Pedro Paramo - Juan Rulfo

Paramo

- Folio -

- Traduit de l’espagnol ( Mexique ) par Gabriel Iaculli –

.

De la littérature mexicaine et du réalisme magique, un roman étourdissant. Ce roman, c’est la quête du père qui mène Juan Preciado à Cómala et à la rencontre de son destin, un voyage vertigineux raconté par un chœur de personnages insolites qui nous donnent à entendre la voix profonde du Mexique, au-delà des frontières entre la mémoire et l'oubli, le passé et le présent, les morts et les vivants, selon la présentation des éditions Gallimard lors de la réédition et nouvelle traduction en 2005 de ce livre dont la première publication date de 1959.

Suite au décès de sa mère, de la promesse de revenir sur les lieux de sa jeunesse, Juan Preciado vient au village d’où sont originaires ses parents, où a vécu son père qu’il n’a pas connu. C’est dans un village abandonné qu’il (se) retrouve. Et c’est dans un village de fantômes qu’il entend puis s’efface pour écouter son histoire, celle de la famille du père qui possédait et dominait, celle du prêtre, celle des villageois et donc celle du Mexique.

.

«  - Ce village est plein d’échos. Il semble qu’on les ait enfermés dans le creux des murs ou sous les pierres. Lorsque tu marches, tu les sens sur tes talons. Tu entends des craquements. Des rires. Des rires déjà très vieux, comme lassés de rire. Et des voix usées d’avoir trop servi. Tu entends tout ça. Je pense que le jour viendra où ces bruits s’éteindront. »

 .

Force des échos dans ce court roman d’une centaine de pages sans chapitres dans lequel les voix se mêlent à la façon d’un roman choral ; une narration qui semble déconstruite, hallucinatoire, une lecture hypnotique  aux repères temporels abolis, aux récits enchâssés parfaitement maîtrisés dont les scènes et les dialogues s’imbriquent, se complètent au fil des pages. Un récit en théâtre d’ombres dont la musique est le vent qui soulève la poussière ou la pluie qui noie la terre ; un récit dans lequel ce sont les fantômes qui (d)écrivent la réalité sans l’éclaircir ou l’obscurcir avec des accents de vie qui touchent au plus juste. Que de cœurs dans ce chœur, battants, battus, que de misère et d’amour. Aux souvenirs de jeunesse de la mère qui accompagnent Juan Preciado répondent ceux du père, répondent ceux des femmes. A travers ces voix, ces scènes, c’est l’histoire d’une passion morte, de celle qui a tué le village.

.

« Dans le filtre à eau les gouttes tombent l’une après l’autre. On entend, sortie de la pierre, l’eau claire tomber dans la jarre. On entend. On entend des bruits ; des pieds qui raclent le sol, qui marchent, qui vont et viennent. Les gouttes continuent à tomber sans arrêt. La jarre déborde, et laisse couler l’eau sur un sol mouillé.

- Réveille-toi !, lui dit-on.

Il reconnaît la voix. Il essaie de deviner qui c’est ; mais le corps mollit et retombe endormi, écrasé par le poids du sommeil. Des mains tirent les couvertures et les agrippent ; et dans leur tiédeur le corps se cache, cherchant la paix.

-  Réveille-toi, dit-on encore. Les épaules se contractent au son de la voix qui fait dresser le corps, entrouvrir les yeux. On entend les gouttes d’eau qui tombent du filtre sur l’eau à ras bord de la jarre. On entend des pas qui traînent… et la plainte. Alors, il a entendu la plainte. Cela l’a réveillé : une plainte douce, ténue. Si ténue qu’elle avait traversé les broussailles du rêve jusqu’au lieu où nichent les éveils. »

.

Grand moment de lecture, voyage vertigineux, oui, comme un éblouissement. 

.

- Lecture avec Jérôme

*

 

Commentaires

  • jérôme

    1 jérôme Le 07/07/2014

    Hypnotique et hallucinatoire, c'est ça. Une incroyable expérience de lecture, loin de tout exercice de style, c'est vraiment très fort.
    Merci pour la découverte !
  • Martine Litterauteurs

    2 Martine Litterauteurs Le 07/07/2014

    Jérôme et toi m'avez donné envie de découvrir ce roman. Sans être complètement contradictoires, vos regards et vos ressentis sur ce texte sont différents. Une bonne raison pour m’intriguer et susciter mon intérêt.
  • Kathel

    3 Kathel Le 07/07/2014

    J'ai lu Le llano en flammes... mais il y a longtemps, je ne me souviens plus si je l'avais fini... désolée !
  • Marilyne

    4 Marilyne Le 07/07/2014

    @ Jérôme : oh, merci à toi de te laisser embarquer !
    @ Martine : hé, hé, contente. Je ne crois pas que nos lectures soient contradictoires, elles sont bien complémentaires, c'est chouette. J'attends la tienne :)
    @ Kathel : très curieuse de cette écriture sur le format nouvelle. Tant pis, il faudra que j'aille voir ^^
  • Noukette

    5 Noukette Le 08/07/2014

    Si avec un tel billet on a pas envie...! Argghh !
  • Manu

    6 Manu Le 09/07/2014

    Là, je sens que ce n'est pas pour moi ;-)
  • Marilyne

    7 Marilyne Le 09/07/2014

    @ Noukette : à tenter ^^, fascinante littérature sud-américaine.
    @ Manu : en effet, je sens tout pareil :)
  • Mior

    8 Mior Le 19/08/2014

    Tu me donnes envie d'aller réveiller ce livre qui s'ensommeille dans mes étagères depuis trop longtemps...
    Merci !

Ajouter un commentaire