Un silence brutal - Ron Rash

Un silence brutal

- Gallimard - 2019 -

- Traduit de l'anglais ( USA ) par Isabelle Reinharez -

Dans ce coin des Appalaches, entre rivière et montagnes, que l'œuvre de Ron Rash explore inlassablement depuis Un pied au paradis, un monde s'efface devant un autre : à l'enracinement des anciens à leur terre succède la frénésie de profit des entrepreneurs modernes. Le shérif Les, à trois semaines de la retraite, et Becky, poétesse obsédée par la protection de la nature, incarnent le premier. Chacun à sa manière va tenter de protéger Gerald, irréductible vieillard, contre les accusations de Tucker, propriétaire d'un relais pour riches citadins curieux de découvrir la pêche en milieu sauvage. Dans leur esprit, Gerald est incapable d'avoir versé du kérosène dans l'eau, provoquant la mort des truites qu'il aime tant. Mais alors, qui est le coupable ?

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Catégorie achat compulsif et déception. J'avais très envie de relire Ron Rash, je gardais un souvenir fort de sa façon d'écrire des personnages taiseux et une nature rude, de rendre cet environnement. Ce nouveau roman est publié dans la collection La Noire de Gallimard, collection qui renaît, dans laquelle j'ai lu d'excellents titres; Ron Rash était présent aux Quais du Polar, le dimanche matin, en dédicace, il était disponible, j'ai craqué.

Un silence brutal n'est pas vraiment un nouveau roman, il date de 2015, c'est seulement cette année qu'il paraît traduit en français. Le titre original en est Above the waterfall, certainement moins accrocheur mais beaucoup plus proche du récit, pour le lieu, pour l'esprit, pour l'atmosphère, plus évocateur.

Ce roman peut être considéré comme un " rural noir ". La narration alterne deux voix, celle d'un homme, Les, le shérif à quelques semaines de la retraite natif de la localité, et celle d'une femme, Becky, directrice du parc national, en quête d'oubli et de sérénité qu'elle retrouve auprès de la nature lui rappelant un temps clément d'enfance.

Avec cette double narration, Ron Rash alterne donc des voix intimes, l'une au plus proche des personnes, l'autre au plus proche de la nature permettant d'inscrire ce roman dans la veine Nature Writing. 

Ma déception tient à deux aspects : la première est simplement liée à l'intrigue sans la moindre originalité, aux personnages qui manquent d'épaisseur. Certes la personnalité des deux personnages principaux est approfondie, ce n'est pas le cas pour les personnages secondaires qui flirtent avec le cliché. Le récit se déroule sur un temps très court, au rythme de l'enquête sans surprise. Alors, admettons que l'enquête est prétexte à developper l'intime. Mais sans grande originalité, les deux personnages, à chacun des chapitres qui leur sont consacrés, dévoilent peu à peu leur histoire, c'est à dire leur deuil, leurs "échecs ", leurs failles. Sans que nous ayons le détail, ces failles en mauvais souvenirs sont posées tôt dans le récit. 

Finalement, l'atmosphère de ce récit est plus à la mélancolie comme à une forme de résilience. Je n'y ai pas retrouvé la force d'une précédente lecture, les mots et moments vibrants. A l'épilogue, tous les éléments s'imbriquent gentiment, tout s'arrange, même la morale est sauve. 

J'ai bien compris le principe narratif : Ron Rash joue du contraste entre les deux voix, opposant une poétique de la nature, souveraine, jardin d'Eden, que l'homme ne sait plus regarder, apprécier, qu'il délaisse et détruit, aux méfaits, drames, déchéance et abandons de l'humanité, pointant ses violences, l'avidité, les horreurs de la drogue. Le propos est à la fois réaliste et naturaliste. Peut-être trop démonstrative, je n'ai pas été sensible à cette prose manichéenne entre Enfer et Paradis ( opposition soulignée lors d'un prêche dans le récit : " Y en a qui soutiennent qu'au paradis les rues sont pavées d'or et ce genre de trucs, mais ce n'est pas mon avis. Une fois là-bas on dira aux anges, eh ben, y avait beaucoup de la splendeur du paradis là d'où on vient. Et vous savez pas ce qu'ils répondront, les anges ? Ils répondront, oui, pélerin, mais combien de fois l'as-tu remarqué ? Que cherchais-tu ? " ; ainsi que par l'histoire d'un homme perdu dans le terrorisme pour une cause écologique ).

- Par la voix de Becky : " Malgré la faible clarté le miel luisait, soleil plongé dans une terrestre obscurité. "

Par la voix du shérif : " Justice. Un policier, aurait-on pu penser, devait avoir un peu de foi en ce mot, mais en trente ans je ne l'avais que trop peu vue à l'oeuvre."

Le second aspect de la déception tient au style. S'il y a de belles pages descriptives, avec de jolies trouvailles dans la formulation, elles n'ont pas généré pour moi d'atmosphère. Et je n'ai pas lu un texte poétique. Il me semble réducteur de parler d'un style poétique parce qu'il y a des métaphores dans une description. Beaucoup de métaphores et un usage intensif des phrases nominales qui m'ont lassée. Peut-être un effet de peinture par touches. 

Sur une liane de passiflore s'accroche une chenille. Acharia stimulea. Des pattes comme des rames, un corps vert et brun piqué de poils blancs. Bientôt elle dormira dans l'enveloppe qu'elle se sera tissée, rêvant tout l'hiver tandis que ces ailes printanières de phalènes croissent lentement. A mes pieds, eupatoire rugeuse et sumac, plus loin, renouée et scutellaire casquée. Je murmure chaque nom. Au-dessus de ma tête hêtre et bouleau, chêne rouge et noyer blanc. Trouant l'épaisseur de la canopée, des échasses de soleil arpentent le sol.

