Un monde en pièces - Ulysse & Gaspard Gry

- Editions Presque Lune - Juin 2018 -

Et si notre société était un gigantesque plateau d'échecs, avec un roi, des pions rebelles et des dames migrants d'un autre plateau, menacées d'expulsion ? Entre manipulation, corruption, chase aux migrants et montée du totalitarisme, ce thriller politique décrit l'actualité d'une société prise dans l'engrenage d'une partie destructrice.

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Cette BD, c'est l'illustration de couverture qui m'a interpellée, puis ce texte de quatrième et le graphisme des pages. J'ai lu bien peu de retour sur cet album, c'est dommage. ( ceci dit, j'en ai une p'tite pile de " dommage ", je n'ai qu'à m'y mettre sérieusement à ecrire les chroniques ) ( bon, une prochaine, ce sera plutôt en rendez-vous graphique tant l'univers est une folie ) ( on ne va pas causer que d'images sur ce blog quand même ) ( y'a les expos photos-peintures aussi ) ( il y a la littérature aussi ) ( et le ciné ) ( trève de parenthèses ). 

L'idée peut paraître simple et évidente, elle est efficace et graphiquement traitée de façon très intéressante et prenante : imaginer la société comme un plateau de jeu d'échec où les puissants manipulent les pions, où chacun évolue selon ses possibilités de " déplacement " et son rôle, les pièces en classes sociales : une reine disparue, adulée, sacrifiée, un roi très entouré par les tours, des cavaliers pour l'ordre, des fous pour la révolte, des pions qui sombrent.

Le récit prend des allures de thriller politique et démonte les mécanismes - le mot engrenage de la quatrième de couverture est parfait - de la montée d'un totalitarisme : insatisfaction économique de la population, corruption, immigration, pression sur les médias, faction extrêmiste, violence urbaine, un mouvement clandestin d'opposition La tangente... Il est question de choix philosophiques aussi ( le hasard ), de religion et de foi également ( ah, le Joueur, cet être omniscient, invisible, imprévisible, auquel on se remet ).

Sur une intrigue rythmée, riche d'actions et de personnages, tout l'univers est décrit par l'image, un monde contemporain, avec ces rues, ces publicités, ces quartiers, un monde que nous (re)connaissons. Le texte ne lésine pas sur le jeu de mots, comme en témoigne le titre, c'est savoureux ( y compris les noms des personnages : Kassys, Cékatre... ) et les références au monde du jeu d'échec ( ainsi que d'autres jeux de plateau en parallèle ).

L'exploit graphique, c'est que les personnages n'ont pas de visages - réduit aux silhouettes des pièces - et pourtant nous les distinguons sans problème, par leurs attributs, leurs paroles, leurs attitudes. Sans un regard, tout en contraste noir & blanc.

L'album fait plus d'une centaine de pages. Le récit est divisé en cinq chapitres. A chaque ouverture de chapitre, la Une du journal Le Pion, qui, sous l'humour, nous permet de nous immerger dans " l'esprit " de ce monde, ces problématiques.

Pour vous situer, en titres du journal au chapitre 1 : " Acinck, un chancelier sans langue de bois - Les vacances du roi au Mah-Jong - Les Dames profitent-elles de notre plateau - Mode : les carreaux sont de retour - ". En fin d'album, un numéro complet du journal, le supplément week-end, si, ce qui ne gâche rien.

Alors oui, cette BD mélange les genres, aussi satirique qu'engagée. Le récit pointe avec brio les dérives, en ménageant le suspens, en jouant sur les mots et les visuels... et c'est bien joué !

A l'origine, les frères Gry ont créé cette BD en numérique, en épisodes, c'est une web BD, disponible sur le site consacré ICI. Ce sont les éditions Presque Lune qui la publient en un album de belle qualité aux pages épaisses. Cet album est un premier tome, j'attends le second.

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" Un seul pion isolé obscurcit le plateau entier.

- Nimzowitsch, Livre III, verset XXVI. "

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