
- Sabine Wespeiser Editeur - Septembre 2018 -
- Traduit de l'anglais ( Irlande ) par Mona de Pracontal -
Quand il ouvre la porte à la gamine terrifiée par la disparition de son père, le prêtre et narrateur de ce roman en sait déjà dejà long sur elle. Le village entier se perd en conjectures sur cette famille pas comme les autres, revenue depuis peu en Irlande et installée dans le pavillon-témoin du lotissement en construction.Mais personne ne sait vraiment qui ils sont. Et les bribes de confidences livrées par la petite fille, dans son anglais aux intonations bizarres, n'en révéleront pas beaucoup plus sur l'atmosphère étrange de la maison : les portes y claquent sans raison, l'électricité est soudain coupée,des objets se volatilisent, avant les habitants eux-mêmes… Tout cela sous une chaleur caniculaire, où le temps s'étire en d'insolites séances de bronzage, où des mots apparaissent, écrits sur la poussière des fenêtres, et où l'irrespirable air nocturne est empli de bruits inexpliqués.
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Rien d'autre sur terre est un roman trouble et troublant, il suit peu à peu son chemin dans l'esprit pendant et après la lecture. Je l'ai lu d'un souffle, sans certitude. Le lecteur ne sait rien, rien de plus, il n'y a pas de révélations. Il s'agit d'un roman tout en atmosphère, un premier roman prenant, dérangeant, le malaise y est prégnant. Conor O'Callaghan est poète, et c'est évident. Non par des descriptions lyriques mais par cette façon d'approcher, d'effleurer, de rendre le diffus.
Un roman de l'étrange quand les lois sociales ne permettent pas de se raccrocher à une forme de théorie, un roman de la confusion et du soupçon. D'abord la confusion des identités dans cette famille constituée de la mère, de sa soeur siamoise, du père, de l'enfant d'une douzaine d'année. Deux femmes, un homme, la mère qui disparaît, la fille qui répond autant à son prénom qu'à celui de sa mère, sa langue qui est plus l'allemand que l'anglais. Incertitudes et insécurité latentes dans ce roman. Des blancs, des absences. Tout cela sous la chaleur de mois estivaux caniculaires de poussières. La famille vit dans un logement témoin, isolée, les travaux du lotissement sont arrêtés. Des carcasses autour, les squelettes d'un quartier, ces descriptions participent à la déliquescence, à l'ambiance délétère. Une famille d'ombres qui se délite et sombre dans ce presque huis-clos.
Il y a sur les pages à la fois une distance et quelque chose d'hallucinant et d'halluciné avec ce climat, cet environnement. Plus de repères. Le contexte irlandais n'est pas concrètement développé, c'est le lotissement, le supermarché du village, les routes de terre, les taillis. Peut-être est-il là ce contexte, dans cette perte et perdition.
On frôle l'absurde parfois, comme lors de ce dîner, à la frontière du gothique, chez les anciens propriétaires du terrain.
Le récit est celui du prêtre, contraint de recueillir la jeune fille le temps que la police et les services sociaux enquêtent et agissent. Et c'est aussi là que tout se joue. Parce que la gamine passe deux nuits chez lui. Nous comprenons que ce prêtre témoigne, qu'il témoigne pour son innocence. Il n'a été que témoin, il n'a rien fait. Le dernier tiers du récit lui est consacré, il ressemble à une confession, sans réponse. En lisant, par la distance, l'absurde, l'interprétation des événements, le malaise, j'ai parfois pensé à L'Etranger de Camus, particulièrement pour cette partie.
C'est aussi ça qui est fascinant dans ce roman - comme cette famille a fasciné - , c'est que l'auteur s'intéresse aux conséquences d'un drame sur les témoins actifs.
" Alors j'ai écrit ce que j'ai bel et bien vu, ce que je crois avoir vu et ce que je sais avoir entendu. Mais je ne serai pas l'homme qu'ils veulent que je sois. Je ne porterai pas la couronne d'épines de leur bouc émissaire. Pourtant, plus j'en dis sur la vérité, plus je parais décidé à m'inscrire plus près du centre d'une histoire qui n'aurait jamais dû être la mienne. "
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- Une chronique sur Cannibales Lecteurs ICI -
- Lecture irlandaise avec Anne qui présente L'herbe maudite de Anne Enright -
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Commentaires
1 Kathel Le 12/10/2018
2 Marilyne Le 12/10/2018
3 Kathel Le 12/10/2018
4 Marilyne Le 12/10/2018
5 Anne Le 12/10/2018
6 Marilyne Le 13/10/2018
7 Tania Le 13/10/2018
8 Marilyne Le 13/10/2018
9 Annie Le 16/10/2018
10 Lili Le 17/10/2018
11 Marilyne Le 17/10/2018
@ Lili : un roman tout en atmosphère, quelque chose d'insaisissable ( d'accord peut-être l'expression " effleurer le diffus " est quelque peu particulière, comme cette lecture, pas trouvé mieux exprimer ce malaise flottant ).
12 Kathel Le 19/10/2018
13 Marilyne Le 19/10/2018