Sur les ossements des morts - Olga Tokarczuk
- Editions Noir sur Blanc 2012 - Libretto ( Phébus ) 2014 -
- Traduit du polonais par Margot Carlier -
Janina Doucheyko, ingénieure en retraite, enseigne l'anglais dans une petite école et s'occupe, hors saison, des résidences secondaires de son hameau au c ur des Sudètes. Elle se passionne pour l'astrologie et pour l'oeuvre de William Blake, dont elle essaie d'appliquer les idées à la réalité contemporaine. Aussi, lorsqu'une série de meurtres étranges frappe son village et les environs, y voit-elle le juste châtiment d'une population méchante et insatiable. La police enquête. Règlement de comptes entre demi-mafieux dus aux trafics frontaliers avec la Tchéquie ? Les victimes avaient toutes pour la chasse une passion dévorante. Quand Janina Doucheyko s'efforce d'exposer sa théorie dans laquelle entrent la course des astres, les vieilles légendes et son amour inconditionnel de la nature, tout le monde la prend pour une folle. Mais bientôt, les traces retrouvées sur les lieux des crimes laisseront penser que les meurtriers pourraient être des animaux !
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Ce roman aux allures de polar est tout en atmosphère, dense et limpide à la fois, prenant bien qu'il ne se dévore pas.
La narratrice de ces quelques trois cent pages est une femme vieillissante, isolée, qui a élu domicile dans un hameau d'une région montagneuse polonaise non loin de la frontière de la Tchéquie, un territoire de chasseurs. L'hiver, elle n'a que deux voisins, dont un braconnier, le premier à mourir. Elle nous raconte une année, au fil des saisons, cette année meurtrière, y mêlant ses réflexions sur " l'ordre du monde " qu'elle ne comprend pas, qu'elle refuse de comprendre. Janina Doucheyko est une femme en colère, en colère contre la violence des hommes, contre les hommes.
" D'une certaine manière, nous aussi, nous défions l'hiver, simplement il nous ignore, à l'instar du reste du monde, d'ailleurs. Deux vieux excentriques. Hippies sur le retour. "
Sans complaisance, envers elle-même " la vieille toquée ", envers les autres, elle dit sa région et les gens qui y vivent, ses voisins, ceux du village, ceux du plateau, renommant les lieux et les personnes selon ce qu'ils lui inspirent, s'en explique, et s'attarde sur sa passion de l'astrologie et des horoscopes.
" Le mouvement des planètes est toujours hypnotique, beau, on ne peut l'arrêter ni l'accélérer. Il est réconfortant de penser que cet ordre surpasse de loin le lieu et le temps de Janina Doucheyko. Cela fait du bien de garder une confiance absolue en quelque chose. "
Par sa fonction de " gardienne " des résidences secondaires avoisinantes, elle nous décrit son environnement au plus proche de la nature. Parce que ce dont nous parle cette femme, c'est de la relation de l'homme à la nature, aux saisons, aux animaux. Sans concession, ce récit semble d'une actualité saisissante quant à sa dénonciation de la chasse, de l'exploitation de la faune et de la flore.
" Nous, on pense le monde, les animaux le ressentent, tu sais. "
En filigrane, on lit la Pologne post-communisme, les souvenirs de " l'époque allemande ", et cette frontière avec la Tchéquie où l'herbe est évidemment plus verte, le ciel plus doux, plus lumineux.
Ce récit peut paraître lent, il est très bien mené, on s'immerge véritablement dans cette région, dans les pensées tristes et coléreuses de Janina Doucheyko, ses peurs, ses cauchemars, ses maux, et son plaisir à recevoir un ancien élève qui traduit Blake. Les pages sont parsemées de vers qu'ils s'échinent à traduire; en témoigne le titre issu d'un poème ainsi que les extraits à chaque début de chapitres.
Olga Tokarczuk nous offre de belles descriptions. Avec un réel talent, elle nous emmène sur les chemins de la forêt comme sur ceux d'une pensée qui nous raconte aussi la relation à l'autre et notre mortalité.
" Blake s'accordait à merveille avec l'ambiance de cette soirée : on avait l'impression que le ciel était tombé très bas au-dessus de la Terre, de sorte qu'il laissait à tous les êtres vivants peu de place pour vivre, peu d'air. Des nuages bas et sombres n'avaient cessé de défiler dans le ciel toute la journée, pour finalement, tard dans la soirée, frotter leur ventre mouillé contre les collines. "
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" Si je la connaissais moins bien, j'aurai sans doute lu ses livres. Mais puisque je la connais, j'ai trop peur de cette lecture. Peur de m'y reconnaître, présentée d'une façon que je ne pourrais certainement pas comprendre. Ou d'y retrouver mes endroits préférés qui, pour elle, n'ont pas du tout la même signification que pour moi. D'une certaine façon, les gens comme elle, ceux qui manient la plume, j'entends, peuvent être dangereux. On les suspecte tout de suite de mentir, de ne pas être eux-mêmes, de n'être qu'un oeil qui ne cesse d'observer, transformant en phrases tout ce qu'il voit; tant et si bien qu'un écrivain dépouille la réalité de ce qu'elle contient de plus important : l'indicible. "
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- Littérature polonaise contemporaine pour cette participation au Mois de l'Europe de L'Est -
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Commentaires (33)
Je ne sais pas si je relirai l'auteure... peut-être ^-^
Pleine de contradictions mais pas bête du tout
Olga Tokarczuk a sorti il y a peu de temps un pavé « les livres de Jakób » que j’ai repéré... pour l’an prochain...
@ Kathel : oui, j'ai compris le principe. J'ai suivi Sentinelle lors de sa lecture qu'elle a partagé en plusieurs billets au fil des pages. Et elle m'a sérieusement tentée :) Je vais aller voir ton avis sur Babelio ( je crois comprendre que ce n'est pas coup de coeur... ;))
J'ai vu Les livres de Jacob, je n'ai pas osé pour une première lecture, malgré les bons retours que j'ai pu lire.
@ Sandrine : alors, je suis très très curieuse de ton retour de lecture de ce " pavé de l'été " :). J'espère que tu me convaincras.
@ Anne : et je ne suis pas étonnée :-D . Tu ne devrais pas être déçue.
Elle est très forte ! j'ai sous le coude son dernier roman qui me tentait bien
@ Aifelle : cela faisait un bon moment aussi que je l'avais noté ! Ce mois à l'Est a été une belle occasion.
@ Ingannmic : je te rejoins, je me suis attachée à cette lecture. J'attends l'été pour vos retours sur son dernier titre ( il semble être dans les projets " pavé de l'été " de plusieurs lectrices :))
@ Dasola : bonjour Dasola, j'espère que tu apprécieras la lecture autant que moi.
@ Dominique : ah oui, il dit beaucoup de choses ce roman. Avant Les Livres de Jakob, je suis très intéressée par Les Pérégrins ( même s'il ne me paraît pas facile ).
@ Niki : merci pour le compliment. Je crois que nous pouvons considérer nos Pal comme des causes perdues...
@ Patrice : Pareil, une auteure notée depuis longtemps et votre mois de l'Europe de l'Est m'a fourni une belle occasion, merci à vous.
@ Tania : je reconnais que le titre donne le ton...
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