
- Boréal 2014 -
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Ying Chen est une auteure sino-québécoise écrivant en français. Romancière prolixe et reconnue, je l'ai découverte il y a peu lors d'une visite à la Librairie du Québec à Paris ( où est proposé tout un rayonnage d'ouvrages sur la francophonie que je m'en retournerai explorer ), attirée par le titre et la peinture en couverture de cette nouvelle parution puis convaincue par ce que disait sur ce livre la présentation de l'éditeur. Cette présentation est disponible sur le site Boréal ICI avec la possibilité de lire les premières pages.
Ying Chen est née en 1961 et a vécu à Shanghai jusqu'en 1989, une jeunesse sous la Révolution Culturelle. Ce fut ensuite Montréal, Paris, puis Vancouver où elle s'est installée.
Ce texte d'une centaine de pages est une lettre à son fils aîné : " Il est nécessaire que je t'écrive très longuement, parce que la situation est très complexe. De simples échanges quotidiens ne suffisent pas. Connaissant un peu l'histoire de l'Europe, l'histoire des deux guerres mondiales, l'histoire de l'Amérique, l'histoire des dynasties chinoises, toi aussi tu te rends compte que les civilisations, tout comme les langues, ne sont pas faites pour durer éternellement. Le changement est une loi absolue dans un monde sans absolu. "
Dans cette lettre, les mots sont autant ceux de l'écrivain que ceux de la mère, accompagnés de ceux de grands auteurs ou de textes fondateurs asiatiques et occidentaux; les mots d'une femme qui réfléchit à la notion d'identité, à celle de la différence, notamment dite culturelle, à l'emploi de ces mots dits politiquement corrects et aux politiques paradoxales, au concept de mémoire, individuelle et collective; des réflexions sur la maternité et la transmission, aussi, évidemment.
Ying Chen réfute cette question identitaire qui cloisonne et limite au lieu de naissance par lequel " on nie mon individualité ". Elle l'appelle la "maladie identitaire ", découverte lors de ses séjours en Europe. J'ai retrouvé dans ses réflexions beaucoup du propos de Luba Jurgenson ( native russe vivant en France ), dans son essai Au lieu du péril, sur cette question, sur ses limitations, sur le bilinguisme, l'autre langue comme un " espace intérieur " supplémentaire. Luba Jurgenson dit " une pièce en plus ", Ying Chen écrit une maison : " La langue française est une maison que j'ai aperçue sur mon chemin à l'âge de dix-huit ans. Cette maison est peuplée de grands esprits tels Valery, Camus, Proust. J'ai continué ma route par la suite, sachant que désormais j'avais une maison en plus dans ma vie. "
Pour ces deux femmes en exil vécu comme " un exil positif " ( selon la formule de L.Jurgenson ), l'identité ne peut être définie par l'extérieur géographique et temporel. Elle est évolutive, un chemin intérieur et interactions, " une dynamique entre le soi et l'autre ", " moins un héritage qu'une création ".
Alors Ying Chen a raison, " tout est question de regard ", de relativité, d'impermanence et de passages. A son fils, deuxième génération de l'immigration, elle cherche à dire le " caractère multiple de la vérité " sans occulter ses propres contradictions parfois comme ses sentiments ambigus pour Shanghai, comme sa volonté de faire apprendre le chinois à son garçon. Elle renoncera à cette volonté ou plutôt aux raisons de cette volonté, l'incitant maintenant à découvrir le chinois simplement comme une autre langue pour tout ce que cette connaissance peut apporter.
Elle revient sur son travail d'écriture, telle une quête spirituelle, et ses motifs récurrents d' " écrivain migrant [ qui ] est un sédentaire qui s'installe ailleurs "
Une lecture à la fois dense et fluide, d'une prose fine et précise, extrêmement réaliste et attentive, en quelques chapitres et quelques souvenirs de promenades en bord de mer. Avec cette phrase parfaite :
" La littérature nous déracine. "
C'est ce livre qui m'a fait pleinement prendre conscience comme celui de Luba Jurgenson ainsi que l'échange avec cette dernière, m'avaient marquée, nourrie et enrichie. La lenteur des montagnes de Ying Chen est également un petit éloge de l'errance; cette lettre une lettre d'amour qui me laisse éblouie par la qualité de cette lecture, songeuse et sereine, tellement heureuse de cette rencontre.
" Je n'ai pas de réponse à ta question, mon enfant,
mais je te recommande les poèmes de Rilke. "
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- Correspondance au féminin avec Mina qui vous présente Les lettres de Madame du Deffand à Voltaire -
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Commentaires
1 Anne Le 02/02/2015
2 Martine Littér'auteurs Le 03/02/2015
3 Marilyne Le 03/02/2015
@ Martine : Tu l'as lue, cette lettre ? :-) . Ying Chen choisit le mot source plutôt que celui de racine, j'aime aussi particulièrement ( ainsi que la métaphore du tunnel )
4 Mina Le 03/02/2015
5 Martine Littér'auteurs Le 03/02/2015
6 Dominique Le 04/02/2015
7 Tania Le 05/02/2015
8 Marilyne Le 05/02/2015
9 Marilyne Le 05/02/2015
@ Dominique : tu suis donc le même parcours que moi vers cette lecture.
@ Tania : Je crois, en effet, que ce livre t'intéressera ( ainsi que le Petit éloge de l'errance, si tu ne l'as pas déjà lu )
10 Litterama (Les femmes en littérature) Le 26/04/2015
11 Marilyne Le 27/04/2015