Ciné Novembre18 #2

Aga couv

- Film bulgare/allemand/français de Milko Lazarov - Sortie le 21/11/2018 -

Voici le type de film qu'il faut se presser d'aller voir, car souvent peu distribués dans les cinémas. Et ils ne restent pas longtemps à l'affiche.

Aga, c'est le prénom de la fille de ce couple cinquantenaire - Nanouk et Sedna - que nous accompagnons dans leur quotidien traditionnel de peuple du Grand Nord. Nous sommes dans l'Est sibérien, une des régions les plus froides du monde. Si ce film porte en titre le prénom de la jeune femme, c'est parce que elle est partie, elle a renoncé à ce mode de vie pour rejoindre le monde moderne, la ville, en l'occurence l'immense mine de diamant exploitée dans cette région. Nous comprenons rapidement que ce départ est une blessure profonde pour ce couple, que le sujet latent sera une visite possible et une réconciliation.

Au delà de ce drame intime, le film a des allures de documentaire. Extrêmement sobre, sans lyrisme, la caméra au plus près des visages, souvent en plan fixe, il déroule les gestes, les moments : pêche, chasse, repas-repos et artisanat dans la yourte. Peu de mots, principalement de la musique, traditionnelles et des chants, ainsi que la mélancolique 5ème symphonie de Malher. Il se dégage de ce film une intensité dramatique prégnante - la tendresse et la complicité de ce couple vieillissant est émouvante - et une profonde tristesse. Tout se finit. 

Agayourte

Ce film a des allures de fable ( impression renforcée par le choix des prénoms, si traditionnels, Nanouk et Sedna ), par l'isolement ( géographique et narratif, très peu de personnages ); une fable écologique aussi : au quotidien, nous constatons la dégradation des conditions de vie par la pêche et la chasse infructueuses, l'arrivée précoce de la nouvelle saison. Le film joue des symboles, des signes de la destruction, les animaux meurent, les corbeaux rodent, tâches de sang, de pétrole de moto-neige, de vol d'avions bruyants sur l'immaculé de la neige et du ciel. Le film s'ouvre sur l'effort de creuser un petit trou dans la glace pour pêcher et se clôt sur la vue aérienne de l'énorme cratère béant de la mine. Evidemment, les paysages sont impressionnants, ce désert blanc en camaïeu glace-nuages.

Milko Lazarov est bulgare, Aga est son second film, récompensé du Grand Prix du Festival de Cabourg 2018. Mise à part l'actrice jouant le rôle de Sedna ( qui vit dans la taïga sibérienne et n'avait participé qu'à un film amateur ), les acteurs sont des professionnels, des comédiens. Ce film a bien été tourné dans la région concernée, en Iakoutie. Le tournage n'a duré que 36 jours, en mars -avril, avec l'équipement nécessaire pour les difficiles conditions climatiques ( températures en dessous de -30°, choix de l'argentique pour la lumière ). Je cite le scénariste-réalisateur : " C'était la première fois qu'un film étranger se tournait en Iakoutie [... ] A cette époque de l'année, le temps change très vite. Un mois là-bas correspond à un trimestre en Europe, ce qui explique qu'on a le sentiment de changer de saison dans le film. Le printemps dure en moyenne 20 jours en Iakoutie. "

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Mhaffiche

- Film français de Kheiron - Sortie le 21/11/2018

Wae?l, un ancien enfant des rues, vit en banlieue parisienne de petites arnaques qu’il commet avec Monique, une femme a? la retraite qui tient visiblement beaucoup a? lui. Sa vie prend un tournant le jour ou? un ami de cette dernière, Victor, lui offre, sur insistance de Monique, un petit job bénévole dans son centre d’enfants exclus du système scolaire.Wae?l se retrouve peu a? peu responsable d’un groupe de six adolescents expulsés pour absentéisme, insolence ou encore port d’arme. De cette rencontre explosive entre « mauvaises herbes » va naître un véritable miracle.

Film catégorie dispensable-sympa sur petit écran. Si j'ai passé un bon moment dans la salle du cinéma, à sourire aux situations et échanges, il ne me restera pas grand chose de cette séance, si ce n'est quelques scènes qui m'ont dérangées. L'histoire, on la comprend très vite, c'est celle du jeune homme improvisé éducateur qui va se reconstruire en aidant des jeunes en difficultés à le faire. 

Pour le positif : c'est frais, c'est drôle. En fait, ce film, dans lequel il ne faut même pas voir une fable sociale mais une comédie, c'est comme une suite de sketch. Dussolier et Deneuve sont parfaits, ils apportent beaucoup au film, même si la facilité de leur rôle fait parfois soupirer. Il y a quelques scènes d'anthologie comme celle où Catherine Deneuve est en larmes en visionnant la série La Petite Maison dans la prairie. 

Pour le fond, nous sommes trop près de la caricature. La galerie de jeunes et leurs problèmes en sont une évidence ( trop de variété... Le jeune Ludo - joué par Youssouf Wague - tire son épingle de ce jeu, son rôle est plus appronfondi ). L'aspect vie sentimentale du personnage que joue Kheiron est plaqué, surnuméraire. Ce qui m'a gênée, ce sont une ou deux scènes qui m'ont paru trop " limites " même pour une comédie, notamment celle durant laquelle Kheiron lâche les jeunes sur une place en leur demandant de montrer leur débrouillardise en ramenant de l'argent pour le déjeuner, situations d'arnaques en série... Le sourire s'est crispé, là. Bon, ce que cherche à montrer ce film, sans pathos, c'est toutes ces violences qui massacrent l'enfance, et qu'il est possible de les dépasser; ça part d'un bon sentiment, c'est plein de bons sentiments.

