
- Editions Zones - 2018 -
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Cet essai de Mona Chollet semble être devenu une référence dans les publications féministes ( et avoir généré moult parutions autour de la figure de la socière depuis son succès ). L'auteure a déjà signé deux titres sur le sujet paru chez le même éditeur : Beauté fatale, les nouveaux visages d'une aliénation féminine ( 2012 ) ainsi que Chez soi, une odyssée de l'espace domestique ( 2015 ).
Si cet essai est intéressant sur le sujet, il ne m'a pas enthousiasmée. Plus le temps de lecture s'éloigne, moins il m'en reste de traces, si ce n'est d'avoir noté d'autres titres cités sur ces pages.
Le titre Sorcières, la puissance invaincue des femmes me semblait orienter ce texte vers un contenu historique. Ce n'est pas réellement le cas. L'auteure prend pour événement fondateur la chasse aux sorcières qui sévit durant la Renaissance, certes, pour se préoccuper ensuite du féminisme de la seconde moitié du XXème siècle.
Mon premier regret est que son approche est principalement tournée vers les pays anglo-saxons. Ensuite, les références abondent, l'essai est évidemment documenté et intéressant de ce point de vue, mais, de fait, le texte ressemble plus à une compilation de commentaires de ces extraits et/ou informations - résultats d'études et de témoignages.
Cet essai revient finalement sur des réflexions et analyses qui ne sont pas des révélations, ne propose pas d'autres angles, n'enrichit pas le sujet. Je n'ai rien appris à cette lecture ( si ce n'est des anecdotes people ). Disons que cet essai confirme et qu'il ne pose aucune difficulté de lecture. Quoique cet aspect compte-rendu m'a paru parfois décousu, les liens et transitions entre les parties flous et ténus. L'auteure n'est pas avare d'exemples en complément des citations ( je ne suis pas certaine que ce soit des exemples, parfois le témoignage est en fait l'argument ), citant des films, des articles de presse, des publicités.
J'ai été étonnée de ne rien lire sur les mouvements féministes ( européens ou français ) contemporains, sur ce XXème siècle en France qui a vu les suffragettes, le travail des femmes, l'obtention de l'indépendance financière, la diffusion de méthodes de contraception et la légalisation de l'avortement, notamment ( auncune Simone à l'horizon ); étonnée de ne rien lire non plus sur les féminicides ou la reconnaissance de la sexualité féminine. Lorsqu'il est question des archétypes sociétaux, c'est plutôt à propos de la société américaine.
L'essai se divise en quatre parties, avec en filigrane cette figure de la sorcière, c'est à dire de la femme libre, émancipée des règles et normes sociétales. La première, après l'introduction sur la chasse aux sorcières et " comment cette histoire a façonné notre monde ", s'intéresse à l'indépendance féminine, vaste propos, naviguant donc sur les archétypes conservateurs, sur la tradition patriarcale et familiale, l'infantilisation de la femme, " le réflexe de servir ". L'auteure s'attarde sur le débat autour des mots Mademoiselle/Madame ( mais rien sur le débat autour de la féminisation des noms de métiers, fonctions, titres, etc ). Evidemment les faits relatés sont édifiants. L'image dévalorisée de la femme célibataire ( qui ne l'est fatalement pas par choix ) est soulignée, " femme à chats "; " l'aventurière " est marginalisée. Mona Chollet cite particulièrement ( et constamment ) deux ouvrages : La sorcière et l'Occident de Guy Bechtel ( Plon, 1997 ) ainsi que Caliban et la sorcière de Silvia Federici ( traduit de l'anglais - USA - par le collectif Senonevero, 2004 ).
L'auteure nous emmène ainsi vers l'un des coeurs du sujet : la maternité en seconde partie, vue comme une aliénation première. Elle nous parle du non-désir d'enfant à justifier dont la femme va se repentir ainsi que du regret de maternité tabou. Mais rien sur l'institution de la fête des mères. Elle revient ainsi sur la position secondaire de la femme, inscrite dans " le don de soi ", dans l'épanouissement par le bonheur des autres, dans la culpabilité. Ce qui nous entraîne vers la troisième partie, la femme vieillissante, figure féminine honnie, puisque plus procréatrice, voir pire, détentrice de savoir. C'est " l'obsolescence programmée ". Nous abordons les diktats de l'éternel jeunesse, de la séduction, la mégère, la mamie, le symptôme du cheveux blanc ( bonjour Patty ) avec le fameux Une apparition de Sophie Fontanel en référence littéraire, l'inégalité flagrante dans le regard sociétal sur les différences d'âge dans le couple ( bonjour Brigitte ), la propension des hommes à quitter leur épouse pour une femme plus jeune ( bonjour Monica, bonjour Sharon ) pour finir avec la couguar.
