Le palais de mémoire – Elise Fontenaille

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- Calmann-Lévy -

» Depuis que je suis revenu dans la fumerie, j’ai cessé de souffrir, je vis reclus dans mon palais de mémoire. Les yeux clos, l’embout brûlant entre les lèvres, je vois Jade tel qu’il m’apparut en ce jour lointain, à la grande chasse d’automne, son faucon sur un bras… »

Dans les limbes d’une fumerie d’opium, le jésuite Artus de Leys, déserté par la foi, déchiré par l’amour, hésite entre le réconfort de l’oubli et la douleur du souvenir. L’homme qu’il aime n’existe plus que dans son esprit, et pour l’y faire revivre sans cesse, Artus bâtit un édifice imaginaire hérité d’un art antique : un palais de mémoire. 
Au fil des « pièces » qu’il y ajoute, il se revoit arrivant en Chine pour former les jeunes lettrés de la Cité interdite à l’invitation de l’empereur Kangxi. Il revisite sa vie parisienne, convoque ses amis d’antan. Il chevauche à travers la Mandchourie au côté de Jade, son élève bien-aimé, prince qu’il initie à l’ars memoriae et à la foi chrétienne. Mais Artus ne peut repousser le souvenir du tour funeste que prendra leur passion, sous peine de voir s’effondrer son palais de mémoire…

Une lecture particulière, un étrange voyage qui raconte la fin d’un monde, d’une époque, d’un homme.

La Chine impériale du XVIIIème siècle. Ce récit est celui d’un jésuite qui enseigne aux jeunes dignitaires appelés à devenir mandarin l’ars memoriae, ce fascinant art de la mémoire, une mémoire sélective et entraînée qui n’est pas rêve éveillé, construite autour d’images, labyrinthe intime de lieux référents symboliquement meublés et agencés; composition psychique théâtre de souvenirs appelé Le palais de mémoire.  

Ce roman d’à peine 150 pages rythmé par une vingtaine de courts chapitres pour autant d’évocations se lit d’un souffle. En ouverture de ces chapitres, des extraits rappelant les mécanismes de la mémoire et énonçant les techniques de création d’un palais de mémoire.

Il est étonnant de constater que malgré le contexte historique, cette lecture semble hors-temps; une fugue, cette musique aux thèmes repris, suivis, et une échappée. C’est la magie de la plume raffinée, à la fois érudite et aérienne, sensible, délicatement sensuelle; une plume qui s’attache à la beauté, s’attarde sur les descriptions et les émotions. Une élévation et une chute, un conte, une chronique poétique, il serait absurde de tenter de définir ce texte. Est-ce ce récit historique sur le statut et le rôle des Jésuites durant cette période où ils font face à l’hostilité du pape qui leur reproche une évangélisation respectueuse des rites et croyances en la sagesse de Confucius, ainsi qu’à celle du nouvel empereur chinois reniant la curiosité et l’indulgence de son prédécesseur pour le christianisme ? Est-ce le troublant roman d’amour du maître Artus et du jeune prince Jade ?

 » Il est parfois vain de nommer les élans de l’âme. « 

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En extraits :

-  » Là où je naquis, il y avait aussi des sorcières, mais les spectres chinois sont bien plus terribles…Le peuple n’était pas le seul à croire au monde de l’Etrange; même l’empereur, si épris de raison, à l’approche de la mort convoquait souvent ses démons.

Le vent tournait en la Cité Pourpre. « 

-  » En Chine, le deuil se dit par l’absence de couleur, et c’est beauté; comme nos habits de ténèbres semblent triviaux, à côté. Car la mort, bien-sûr, c’est cela : toute couleur nous est ôtée. Le noir est une orgie de couleur, jusqu’à l’anéantissement; la blancheur seule sait dire ce qui nous manque. Sur la poitrine du Fils du Ciel, neuf dragons perle chevauchent un nuage de neige; un ruban de vison souligne l’immaculé de la robe, la rendant plus livide encore.

Et c’est splendeur, puissance, sérénité. « 

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