
- Folio 2010 - ( Editions Denoël 1992 pour la traduction française ) -
- Traduction ( de l'anglais ) par Henriette Guex-Rolle -
Japon, 1614. Le shogun formule un édit d'expulsion de tous les missionnaires catholiques. En dépit des persécutions, ces derniers poursuivent leur apostolat. Jusqu'à ce qu'une rumeur enfle à Rome : Christophe Ferreira, missionnaire tenu en haute estime, aurait renié sa foi. Trois jeunes prêtres partent au Japon pour enquêter et poursuivre l'oeuvre évangélisatrice.
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Une grande lecture qui m'a secouée, j'ai corné plus d'une dizaine de pages. Je n'étais pas certaine d'accrocher pleinement à ce roman du fait du contexte historique inconnu pour moi, j'ai été totalement prise bien que la lecture soit éprouvante, violente autant par les scènes que par la tension psychologique, spirituelle. D'abord, ce contexte historique est parfaitement explicité et mis en scène pour un lecteur occidental. Ensuite, ce récit va bien au-delà du roman historique.
Le silence du titre est celui de Dieu qui trouble le prêtre relatant son histoire ( à la façon d'un roman épistolaire ) face aux souffrances des chrétiens japonais. Sa présence révélée accentue leurs persécutions. Le prêtre est bouleversé par la fidélité à leur foi, la simplicité de ces paysans qui lui donnent tout, par leur martyr misérable, par cette folie, cette atrocité. Alors, Silence aurait pu être au pluriel. C'est aussi les silences de cet homme d'Eglise, qui doute, non pas de sa foi, mais de ses convictions quant à sa pratique, quant à la notion de miséricorde, quant à sa mission " quand Dieu devient un objet de terreur et de confusion "; c'est aussi sa solitude. Et c'est le silence qui entoure ces catholiques japonais exécutés.
" Pas un souffle d'air. Tout comme auparavant, une mouche s'agitait obstinément autour du visage du prêtre. Le monde extérieur restait pareil à lui-même. Un homme était mort et rien n'avait changé. [...] Son désarroi, pourtant, n'était pas provoqué par l'événement, mais par la tranquillité de la cour, le chant des cigales, les ailes palpitantes des mouches. Un homme était mort. Et le monde demeurait immuable, comme si rien ne s'était passé. "
" Le prêtre essayait de réciter l'Ave Maris Stella, mais les paroles de la prière s'effaçait devant l'image insistante de la cigale dans le myrte, de la trainée de sang sombre au sol de la cour. Il était venu dans ce pays afin de donner sa vie pour les autres et c'était les Japonais qui, un à un, donnaient la leur pour lui. "
Silence, malgré son rythme, ses violences, est un roman de l'intériorité, très fin. C'est un chemin de questions, un chemin de croix. Le prête revient sur le parcours du Christ, sur la relation à Judas, son regard sur lui. Quelle définition donner à la trahison ? Quel sens a-t-elle ?
" Que cherchent ces paysans japonais auprès de moi ? " - " Mon père, avait-il dit, quel mal avons-nous fait ? "
Ce roman nous raconte aussi les relations entre le Japon et l'Occident sur fond de rivalités entre l'Espagne-Portugal ( catholiques ) et l'Angleterre-la Hollande ( protestants ) dans un pays qui cherche à préserver ses propres traditions et donc croyances. A ce titre, les longues discussions entre le prêtre en captivité et le Shogun ( qui ne condamne pas la chrétienté d'un point de vue spirituel mais politique et nationaliste ) sont très intéressantes, toutes en métaphores.
Et des pages magnifiques sur l'impermanence-permanence de la mer.
" Et soudain résonna en moi le mugissement de la mer tel que nous l'entendions, Garrpe et moi, dans notre cachette solitaire. Le bruit de ces vagues, roulant dans l'ombre, comme un tambour voilé, le bruit de ces vagues, déferlant sans raison, la nuit durant, refluant et brisant à nouveau le rivage. la mer implacable qui avait baigné les corps de Mokichi et d'Ichizo, la mer qui les avait engloutis, la mer qui, après leur mort, se déroulait à l'infini, pareille à elle-même. Tel le silence de la mer, le silence de Dieu. Silence sans démenti.
Non ! Non ! je secouai la tête. Si Dieu n'existe pas, comment l'homme pourrait-il supporter la monotonie de la mer et sa cruelle indifférence ? "
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Shûsaku Endô ( 1923 - 1996 ) était catholique par sa mère. Il sera baptisé en 1935 sous le nom de Paul à Kobe. Il vécu la difficulté d'être chrétien dans le Japon des années 30. Il découvre l'Occident pendant ses études ( études de littérature française à Lyon, découvre Mauriac, Bernanos, ). Il s'interrogera sur la problématique de la foi chrétienne dans un pays éloigné de la conception du monothéisme.
En 2016, M.Scorsese a adapté ce roman pour le cinéma. Je n'ai pas vu ce film, préférant toujours avoir lu le livre avant ( qui était déjà sur mes étagères ). Je ne regrette pas, je pense que la lecture m'aurait moins prise à connaitre le cheminement de ce prêtre.
La photographie de couverture actuelle du Folio est donc issue du film. J'aime bien mieux celle de mon édition précédente, elle me parait bien plus illustrer ma lecture.

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- Une lecture partagée avec Sentinelle ( qui a vu le film ) -
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Commentaires
1 Sandrine Le 25/08/2018
2 sentinelle Le 25/08/2018
Merci en tout cas pour cette LC. Nous avons fait de bons choix jusqu'à présent :)
3 Marilyne Le 25/08/2018
@ Sentinelle : première lecture de cet auteur pour moi aussi, et je crois que c'est l'une des lectures qui me restera le plus. Merci à toi également pour ces LC, si tu souhaites poursuivre, tranquillement, au fil de l'année, je réponds présente :)
4 Tania Le 25/08/2018
5 Anne Le 25/08/2018
6 Marilyne Le 26/08/2018
@ Anne : clairement, la BO du film présentait un étalage de violences, présentes certes dans le récit, mais on peut craindre une certaine complaisance à la mise en image.
7 maggie Le 26/08/2018
8 dasola Le 27/08/2018
9 Alys Le 27/08/2018
10 Lilly Le 27/08/2018
11 Marilyne Le 27/08/2018
@ Dasola : bonjour Dasola, je comprends bien pour le film, je crois qu'il serait trop éprouvant pour moi.
@ Alys : merci pour ton commentaire détaillé. Sentinelle m'avait dit que le film était très fidèle. Je crains le violence mise en image plus que le silence. C'est à dire qu'en effet, tu me motiverai à le visionner. Ta remarque est juste quant à l'extrapolation, j'en étais restée à la question de vivre sa foi. Décidément, tes remarques me font cogiter :)
@ Lilly : oui, j'ai été sensible à l'écriture malgré un a-priori du fait que le roman est traduit de l'anglais, non du japonais. Cette lecture devrait t'intéresser !
12 Annie Le 27/08/2018
13 Marilyne Le 29/08/2018