
- Traduit de l'espagnol par Myriam Chirousse -
Chargée d'écrire une préface pour l'extraordinaire journal que Marie Curie a tenu après la mort de Pierre Curie, Rosa Montera s'est vue prise dans un tourbillon de mots. Au fil de son récit du parcours extraordinaire et largement méconnu de cette femme hors normes, elle construit un livre à mi-chemin entre les souvenirs personnels et la mémoire collective, entre l'analyse de notre époque et l'évocation intime. Elle nous parle du dépassement de la douleur, de la perte de l'homme aimé qu'elle vient elle-même de vivre, du deuil, de la reconstruction de soi, des relations entre les hommes et les femmes, de la splendeur du sexe, de la bonne mort et de la belle vie, de la science et de l'ignorance, de la force salvatrice de la littérature et de la sagesse de ceux qui apprennent à jouir de l'existence avec plénitude et légèreté.
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Une lecture particulière avec Rosa Montero. Qu'est-ce que ce texte ? Un récit, un journal, une lettre ? Une voix qu'on entend, qu'on écoute. Pas un monologue, un dialogue tant la romancière, dans ce livre, échange avec son lecteur, ouvre son propos et ses sujets à la propre intimité de son lecteur. Elle lui raconte, bien-sûr, Marie Curie. Sa personnalité, son apparence réservée et rigide, sa volonté et son courage, son destin exceptionnel de scientifique et de femme, qui la fascinent. Une mutante. C'est à dire une femme différente par rapport aux codes de sa société et de son époque. Evidemment, à travers tout ce travail sur la biographie de Marie Curie, Rosa Montero parle de la place de la femme, cette place à définir. Une histoire de femme et de féminité. Marie Curie devient miroir lorsque s'agit d'écrire au féminin. Marie Curie amoureuse, Marie Curie mère, Marie Curie veuve à 38 ans, Marie Curie amante passionnée.
" Mais ce livre n'est pas un livre sur la mort. " - " Mais ce livre n'est pas non plus un livre sur le deuil " - écrit Rosa Montero dans les premières pages après avoir évoqué son émotion à la lecture du journal de Marie Curie rédigé pendant un an à la façon d'une lettre à Pierre après son décès. Malgré son titre, L'idée ridicule de ne plus jamais te revoir " n'est pas un récit de deuil. " Ou pas seulement ". Il est récit de vie, réflexion sur la vie; un récit d'amours, un texte qu'on ne lâche pas, auquel on s'attache.
Ce livre n'est pas tant construit en chapitres qu'en textes comme des temps de rencontres, de discussions, chacun portant un titre significatif dont le sens s'éclairera au fil de la lecture. Par le biais du deuil amoureux, Rosa Montero nous parle de la solitude, de l'angoisse de la folie, du regard sur le passé, des mécanismes et de la pratique de l'écriture, de l'expression artistique consolatrice. Elle nous parle avec lucidité et indulgence de l'amour et de ses dérives féminines, de ses chagrins et de cette intimité partagée unique. A travers Marie Curie, elle s'interroge également sur le temps de l'enfance, sur les relations mère-fille ainsi que sur ce sentiment de culpabilité latente qui rime trop avec féminité, sur ce conflit entre le désir d'indépendance et le besoin émotionnel. Tous ces thèmes comme des mots clés, précédés d'un hashtag dans les textes, indexés comme un sommaire en fin d'ouvrage.
Quelle précieuse densité sur ces pages sous la plume limpide de Rosa Montero. Des mots personnels et justes qui se gardent bien d'asséner des vérités et ne négligent pas la touche d'humour, un sourire. Ce récit, sérieusement documenté sur Marie Curie n'est pas une biographie. La romancière réfléchit et réagit à cette biographie. Les textes sont parsemés de références littéraires et artistiques, des citations d'auteurs, des oeuvres. Parmi elles, j'ai noté " le désespérant Eaux profondes " de Patricia Highsmith, " cette formidable dompteuse de démons ".
#GrandMomentdeLecture
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" Et maintenant écoutez ! Ce que je viens de faire est le plus vieux truc de l'Humanité face à l'horreur. La créativité est précisément ça : une tentative alchimique de transmuer la souffrance en beauté. L'art en général, et la littérature en particulier, sont des armes puissantes contre le Mal et la Douleur. Les romans ne les vainquent pas ( ils sont invincibles ), mais ils nous consolent de l'effroi. En premier lieu, parce qu'ils nous unissent au reste de l'humanité : la littérature fait de nous une partie du tout et, dans le tout, la douleur individuelle semble faire un peu moins mal. Mais le sortilège fonctionne aussi parce que, lorsque la souffrance nous brise la colonne vertébrale, l'art parvient à transformer cette douleur laide et sale en quelque chose de beau. Je raconte et je partage une nuit déchirante et, en le faisant, j'arrache des étincelles de lumières à l'obscurité ( moi au moins, ça me sert à quelque chose ). C'est pour ça que Conrad a écrit "Au coeur des ténèbres": pour exorciser, pour neutraliser son expérience au Congo, si effroyable qu'elle a failli le rendre fou. C'est pour ça que Dickens a créé Oliver Twist et David Copperfield : pour supporter la souffrance de sa propre enfance. Il nous faut faire quelque chose avec tout ça pour que ça ne nous détruise pas, avec ce grondement de désespoir, avec ce gâchis interminable, avec ce furieux mal de vivre quand la vie est cruelle. Les êtres humains se défendent de la douleur insensée en l'ornant de la sagesse et de la beauté. Nous écrasons du charbon à mains nus et nous réussissons parfois à faire ressembler ça à des diamants. "
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Commentaires
1 Moka Le 27/02/2015
2 keisha Le 27/02/2015
3 Anne Le 27/02/2015
4 Noukette Le 27/02/2015
5 Praline Le 27/02/2015
6 Mior Le 28/02/2015
Non, Anne , cette lecture n'est en rien difficile, mais joyeuse et revigorante tout en parlant beaucoup de la perte certes, ce qui n'est pas donné à tout le monde. Un vrai régal !
7 Aifelle Le 28/02/2015
8 clara Le 28/02/2015
9 Kathel Le 28/02/2015
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C'est noté
13 Mina Le 09/03/2015