Le sentier se rapproche de la rivière en tanguant. Une crinière d'eau vive dégringole d'une saillie rocheuse, atterit bruyamment. Puis la rivière s'incurve et pénètre l'ombre. Des fougères manchonnent de vert les deux rives. L'eau vient doucement lécher la pierre. Sur un banc de sable les empreintes d'une loutre. "

Soyons clair, j'ai lu ce roman sans déplaisir. Il se lit rapidement et je vais l'oublier aussi vite, avec pour effet secondaire l'envie de revenir aux romans de Craig Johnson.

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Commentaires

  • krol

    1 krol Le 20/04/2019

    J'espère que je vais plus apprécier que toi ! Pour l'instant j'ai tout lu et tout aimé de cet auteur.
  • Marilyne

    2 Marilyne Le 21/04/2019

    @ Krol : je l'espère aussi ! Tu as lu bien plus que moi, tu connais mieux le style de l'auteur.
  • Kathel

    3 Kathel Le 21/04/2019

    Je n'ai pas encore craqué pour ce roman, ton avis me freine... d'autant que je ne reconnais pas bien le style de Ron Rash dans les extraits.
  • Marilyne

    4 Marilyne Le 21/04/2019

    @ Kathel : oui, je crois que ma déception s'est jouée sur le style. Je te mets ce " silence brutal " de côté ;)
  • Dominique

    5 Dominique Le 21/04/2019

    Ron Rash ou Craig Johnson pour moi c'est la même impression on est dépaysé au début c'est sympa et intéressant mais il y en a trop et après je suis lassée
  • keisha

    6 keisha Le 22/04/2019

    J'ai tout lu (sauf ce dernier) et suis passée à autre chose. Mais ce n'est pas nul nul quand même?
  • Marilyne

    7 Marilyne Le 22/04/2019

    @ Dominique : oui, ça change d'air et d'environnement, mais comme toi, je ne suis pas, ce sont des lectures ponctuelles et souvent d'autres passent avant.

    @ Keisha : non, pas du tout nul, c'est plutôt que j'attendais plus ou autre chose, et puis vraiment, le style n'est pas passé.
  • dasola

    8 dasola Le 23/04/2019

    Bonjour Marilyne, à part Serena et Un pied au paradis, les deux autres romans de Rash que j'avais lus m'avaient déçus. Et celui-ci ne me tente pas spécialement. Bonne journée.
  • Lili

    9 Lili Le 23/04/2019

    "Style poétique" est devenu un argument de vente littéraire comme un autre - car, mine de rien, on est encore quelques-uns à apprécier la poésie et la recherche stylistique. Du coup, malheureusement, c'est parfois un peu survendu...
    Je note de laisser probablement de côté ce Ron Rash et je croise les doigts pour que les deux bouquins que j'ai de lui dans ma PAL soient meilleurs...
  • Marilyne

    10 Marilyne Le 24/04/2019

    @ Dasola : bonjour Dasola, je crois que tu peux passer celui-ci. J'avais adoré Un pied au paradis, je crois que j'ai recherché le plaisir de lecture ressenti avec ce premier titre.

    @ Lili : tu as certainement raison et c'est étrange ( quoique je connaisse des lecteurs que la formule fait fuir ;)). On peut espérer pour les deux titres qui t'ettendent, ce que j'avais apprécié dans la plume de Ron Rash, c'est la sobriété. ..
  • Jérôme

    11 Jérôme Le 24/04/2019

    Déception pour moi aussi concernant l'intrigue, vraiment très légère. Pour l'écriture, je me demande toujours si le problème ne peut pas venir de la traduction...
  • Annie

    12 Annie Le 24/04/2019

    Quand on voit le nombre de livres de nature writing, comme on dit en bon français, qui sont publiés, on peut craindre, en effet que le filon ne s'use. C'est ce que j'ai pensé la semaine dernière, dans une librairie grenobloise, qui en présentait une grande table et c'est hélas ce que tu sembles confirmer !
  • Laure

    13 Laure Le 24/04/2019

    Je viens de le terminer, et je garde également de ma lecture un côté décevant, j'ai tellement aimé tous les autres livres de Ron Rash (je crois que je les ai tous lus) que je m'attendais à retrouver son atmosphère, qui m'a échappée dans Un silence brutal.
  • Marilyne

    14 Marilyne Le 25/04/2019

    @ Jérôme : oui, la question de la traduction se pose. Mais ici, le style est tellement marqué que je doute qu'il puisse y avoir un grand écart avec la version originale.

    @ Annie : je vois très bien les grandes tables dont tu parles. En ce moment, c'est la déferlante Gallmeister. Dommage pour la variété.

    @ Laure : c'est exactement ça, je n'ai pas retrouvé le bon souvenir que j'avais de la façon de Ron Rash de développer son atmosphère.
  • maggie

    15 maggie Le 25/04/2019

    Même si tu n'as pas apprécié cette lecture, j'ai toutefois noté l'auteur que je dois encore découvrir...
  • Marilyne

    16 Marilyne Le 27/04/2019

    @ Maggie : je n'ai pas apprécié celui-ci contrairement à ma précédente lecture. Tu a du choix parmi toutes les publications de l'auteur.

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