pourquoi qui me rongeaient. ". Ariane nous raconte un double voyage, celui qu'elle a osé faire seule en Allemagne quelques mois après l'agression et celui de la transformation de sa personnalité - " C'est moi, l'héroïne, victime par défaut. ",  avec sa force de survivante qu'elle se découvre et toutes les faiblesses qui lui restent.

De ce flirt forcé avec la mort, je retiens que la peur, lorsqu'elle outrepasse son paroxysme, devient lucidité extrême. "

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Commentaires

  • Anne

    1 Anne Le 06/03/2015

    Waow beaucoup plus noir que Griffintown ! J'espère que je ne serai pas trop "désarçonnée" par le sujet.
  • Laeti

    2 Laeti Le 06/03/2015

    ça me fait penser au dernier roman de Delphine Bertholon "Les corps inutiles" abordant également l'agression sexuelle et ses conséquences sur la victime (comme la seconde partie que tu abordes). Mais je crains que ce titre-ci ne soit trop dérangeant pour moi, notamment avec la prise de parole de l'agresseur. Par contre, j'avais déjà noté Griffintow.
  • Tania

    3 Tania Le 06/03/2015

    Terrible sujet et la façon dont il est présenté me rend méfiante, même porté par une écrivaine.
  • Aifelle

    4 Aifelle Le 07/03/2015

    Je suis méfiante aussi devant ce genre de sujet, surtout lorsque l'on fait parler les violeurs.
  • Dominique

    5 Dominique Le 07/03/2015

    ah ah j'ai d'abord cru que tu te mettais à la mythologie
  • Marilyne

    6 Marilyne Le 07/03/2015

    @ Anne : te le serais-tu offerte sans lire la quatrième ? Pourquoi ça ne m'étonnerait pas ? :)

    @ Laeti : je comprends. J'ai été attiré par le titre. Par le style aussi après avoir feuilleté.

    @ Tania : c'est certain ! Et ce livre reste un roman ( pas d'autofiction )

    @ Aifelle : c'est aussi pour cela que cette postface de l'auteur est très intéressante, sur son travail d'écriture et sa " relation " à ce livre.

    @ Dominique : j'adore la mythologie ;)
  • Laure

    7 Laure Le 07/03/2015

    Ca a l'air carrément poignant et percutant.?
  • Nadège

    8 Nadège Le 07/03/2015

    Marie-Hélène Poitras est une auteure que j'apprécie beaucoup (j'ai lu Griffintown et La Mort de Mignonne). Il me faut absolument le titre que tu viens de présenter, même si je sais que je ne parviendrai pas à la lire dans l'immédiat...

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