
- Liana Levi - septembre 2017 -
- Traduit du japonais par Jacques Lalloz -
Une fillette a été enlevée et assassinée à 100 km de Tokyo, en 1989, an 64 du règne de l'empereur Shôwa. Nom de code de l'affaire : Six-quatre. L'inspecteur Mikami faisait partie de l'équipe chargée de la traque mais le ravisseur avait réussi à fuir avec la rançon. Impossible pour lui d'oublier cet échec cuisant, que la récente et mystérieuse disparition de sa propre fille ne fait que rappeler... Presque quatorze ans ont passé, dans le même commissariat, il dirige le service des relations presse. On lui demande d'organiser la couverture médiatique de la visite du grand chef de la Police nationale, destinée à montrer que les recherches continuent.
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Ce polar de plus de 600 pages n'a rien d'un thriller. Il s'agit d'un récit psychologique et sociétal dense, présenté sur un temps resserré, cette fameuse semaine de préparation de la venue du grand patron de Tokyo.
Nous suivons l'inspecteur Mikami. Sa fille Ayumi de 16 ans a fugué trois mois plus tôt. Ils sont sans nouvelle; avec son épouse il est contraint de se rendre auprès de commissariats pour des identifications lorsque le corps d'une jeune fille est retrouvé.
Le roman Six-Quatre ne plonge pas tant dans le passé, il est ancré dans ce présent, dans les doutes de Mikami, quant à l'enquête sur le kidnapping, son rôle de père, les motifs de la visite du grand patron, son poste de responsable des relations presse. Il a été inspecteur de la Criminelle, actif 20 ans, avant d'être désigné pour cette responsabilité huit ans plus tôt. Il se sent comme un transfuge entre la Criminelle et ce département Administratif, le " chien de garde " de ce département.
Ce roman, c'est une partie d'échec, expression que j'utilise pas seulement en référence au jeu de stratégie, même si une lumière d'apaisement apparaîtra dans les dernières pages.
Ma lecture fut laborieuse pour le début, certainement parce que fragmentée, mais aussi parce que je me suis un peu perdue parmi tous les personnages avant de m'y retrouver, et parce que le récit m'a surprise. Je m'attendais à une enquête, sur ce kidnapping ancien de 14 ans. Il s'agit plutôt d'une enquête au présent sur les rivalités et luttes d'influence entre les différents services de la police, celles entre police locale et police d'Etat, les fontions, manoeuvres et intrigues des différents collègues; et une quête, une quête de sens. L'inspecteur Mikami s'interroge beaucoup, sur les motivations de ses supérieurs, sur sa carrière, sur son mariage, sur son devenir professionnel, et sur les relations que doit entretenir la police avec la presse. Celles-ci sont détaillées, déployées au fil des 600 pages. Je n'ai pas été étonnée de lire que l'auteur a été journaliste d'investigation. Alors, cette sordide affaire passée, le Six Quatre, c'est à la fois un prétexte et le noeud, l'élément perturbateur, du récit, sur lequel reviendra l'épilogue en course poursuite.
Il n'y a pas de lenteur dans ce roman, la tension est palpable, chaque moment et contexte précisés, suivis de réflexions et des analyses de Mikami, ce qui en explique la longueur de la lecture.
Ce roman, en fait, c'est un tableau de la société japonaise, une enquête de l'intérieur bien plus qu'à l'extérieur. Ce dont on nous parle, c'est de la gestion, des enjeux, des pouvoirs et des limites de l'information, pas seulement via les médias. Ce que l'auteur nous raconte aussi, c'est cette société encore si codifiée, confinée, si dans l'implicite, où pèsent tellement les notions de dignité, de paraître, de pudeur et de honte, de sens du devoir et de hiérarchie ( à titre d'exemple, il est humiliant pour Mikami d'avoir dû signaler à ses collègues la disparition de sa fille, il perçoit cet aveu comme une faiblesse ). J'ai été impressionnée par cet aspect si récurrent, la rigidité et les masques, la solitude intime, les codes subtils, l'attention portée aux expressions des visages, aux regards, aux choix des mots dans les dialogues, aux formules extrêmes de politesse dans les paroles, les gestes; et par la soumission féminine.
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" Il finit par renoncer. Ne pas pouvoir écrire un seul mot... Un sentiment d'impuissance peu commun l'envahit. Lui qui pensait que ça n'était pas difficile d'amener quelqu'un à se confier. Il en avait fait cracher tous leurs mensonges et leurs vérités, exposer tous leurs replis obscurs, avait mis leur coeur à nu. En usant de la force : la force sans égale conférée par l'uniforme de la police.
Il ramena son regard sur la feuille. En l'occurrence, il avait besoin de mots, pas de force. Des mots clairs et précis qui porteraient jusqu'au coeur de celui qui les lirait... Rien... N'aurait-il disposé que d'une parcelle de cette capacité, Ayumi ne se serait pas éloignée à ce point. Les mots étaient des armes, des instruments de guerre psychologiques affilés capable de lacérer les coeurs humains. Mikami n'avait jamais changé d'attitude, même en dehors du travail. M'est-il même arrivé une seule fois dans ma vie, se demandait-il, de vouloir sincèrement faire appel au coeur de quelqu'un ? "
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- Une lecture partagée avec Sentinelle - Le billet de Dasola -
- 612 pages, c'est un Pavé de l'été avec Madame Brize -
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Commentaires
1 Kathel Le 01/08/2018
Je ne suis pas certaine de te suivre sur ce terrain, cet aspect un peu rigide du Japon, et sur plus de 600 pages, ça ne me tente pas trop...
2 sentinelle Le 01/08/2018
3 Aifelle Le 01/08/2018
4 Marilyne Le 01/08/2018
5 Marilyne Le 01/08/2018
6 Marilyne Le 01/08/2018
7 maggie Le 01/08/2018
8 Marilyne Le 01/08/2018
9 Anne Le 01/08/2018
10 yuko Le 01/08/2018
11 Autist Reading Le 02/08/2018
12 Marilyne Le 02/08/2018
@ Yuko : oui, pour l'insaisissable de premier abord de cette culture et en cela ce roman est très intéressant, une immersion ! Ah, pas encore lu Murakami ;)
@ Autist Reading : il est prenant ce roman, mais il faut vouloir se laisser prendre. Le lire à deux nous a permis de ne pas lâcher.
13 maggie Le 02/08/2018
14 Annie Le 02/08/2018
15 Marilyne Le 02/08/2018
@ Annie : merci, j'y reviens avec toujours autant d'intérêt en essayant de varier les genres.
16 Lilly Le 06/08/2018
17 dasola Le 07/08/2018
18 Brize Le 07/08/2018
19 Marilyne Le 12/08/2018
@ Dasola : oui, j'en ai apprécié la subtilité, notamment de l'épilogue.
@ Brize : un pavé noyé dans les parutions de rentrée littéraire.. .je reconnais qu'il ne se dévore pas, mais qu'elle lecture, je ne regrette pas l'immersion.