Séquence Cinéma - 04/22

Qdp2022

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L’ Institut Lumière s’associe au Festival des Quais du Polar.

Il est demandé à quelques auteurs de choisir un film et de le présenter à l'Institut avant la projection. Certains sont présents pour la projection d’une adaptation cinématographique d’un de leur roman ( l’an dernier, A.Indridason pour La cité des jarres ). D’autres choisissent un film qu’il connaisse bien, qui a du sens pour eux.

Ce fut le cas de l’auteur américain Craig Johnson dont le choix s’est porté sur un film de Jule Dassin : Du rififi chez les hommes, un film en noir & blanc de 1955.

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Du rififi chez les hommes

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La présentation de Craig Johnson fut impeccable, un vrai plaisir, précise, avec sa touche d’humour.

Présent pour la seconde fois à l’Institut Lumière, il nous a dit sa joie et sa tristesse aussi parce qu’une lumière de l’Institut s’est éteinte. L’auteur a rendu hommage au réalisateur et immense cinéphile, président de l’Institut Lumière, Bertrand Tavernier, décédé il y a un an, en mars 2021 : « un homme plein de charme, modeste, qu’il ne fallait pas sous-estimé, sinon gare à vous.»

Il nous a raconté la rencontre, leur relation, le projet de Bertrand Tavernier d’adapter le premier roman de la série avec le sherif Longmire : Little Bird.

Craig Johnson a été invité à un dîner dans l’appartement parisien de Bertrand Tavernier. De cet appartement il nous décrit un très long couloir traversant couvert d’étagères de deux mètres de haut. Il constate que ces étagères sont remplies de DVD de westerns. Il nous dit sa surprise de tant de westerns : « Bertrand Tavernier était une encyclopédie de ce genre ! C’est moi qui ai grandi dans l’Ouest américain mais ma connaissance du western est infime par rapport à lui.»

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Craig johnson et bertrand tavernier quais du polar lyon 2012 9635606315 10190

- Craig Johnson et Bertrand Tavernier - Quais du Polar 2012 -

( ce n'est pas l'auteur qui porte le chapeau... )

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Je retranscris sa présentation à propos du film Du rififi chez les hommes :

« Je présente ce film parce que je porte un chapeau. Dans ce film, tout le monde porte un chapeau.»

En réalité, Craig Johnson a choisi un film qui est à la fois américain ( par son réalisateur ) et français ( puisqu’il est inspiré d’un roman français, tourné en France avec des acteurs français ).

Il s’agit du premier film français de Jules Dassin. A cette époque, il était blacklisté aux USA.

Il est inspiré d'un roman de Auguste Le breton, auteur prolifique de romans noirs ( inventeur de ce mot Rififi - plusieurs de ses romans ont été adaptés au cinéma ), « un mauvais roman». C’est une histoire de vol de bijoux. Dans le roman, les voleurs sont maghrébins. Le contexte politique des années 50 en France rendait cette adaptation compliquée. La première idée était que les voleurs soient américains, parce que « c’est bien connu, le voleur, dans le film, est américain». Finalement, Jules Dassin a suggéré que les voleurs soient français.

Lors de l’écriture de l’adaptation, Jules Dassin a rencontré l’auteur Auguste Le Breton. La rencontre ne s’est pas très bien passée. La première phrase de Le Breton fut « Il est où mon livre ?». Le réalisateur a répondu qu’une adaptation nécessite des changements, etc. Alors Le Breton a mis la main sous la table, il en a sorti un pistolet qu’il a posé sur la table, et il a demandé : « Il est où mon livre ?». Jules Dassin a fait ce qu’il fallait faire dans ce cas, il a ri. On ne peut pas tirer sur quelqu’un qui rit. Ils se sont finalement entendus tous les deux.

La particularité de ce film tient à la scène du cambriolage. Elle dure 32 minutes. Ces 32 minutes sont « silencieuses», c’est-à-dire qu’il n’y a aucune musique, seulement les bruits des actes des cambrioleurs ( qui n’échangent aucune parole ). Si le film avait été américain, il aurait été inondé de musique pour faire ressortir des émotions. Là, seulement les gestes, c’est comme si vous y étiez, dans les pièces, avec les cambrioleurs.

