Mille ans après la guerre - Carine Fernandez

Cfernandez

- Les Escales Editions - Septembre 2017 -

Miguel est un vieux solitaire, veuf depuis des années, qui n'apprécie que la compagnie de son chien Ramon. Il vit dans une cité ouvrière de la région de Tolède. Un matin, il reçoit une lettre de sa sœur Nuria. Elle a perdu son époux et compte venir vivre auprès de lui. Le vieux est pris de panique : sa sœur chez lui, c'en est fini de sa tranquillité, de son bonheur innocent avec Ramon. Il faut fuir ! Son chien sur les talons, le vieux prend un autocar en direction de l'Estrémadure, où il n'était jamais retourné depuis la guerre civile. Montepalomas, le village de son enfance, est enseveli sous les eaux d'un barrage. Pourtant du lac les souvenirs remonteront. Des pans entiers de sa jeunesse belle et terrible, quand on l'appelait Medianoche (" Minuit ") et que vivait encore son frère jumeau, Mediodia (" Midi "). Un frère assassiné par les Franquistes et dont le visage, mille ans après la guerre, hante toujours Miguel. 
 

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Mille ans après la guerre est autant un roman sur la guerre d'Espagne qu'un roman de l'après. Ce que ce récit met en évidence, ce sont les silences imposés par le discours des vainqueurs. Alors, ce roman de la mémoire - d'un homme, d'un pays - raconte l'amnésie de plomb. Enterrées les années de guerre civile, celles de répression par le franquisme.

" Tout ce qui rappelait la légitimité des républicains et leur bravoure devait disparaître. Ils n'étaient que des chiens rouges qui s'étaient opposés à la croisade des nationalistes et qu'il fallait désinfecter. Déjà un profond silence était tombé sur la guerre. Personne n'en parlait. A peine si on évoquait craintivement aquello, cela. Il fallait la chasser de la langue, des souvenirs, des esprits, purger les âmes par la peur."

Le personnage principal de ce roman est un rescapé des camps, un taiseux qui a laissé la vie le reprendre, sans y croire. Il est ce " vieux au chien ", qui reste distant, qui ne se lie pas. Evidemment, ce voyage qu'il entreprend sur la terre d'origine est bien plus que géographique, c'est un voyage intime et un voyage dans le passé; ce passé qui est occulté.

" Pour quelle foutue raison un octogénaire irait-il courir le monde, visiter des patelins où personne ne l'attend ? "

Il n'est plus si seul ce vieux, il est avec le chien, qui l'accompagne comme son ombre. Un homme suivi d'une ombre et d'un fantome.

Peu à peu, au fil des souvenirs, le récit dévoile les horreurs de cette guerre civile, le massacre des militants républicains dans ces villages où " la bande violette du drapeau républicain claquait comme une gifle... ". Et il raconte les camps de prisonniers. Une dizaine d'années dans trois camps de détention pour ce narrateur, enfermé à 17 ans. Il n'a pas eu le temps d'être actif, Miguel, et jusqu'au bout de ce récit, il reste ce paysan de province bringuebalé bien qu'il ait beaucoup vu. Il nous raconte les anarchistes et les communistes, ses manquements et ses manques, la désillusion, la mort d'un idéal politique et civil. Et la solitude, la distance. 

Il n'y a pas eu de réconciliation, de conciliation, pas d'amnistie. Les vaincus sont les perdants. Ce personnage est celui de la honte, la honte de ces perdants, de l'abandon, et la honte du survivant. Dans ce roman, il y a des miroirs déformants, sur l'Histoire et les histoires. Alors la réconciliation vient d'ailleurs, elle vient pendant ce voyage pour " retrouver l'autre, se retrouver lui-même ".

Mille ans après la guerre est un roman réussi, précis, au ton juste, d'une belle maitrise narrative. J'ai suivi les pas de Miguel, attachée et touchée. Dans cette lecture, ce que j'ai particulièrement apprécié, c'est que l'auteure s'attarde sur chacun de ses personnages, avec autant d'acuité que d'humanité, comme sur l'épilogue, fort, vibrant, sans pathos ou lyrisme surnuméraire. 

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" Il sortait juste de prison. La guerre mondiale était terminée. Le monde était libéré et bientôt les Alliés s'occuperaient de l'Espagne. Les jours du fascisme étaient comptés. C'est ce que tous pensaient à l'époque. C'est pour cela que les compagnons qui avaient pu fuir vers la France en 40 s'étaient engagés dans la Résistance, ou étaient passés au Maroc dans l'armée de Leclerc. C'est pour cela que le bataillon des républicains espagnols avait voulu être le premier à libérer Paris. Peut-être aussi que les Français préféraient leur donner la priorité du casse-pipe. Oui, peut-être bien, avait pensé le vieux après-coup. 

Il ne s'imaginait pas à l'époque que ces jours s'agglutineraient en années, puis en décennies, d'une noirceur interminable, une nuit polaire sans espoir, jusqu'à la mort de Franco. "

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- Le billet de Kathel -

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Commentaires

  • Brize

    1 Brize Le 26/03/2018

    Une réussite, je suis bien d'accord avec toi.
  • Marilyne

    2 Marilyne Le 26/03/2018

    @ Brize : j'ai mis le temps pour le choisir mais une fois la lecture débutée, je ne l'ai pas lâché !
  • Aifelle

    3 Aifelle Le 27/03/2018

    J'ai repéré ce roman chez les copines et il m'intéresse de plus en plus :-)
  • Kathel

    4 Kathel Le 27/03/2018

    Ce roman a été un peu moyé dans la rentrée littéraire et c'est bien dommage...
  • niki

    5 niki Le 27/03/2018

    j'ai noté le titre, mais j'attends un peu pour le mettre au programme, j'ai envie de légèreté (une fois de plus ;) )
  • Marilyne

    6 Marilyne Le 28/03/2018

    @ Aifelle : et je crois qu'il te plaira :)

    @ Kathel : c'est vrai, je l'ai croisé en librairies mais peu vu ailleurs.

    @ Niki : je comprends ça, légèreté et envie de printemps !
  • Tania

    7 Tania Le 29/03/2018

    Je n'avais pas entendu parler de ce livre, tu donnes envie de le lire - je le note.
  • MTG

    8 MTG Le 29/03/2018

    Je n'ai pas envie de lire ce genre de livre-là en ce moment, mais i pourrait me plaire, sauf si c'est trop dur au niveau des récits. Les taiseux sont toujours des personnages que j'aime enfin en général.
  • Marilyne

    9 Marilyne Le 29/03/2018

    @ Tania : je suis contente de te tenter. C'est dommage que ce livre n'est pas été médiatisé, il est réussi.

    @ MTG : il n'est pas difficile pour le récit et il ne sombre pas dans l'horreur mais elle est racontée ( mais sans complaisance ), il se lit tout seul et je crois qu'en effet ce personnage pourrait te plaire et t'intéresser.
  • Alys

    10 Alys Le 04/04/2018

    J'avais loupé ça! Ça a l'air très bien. Rien que le titre est superbe.
  • Marilyne

    11 Marilyne Le 04/04/2018

    @Alys : si tu as l'occasion, je pense qu'il pourrait te plaire.

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