
- Actes Sud -
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Orphelin de ses parents tués sous les bombes, Zak n'en est pas moins inconsolable de l'anéantissement du Reich. Recueilli chez un oncle, il passe son adolescence après-guerre dans une petite ville d'Autriche. C'est là que vit Ilse, sa merveilleuse cousine, jeune poétesse et romancière promise au plus bel avenir. Chez elle, tout éblouit Zak, bien qu'il ressente de la haine pour ses engagements généreux, sa foi en la reconstruction, son idéal d'une autre Allemagne... Un jour, Ilse lui fait connaître l'homme dont elle vient de s'éprendre : Lenz, obscur poète roumain, juif désespéré, à peine rescapé de l'holocauste... De la passion orageuse, sourdement destructrice, entre Ilse et le poète de l'ombre, Zak ne peut désormais que devenir, à son corps défendant - dans une fascination à lui-même odieuse -, le témoin et le dépositaire.
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Belle lecture sous la plume de Cécile Ladjali, sous la densité de ses pages.
Il est précisé en postface que ce roman est librement inspiré de la vie et des œuvres de d’Ingeborg Bachmann et de Paul Celan. Pour autant, ne connaissant pas encore la première et trop peu le second, je ne m’en suis pas préoccupée. Je m’y intéresse maintenant, l’auteur ayant approché les œuvres de chacun au plus près, en ayant traduit elle-même des extraits et de la correspondance.
J’ai lu un roman sur l’art, la difficulté du langage, un langage pour réécrire le monde- philosophie, poésie, fiction - et non pas le traduire, sur celui de la photographie, du regard sur ce monde, sur la passion dans tous les sens du terme, sur l’Allemagne d’après la Seconde Guerre Mondiale, la conscience et la culpabilité allemandes, et cette génération d’après, née juste avant.
« Maîtriser ses origines, sa vie, son père, son nom, sa langue, son destin. »
Du style sur des chapitres courts, sur un récit d’à peine deux cents pages, qui parvient à rendre les tourments entre le passé qui ne doit pas être renié et l’avenir qui doit être espéré. Sans se détacher de ce monde par une quête intellectuelle.
« Elle voulait penser dans le sens de cet optimisme. Cependant elle savait aussi que les choses n’étaient pas si simples. Qu’il était nécessaire d’entendre d’autres voix. Alors, elle lança un coup d’œil navré en direction de Lenz, coup d’œil qui fut aussitôt interprété comme un appel. Le poète se mit à lire ses poèmes d’une voix calme, presque absente. Il semblait ailleurs. Sa fugue du monde indisposa les auditeurs. Le silence était lourd. Un silence mortel. Le temps se figea. Les quelques syllabes prononcées engluèrent les esprits et offrirent la preuve que la raison s’était fourvoyée sur les chemins du maniérisme. Le choc fut violent. Et comme c’est souvent le cas en pareille circonstance, un bloc de mauvaise foi se souleva. N’osant dire son nom (jalousie, envie, racisme, que sais-je ?), il se drapa dans le péplum grotesque de la perplexité et chaque membre du club mondain entama en chœur :
La judéité entretient-elle un rapport au martyre si spécial pour que vous décidiez d’alourdir vos poèmes avec tout ce malaise ?
Vous nous lestez, Lenz. Mais de quel droit, enfin ?
Lenz, votre langue est âpre. Elle décourage.
Et toute cette souffrance, est-elle bien nécessaire ?
Doit-on la rappeler sans cesse à la mémoire du lecteur ?
Ne sera-t-il pas paralysant et dangereux de s’en remettre à elle, quand l’heure a sonné de construire l’avenir ?
Mais l’avenir est contenu dans ces silences, cette nuit, cette nasse, s’insurgea Lenz. »
Trois personnages en paradoxes - sans négliger les personnages secondaires - : « l’ange » qui ne se retourne pas, poursuit, tente de tracer le chemin de l’avenir, des possibles qui l’entraînent vers le communisme, s’attachant à la liberté de pensée et à sa croyance en une littérature qui peut tout porter – « à son enchantement et à son pouvoir de rédemption » ; le poète survivant qui cherche dans sa désespérance pourquoi survivre à un monde maudit et déchu entre la volonté d’oubli pour reconstruire et les frissons du poison qu’il perçoit toujours vifs dans la nouvelle société, comment le dire; le narrateur, comme anesthésié, comme mort au monde en même temps que ses parents sous les bombardements alliés l’année de ses dix ans en 1942, cultivant son dégoût, de lui-même, de la vie, malgré son talent de photographe.
« … je démaquillais la réalité et le monde nu était peut-être celui qui m’effrayait le moins. »
L’art pour rendre au monde, pour l’espoir, à en toucher son infernale folie.
« … mais la poésie n’était pas faite pour le bonheur : elle était un coup de poing destiné à faire sauter la glace qui entourait le cœur des hommes. »
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- Lecture de Cécile Ladjali avec Mina –
- De la Pile à Lire avec Antigone -
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Commentaires
1 Asphodèle Le 03/07/2014
2 Lili Le 03/07/2014
3 Marilyne Le 03/07/2014
@ Lili : ravie ! tu me confirmes l'envie de présenter d'autres titres de Cécile Ladjali ( argh... un projet de plus ^^ ) ( pas lu " La chapelle Ajax )
4 Elly Le 03/07/2014
5 Marilyne Le 03/07/2014
6 Manu Le 06/07/2014
7 Marilyne Le 07/07/2014
8 Valérie Le 11/07/2014
9 Mina Le 12/07/2014
10 antigone Le 15/07/2014