Il y avait un musicien, un compositeur, dans l’équipe de production. Il avait écrit une musique pour cette scène. Alors, avec Jules Dassin, ils se sont projetés le film avec la musique et sans la musique. Et c’est le compositeur qui a dit « pas de musique !» pour cette scène.

C’est un film de génie, intense en ressenti.

Pour conclure, Craig Johnson cite un critique de cinéma : « D’un des pires polars que j’ai lus de ma vie, Jules Dassin a fait un des meilleurs films que j’ai vus.» François Truffaut.

Et d’ajouter : il n’y a qu’au Mexique que le film a eu une mauvaise critique. C’est parce que des voleurs ont utilisé la méthode montrée dans le film pour commettre eux aussi un vol de bijoux.

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Je peux témoigner de l’enthousiasme de Craig Johnson pour ce film : la veille, lors d’une séance de dédicaces, lorsque je lui ai dis que nous serions à la projection sans avoir jamais vu le film, il s’est emballé pour me raconter ( mettant ma compétence de compréhension linguistique à rude épreuve ;)).

Alors ce film : ce fut une bonne surprise. On y retrouve des grands noms de la période : Jean Servais, Robert Manuel, un Robert Hossein tout jeune, et un superbe noir&blanc sur les rues, passages et escaliers de Paris. Effectivement, la scène de cambriolage est prenante, on ne voit pas le temps passer. La prestation des acteurs est d’autant plus remarquable. La scène de cabaret est d'anthologie, avec les ombres chinoises et la chanson Rififi. Si le film est évidemment daté ( notamment par un certain sexisme ), j’ai apprécié que ce que je ne prenais que pour un « film de gangsters » ne fasse pas l’apologie du crime et de l’argent facile. L’histoire est particulièrement noire, personne n’y gagne, personne ne s’en sort. La condamnation est explicite.

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Rififi cabaret

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- Pour le fun, la bande-annonce ICI

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Sur les écrans : L'ombre d'un mensonge - Film de Bouli Lanners - sortie le 23 mars 2022 ( titre original : Nobody has to know )

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L ombre d un mensonge

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Phil s’est exilé dans une petite communauté presbytérienne sur l'Île de Lewis, au nord de l'Ecosse. Une nuit, il est victime d'une attaque qui lui fait perdre la mémoire. De retour sur l’ile, il retrouve Millie, une femme de la communauté qui s'occupe de lui. Alors qu’il cherche à retrouver ses souvenirs, elle prétend qu'ils s'aimaient en secret avant son accident.

Ce film est une splendeur. Pour reprendre la formule de François Truffaut, c’est l’un des plus beaux films que j’ai vus. Je n’ai qu’une envie, le revoir. Et pourtant, c’est une romance. D’une telle beauté, d’une telle pudeur. Il y a une clémence, une prévenance, j'ai envie d'écrire une pureté sur l'épure de ces images; une élégance sur cette sobriété. L'histoire d'un homme, qui a quitté la Belgique, et l'histoire d'une femme, originaire de l'île, chacun au bout d'un chemin, à un croisement.

L’ombre d’un mensonge est un film crépusculaire, lent, sans trop de mots, des regards et des gestes en nuances, et ces paysages de l’île de Lewis, comme un personnage. La communauté est resserée et taiseuse, le climat est rude, la religion très présente, sans jugement, une veritable tendresse sur le réalisme, et une modestie. Il n’y a aucun lyrisme, pas de pathos complaisant, pas de rebondissements outranciers, peu importe les révélations, l'enjeu n'est absolument pas là - l'histoire peut paraître simple, c'est ce qui fait son intensité -, ce serait surnuméraire, et dérangeant, décevant.  La force des scènes, des plus quotidiennes, les échanges entre les personnages, jusqu’aux seconds rôles, sont saisissants, bouleversants. Je crois que chaque scène m'a touchée.

Ce film est triste, paradoxalement, il célèbre la vie et l’amour, aucun sentiment de gâchis, au contraire, on en sort heureux. Et la bande-son est magnifique. Le cinéaste et acteur belge Bouli Lanners signe avec L'ombre d'un mensonge un film rare, lumineux.

