
- Actes Sud BD - 2014 -
Le prince Panthère, dandy, charmeur, vient réconforter la jeune Christine, dans sa chambre, après la mort de son petit chat. Commence un étrange jeu de séduction entre le félin et sa proie.
J'ai choisi cette BD parce qu'elle m'a impressionnée mais elle n'est pas du tout facile à présenter. Je tiens d'abord à en souligner la qualité éditoriale sur le format à l'italienne, les pages épaisses, un véritable espace offert à l'illustration. Le récit découpé en chapitres se passe de bulle, les mots libres sur la page.
Malgré ses couleurs éclatantes, elle est sombre cette BD, et ce n'est pas un album jeunesse. Cette panthère est un prédateur sexuel. Tout y est perverti, les paroles, les jeux, comme nous le découvrons au fil des pages. Tout est dans l'implicite mis à part les dernières cases, plus explicites sans pour autant être réellement descriptives.
Ce qui m'a impressionnée, c'est la créativité graphique, les perspectives, les compositions, l'utilisation des couleurs, des ombres; puis l'approche de ce sujet difficile. Il se mêle d'onirisme, non pour adoucir mais pour mettre en évidence la rencontre possible de deux univers, celui de l'enfance et la noirceur manipulatrice, perverse; les fantasmes d'un enfant, le merveilleux et la fantaisie dont il pare le monde, l'esprit totalement ouvert à d'autres mondes, face aux fantasmes dépravés.

Le choix d'un personnage Panthère est fin quant à la mise en l'image et aux représentations que l'on peut en avoir. C'est un félin, il est à la fois prédateur mais aussi bon gros chat, protecteur et caressant. Dans plusieurs cases, on reconnait le chat, sur d'autres, la panthère est noire ou elle semble avoir une gueule de dragon... et c'est toute l'ambiguïté de ses poses, couchée sur le lit, enveloppant l'enfant de son grand corps.

La jeune Christine vit avec son père, elle est en deuil de sa petite chatte. Les premiers chapitres, inscrit dans son réel, sont superbes, bichromes, camaïeu de rouge et bleu.

Cette nuit là Octave Abracadolphus Pantherius, prince héritier de Panthésia apparaît. Il amuse et console la petite. Il lui raconte son Royaume, il la fait rêver. Séducteur, enjôleur, il s'adapte, se transforme, se déguise - jeux de masques - modifiant son allure et ses histoires selon les réflexions de l'enfant, changeant de costumes. Peu à peu, il se rapproche, dans tous les sens du terme, accaparant son attention, son univers, la séparant de ce qui lui est proche, comme sa peluche préférée, qui disparaît. C'est l'animal qui apprivoise l'enfant. L'ami imaginaire est un démon, le rêve vire au cauchemar.

Sous le foisonnement coloré, il y a l'épure du fond blanc. Plus de décor. Plus rien, plus de réalité autour d'eux... Une absence que viennent rompre les pleine pages éclatantes, paradoxalement celles du sommeil, de la nuit; celles où la panthère est noire. Une caverne, un loup.
Evidemment, cet album est dérangeant. Il y a un malaise, un pressentiment. Il y a le contraste entre la dynamique des jeux, le vif des tons d'aquarelle rehaussée de gouache et le sujet. C'est ce qui rend cette BD originale si forte, si évocatrice. Une réussite graphique et narrative.
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- Brecht Evens a signé un Travel Book Paris, dont j'ai pu voir des originaux à l'une des expositions du Festival de St-Malo, qui me fait rêver -
- L'artiste flamand a réalisé pour les 40 ans de la maison d'édition Actes Sud, FRESK : En 2018, Actes Sud fête ses quarante ans d’existence. A cette occasion, la maison d’édition arlésienne a passé commande à Brecht Evens d’une œuvre originale qui soit, non pas un récit linéaire des décennies écoulées, mais plutôt une évocation des temps forts de son histoire, ou encore de souvenirs, d’anecdotes partagés avec des auteurs ou des collaborateurs, de représentations des lieux, arlésiens et parisiens, où elle est installée, de réinterprétations visuelles de personnages ou de scènes extraites de romans, ou encore de moments de la vie quotidienne qui caractérisent l’activité d’une maison d’édition, une œuvre qui soit une invitation à une rêverie ludique et joyeuse. Intitulée Fresk par son auteur, elle a été réalisée sur papier à l’encre et au feutre, et sera déclinée sur l’ensemble des supports de communication annonçant l’anniversaire.
Deux planches de 95X150 cm, à disposer côte à côte verticalement ou horizontalement :

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- Rendez-vous BD pour le mois belge -
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Commentaires
1 Anne Le 11/04/2018
2 Ellettres Le 11/04/2018
3 Autist Reading Le 11/04/2018
Je trouve également que ce huis-clos pourrait se prêter à une intéressante adaptation théâtrale, non ?
4 Marilyne Le 12/04/2018
@ Elletres : après avoir écrit ce billet, j'ai lu un peu, notamment une interview. Le projet ne semble pas didactique. L'auteur semble plus avoir été intéressé par la mise en scène et en image de l'atmosphère, du jeu peur-séduction-fascination, de travailler sur l'ambiguïté du personnage qui peut tout-à-fait sortir d'un univers littéraire enfantin. Je ne crois pas que l'on puisse adresser cet album à des enfants.
@ Autist Reading : c'est très particulier comme univers graphique et je suis très fan. J'imagine qu'il ne peut pas laisser indifférent, on aime ou on déteste. Excellente idée pour l'adaptation théâtrale !