Les oreilles de Buster – Maria Ernestam

 

- Editions Gaïa -

- Traduit du suédois par Esther Sermage -

Eva cultive ses rosiers. À cinquante-six ans, elle a une vie bien réglée qu’elle partage avec Sven. Quelques amies, des enfants, et une vieille dame acariâtre dont elle s’occupe. Le soir, lorsque Sven est couché, Eva se sert un verre de vin et écrit son journal intime. La nuit est propice aux souvenirs, aussi douloureux soient-ils. Peut-être aussi la cruauté est-elle plus douce lorsqu’on l’évoque dans l’atmosphère feutrée d’une maison endormie. Eva fut une petite fille traumatisée par sa mère, personnage fantasque et tyrannique, qui ne l’a jamais aimée.Très tôt, Eva s’était promis de se venger. Et elle l’a fait, avoue-t-elle d’emblée à son journal intime.

Un délicieux mélange de candeur et de perversion.

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Un roman comme un jardin secret, un cahier d’enfant pour des mémoires, un texte à la fois intimiste et vif, trois mois d’été, d’écriture, de tourments et de grâce sans miséricorde.

 

 » Je ne vois pas plus loin que le bout de ma phrase. Aujourd’hui, il va falloir libérer les mots, les détacher, les laisser courir sans entrave. Le soleil brille encore. Il ne sera pas plus éclatant parce que je l’écris, mais je le fais quand même. Peut-être cela m’aidera-t-il à choisir les mots justes… »

 

Un roman qui raconte autant la jeunesse que la vieillesse, la chronique d’un village, les amies de toujours et la danse des démons. Un récit lent mais dense, d’une lenteur nécessaire, entre amertume, lucidité, humour et détachement; un récit comme un consentement. Confidence plus que confession, réflexion plus que philosophie, ni pessimisme, ni désespérance malgré le regard sans concession mais sans cynisme. Et pourtant le goût de la mort. Le chaud et le froid sur cette écriture posée d’une légèreté fataliste qui dit bien plus que l’enfance difficile écrasée par une mère venimeuse, l’enfance qui se délite sous la faiblesse d’un père. Dans ce roman, il y a les erreurs, les peurs, les colères et la violence qui construisent nos personnalités malgré nous, il y a les choix qui nous détruisent; il y a les absences, les silences et les masques, la rassurante folie de nos recours secrets, ce qui nous semble beau et nous sauve, notre part de vérité.

Une peinture singulière aux facettes bigarrées, une jolie palette d’émotions, une brassée de patiences pour un temps de pause.

 

 » Je veux sentir mes roses. Peut-être m’apporteront-elles la sérénité, le réconfort, la certitude que les choses sont à leur place. Dans le cas contraire, je savourerai cet instant de divine solitude. « 

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 » Quel est le goût de l’effroi ? L’odeur de la peur ? La sensation d’une chute sans fin ? Qu’advient-il des larmes qui ne quittent pas le corps ? Nappent-elles de givre ses parois internes, de manières à ce que les organes gèlent et finissent par s’arrêter, sombrant lentement dans l’ultime repos ? Où finissent les mots qui traversent l’esprit sans être prononcés ? Existe-t-il un dépôt où s’entassent les souhaits inexprimés ? Peut-on respirer une fois de trop ? « 

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Et pour un sourire :

 

 » Petra était en grande conversation avec le pasteur, un maigre échalas au teint blême. On dirait que les corbeaux ont fait leur nid dans sa tête.

- Les Rois Mages, disait Petra, ces trois hommes qui sont venus faire des offrandes à Jésus, tu as parlé d’eux dans ton prêche l’autre jour. Tu sais à quoi ça m’a fait penser ? Et bien, si ça avait été des reines mages à la place, elles n’auraient pas fait des cadeaux qui ne servent à rien, de la myrrhe, de l’encens et je ne sais plus quoi. Non, d’abord, elles auraient demandé leur chemin pour arriver à temps et donner un coup de main pendant l’accouchement. Ensuite, elles auraient fait le ménage dans l’étable. Elles auraient apporté du linge propre, des habits, des couches et puis à manger. Et puis…

L’Aigle s’est penché vers elle à travers la table.

- Et après ? Qu’est-ce qui serait arrivé ? Et bien, je vais te le dire. A peine sorties de l’étable, elles se seraient mises à jacasser : les sandales de Marie ne vont pas avec sa tunique, le bébé ne ressemble pas du tout à Joseph, leur âne paraît bien usé, Joseph est sûrement au chômage, on ne va jamais récupérer le plat dans lequel on a apporté les boulettes de viandes…Et pour finir : Marie, vierge ? C’est la meilleure de l’année ! Je la connais depuis l’école, celle-là, je ne vous dis pas le genre… »

Le pasteur a eu l’air affolé devant tant de blasphèmes, mais il n’est par parvenu à interrompre cette discussion animée sur la distribution des rôles entre femme et hommes dans la Bible. « 

 

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Commentaires

  • Mior

    1 Mior Le 19/08/2014

    Je ne me souviens pas 'un "récit lent" mais vif et enlevé ? Avec un incipit assez inoubliable ;)
    Une lecture "facile" ET très agréable en tout cas !

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