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Lombredunmensonge fp3

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Commentaires

  • A_girl_from_earth

    1 A_girl_from_earth Le 08/04/2022

    Ça avait l'air vraiment très chouette ces Quais du polar ! J'ai vu quelques photos circuler et ça donnait franchement envie d'y être. Et quelle chance d'avoir pu rencontrer Craig Johnson ! (heureusement que j'ai pu le voir aussi à une conférence il y a quelques années, sinon j'aurais été très jalouse !).
    marilire

    marilire Le 08/04/2022

    Ce que j'aime aux Quais du Polar, comme dans d'autres festivals, c'est tous ses aspects, cinéma, expo, conference, etc, pas seulement la librairie, comme à Étonnants Voyageurs de Saint Malo ou Festival America ( qui a lieu cette année en septembre :))
  • niki

    2 niki Le 08/04/2022

    j'ai adoré "nobody has to know" malgré quelques longueurs - il est vrai que bouli lanners est l'un de mes chouchous et puis, quel plaisir de revoir une île écossaise
    marilire

    marilire Le 10/04/2022

    Je connais peu Bouli Lanners, et là, coup de coeur !
  • Kathel

    3 Kathel Le 09/04/2022

    Un film présenté par Craig, c'est sympa ! Je ne crois pas avoir vu Du rififi chez les hommes, ou alors ça date... Quant au film de Bouli Lanners, j'ai hésité quand il est sorti et il n'est déjà plus à l'affiche à Mâcon. Je me rattraperai plus tard !
    marilire

    marilire Le 10/04/2022

    C'est affolant, la majorité des films restent peu à l'affiche. J'espère que tu auras tout de même l'occasion de le voir grand écran.
  • Ingannmic

    4 Ingannmic Le 09/04/2022

    Je te rejoins sur L'ombre du mensonge, un très beau film, d'une parfaite sobriété. Et je l'ai vu par hasard : partie pour voir "Le grand mouvement", film bolivien diffusé dans très peu salles, le caissier s'est trompé en me donnant mon billet : les deux films de jouaient à 1/4 d'heure d'intervalle, et je pense que personne en lui avait jusqu'à présent demandé de ticket pour le bolivien, alors qu'il y avait la queue pour L'ombre d'un mensonge.
    Quand je m'en suis rendu compte, il était trop tard...
    Pas trop de regrets, heureusement, mais je n'ai plus qu'à retourner au ciné pour voir Le grand mouvement !
    Sinon, j'ai vu la semaine dernière Bruno Reidal (glauque mais très bien) et La nature, immense déception = un documentaire sur les catastrophes naturelles (du moins c'est ce que j'avais cru comprendre) porté aux nues par les critiques presse, qui consiste en réalité en une "œuvre d'art contemporain", composée de suites de films d'archives en noir et blanc parfois de mauvaise qualité, diffusés sur fond de musiques diverses.. je me suis profondément ennuyée...
    marilire

    marilire Le 10/04/2022

    Incroyable ton histoire. Il m'est déjà arrivé d'avoir une projection privée, c'est à dire être seule dans une petite salle pour un film peu médiatisé, mais point de l'erreur de billet d'entrée, non. Heureusement que l'erreur est tombée sur L'ombre d'un mensonge.
  • Anne

    5 Anne Le 09/04/2022

    Un film présenté par Craig Johnson, n'importe lequel, on le regarderait avec dévotion, non ? ;-) Et le film de Bouli Lanners, j'aimerais bien le voir aussi, mais devoir réserver sa séance de cinéma, ne pas pouvoir y aller ur un coup de tête, c'est enquiquinant. Au fait,je peux le noter dans le Mois belge, non ?
    marilire

    marilire Le 10/04/2022

    Certes, tu peux le noter, d'abord parce que la Belgique est citée, ensuite parce que c'est toi le chef ;-)
  • krol

    6 krol Le 09/04/2022

    Et voilà, je voulais absolument voir L'ombre d'un mensonge et j'ai chopé la grippe qui s'est étirée en longueur, pour finir par une infection pulmonaire carabinée et comme je tousse énormément... interdiction d'aller au cinéma ! Et il ne passe plus chez moi !!!
    marilire

    marilire Le 10/04/2022

    Oh, j'espère que ça va aller mieux, que tu récupères.

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