Dans la dernière partie, c'est le corps des femmes, le corps médical, avec l'ouvrage de Martin Winckler Les brutes en blanc ( Flammarion 2016 ) et un retour à la chasse aux sorcières puisque l'un de ses motifs fut de faire disparaître les guérisseuses au profit des médecins, la médecine, sa pratique masculine se développant à cette période. Où l'on retrouve la " position secondaire " de la femme, infirmière, aide-soignante. Puis il s'agira, après la déchéance physique, de la déficience intellectuelle ( les vertus féminines sont reconnues pour mieux les cloisonner, toujours moindre que les qualités dites masculines ), de la notion de " nature féminine ". Ensuite, ce sera la relation à la nature, les mouvements éco-féminismes, là, j'avoue, l'auteure m'a perdue.
Les livres que je note ici sont ceux les plus largement cités, Mona Chollet s'appuie sur de nombreuses autres lectures, essais et autobiographies, dont celles de Susan Sontag et d'Erika Flahault ( Une vie à soi, nouvelles formes de solitudes au féminin ). On croise, rapidemment, Virginia Woolf également.
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" La thèse martelée et déclinée sur tous les supports au cours de cette période tient en deux mensonges : 1) les féministes ont gagné, elles ont obtenu l'égalité; 2) maintenant, elles sont malheureuses et seules. La seconde assertion ne vise pas à décrire une situation, mais à faire peur, à lancer un avertissement : celles qui osent déserter leur place et vouloir vivre pour elles-mêmes, au lieu de rester au service de leur mari et de leurs enfants, travaillent à leur propre malheur. Pour les en dissuader, on vise précisément ce qui, du fait de leur éducation, constitue leur point faible : leur peur panique de se retrouver livrées à elles-mêmes. " Elle redoute le crépuscule, ce moment pénible où l'obscurité enveloppe la ville et où les lumières s'allument une à une dans les cuisines chaleureuses ", écrit vicieusement le New York Time dans un article sur les célibataires. Un manuel de psychologie intitulé " Belles, intelligentes et seules " met en garde contre le " mythe de l'autonomie ". Newsweek clame que les célibataires de plus de quarante ans ont " plus de chances d'être attaquées par un terroriste que de trouver un mari. "
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" Autant le savoir : même être Virginia Woolf ne peut vous dédouaner de ne pas avoir été mère. Lectrice qui envisagerais de ne pas te reproduire, ou qui aurais négligé de le faire, te voilà prévenue : inutile de te fouler à écrire des chefs-d'oeuvre pour essayer de détourner l'attention de ce grave manquement qui t'as certainement rendue très malheureuse, même à ton insu. Si tu veux en écrire, fais-le pour d'autres raisons, pour le plaisir; et sinon, consacre plutôt les loisirs de ta scandaleuse existence à lire des romans sous un arbre, peinarde, ou à tout ce que tu voudras d'autre. "
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- Une lecture partagée avec Ingannmic -
- Si cet essai n'a pas franchement répondu à mes attentes, d'autres titres de l'éditeur m'intéressent, je les feuillette trop régulièrement pour ne pas finir par les emporter un jour; parmi eux Les besoins artificiels de Razmig Keucheyan. Actuellement, c'est Jouir, en quête de l'orgasme féminin de Sarah Barmak qui tient le haut de l'affiche. Le site de l'éditeur ICI -
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Commentaires
1 Ingannmic Le 14/02/2020
marilire Le 14/02/2020
2 niki Le 14/02/2020
contente de lire ton beau résumé, faudra que je m'y mette - je devrais cesser de dormir boire et manger, je gagnerais du temps pour lire plus
marilire Le 14/02/2020
3 maggie Le 14/02/2020
marilire Le 14/02/2020
4 Aifelle Le 15/02/2020
marilire Le 15/02/2020
5 Alys Le 15/02/2020
Je lui reproche un peu, en effet, une légère confusion entre "exemple" et "argument", ou des liens peu clairs entre deux situations. J'en parlerai plus longuement dans mon billet.
marilire Le 15/02/2020
6 Kathel Le 15/02/2020
J'avais bien aimé Chez soi, une odyssée domestique, je viens de relire mon billet car j'avais un peu oublié, et certains passages m'avaient moins plu (le partage des tâches ménagères, bof !) dans un ensemble plutôt intéressant.
marilire Le 15/02/2020
7 Dominique Le 15/02/2020
marilire Le 16/02/2020
8 Lilly Le 15/02/2020
marilire Le 16/02/2020
9 Tania Le 24/02/2020
marilire Le 25/02/2020
10 ellettres Le 31/03/2020
marilire Le 01/04/2020