Ce que j'ai trouvé beau dans ce film, c'est cette relation maternelle qui ne s'avoue pas entre Catherine Deneuve et Kheiron, et les scènes dans le passé : scène de guerre, au Moyen-Orient, on pense au Liban, on comprend que l'enfant abandonné qui erre, qui est recueilli par une Soeur, est le jeune homme qu'interprète Kheiron, que cette Soeur, c'est Catherine Deneuve rentrée avec lui en France, qu'elle a quitté l'habit religieux. Le petit garçon arabophone - il s'appelle Aymen Wardane - qui joue ces scènes dures est magnifique. 

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En DVD : J'ai enfin vu le film La Traversée de Paris  ( de Claude Autant-Lara - 1956 ) issu de la nouvelle de Marcel Aymé, lecture marquante ( chronique ICI ). Quelle déception !

Il ne s'agit plus d'une adaption, on peut juste dire que ce film est inspiré de la nouvelle, le fil narratif en est conservé, pas du tout le propos. Bien-sûr les deux acteurs - Bouvil et Gabin - sont excellents mais ils n'interprètent pas véritablement les rôles des personnages du texte. Par exemple, il n'y a pas tant de différences sociales entre les deux hommes, ils ne sont pas du même milieu mais cherchent tous les deux à survivre durant l'Occupation ( l'artiste peintre en est réduit à vendre des dessins porno ).

Alors, c'est bien l'histoire de deux hommes qui vont transporter de nuit deux valises chacune remplies de viande de porc. C'est bien de marché noir qu'il s'agit. Mais ça, c'est le contexte. Et sur ce contexte, c'est le dialogue entre ces deux hommes qui viennent de se rencontrer, leurs réflexions sur la guerre, la morale, la justice. Le film ajoute de nombreuses péripéties, conservant une des scènes majeures, celle dans le bistrot, celle du " salaud de pauvres ". Mais ici aussi, la scène est pervertie, la présence de la jeune fille juive n'est pas telle que racontée dans ce film. 

Dans la nouvelle, il y a une intensité, feutrée par cette atmosphère particulière de nuit sous l'Occupation. Dans la nouvelle, il n'est pas vraiment question de l'occupant, bien plus de la police, de la collaboration. Et surtout, il n'y a pas de cri, alors que sur l'écran je les ai entendus gueuler ( j'emploie ce mot parce que c'est exactement ce que j'ai ressenti ). Dans le film, j'ai eu l'impression de voir un tableau de la France occupée, un tableau que j'ai trouvé long.

Pas de personnage féminin dans la nouvelle. Il en est question dans le dialogue entre les deux hommes mais cette femme, celle de Martin, elle n'apparaît pas. Et ses paroles sur elle sont touchantes. Le personnage de Martin ( joué par Bourvil ) est le plus approfondi dans le récit de Marcel Aymé. C'est un homme déjà âgé, un soldat de la Première Guerre Mondiale. Cette information est essentielle, constitutive du personnage. Totalement oubliée dans cette adaptation cinématographique. En fait, dans la nouvelle, leur rencontre et le parcours durant cette nuit vont être fatidiques pour les deux hommes. La nouvelle se clôt quelques heures après le passage dans l'appartement du peintre, toujours de nuit. Dans ce film, il y a une arrestation par les Allemands, l'armistice et un épilogue de retrouvailles après -guerre; tout cela m'a paru ridicule, en inadéquation totale avec le récit, son sujet.

Voir ce film m'a rappelé que cela fait quelques annees que je me promets de (re)lire Céline, très peu lu il y a très longtemps. En attendant, je ne peux que vous recommander à nouveau de lire La traversée de Paris de Marcel Aymé. 

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Commentaires

  • niki

    1 niki Le 30/11/2018

    un film déçoit souvent lorsqu'on a lu le roman d'abord - je crois que la traversée de paris se voulait un "duel" entre bourvil et gabin, du moins dans l'esprit des producteurs -

    je n'ai as été voir "mauvaises herbes" car j'avais l'impression que cela devait être fort prévisible, on a dféjà tourné pas mal de films autour des jeunes difficiles et d'un éducayeur qui veut absolument les faire sortir de leur manque d'intérêt -
    mais bon, ça n'est que mon avis, pas n"cessairement le meilleur :-)
  • maggie

    2 maggie Le 01/12/2018

    J'ai bien fait de voir le film avant, peut-être que je n'aurai aps apprécié non plus...

    Pour Aga, ça me tente bien :-)
  • Aifelle

    3 Aifelle Le 01/12/2018

    Aga passe chez moi, c'est le seul que j'ai vraiment envie de voir.
  • Marilyne

    4 Marilyne Le 02/12/2018

    @ Niki : c'est vrai, il faut accepter l'adaptation ( c'est pour ça que j'étais bien contente de ne pas avoir lu Au revoir là haut ;)) mais ce qui m'a gêné le plus, c'est que c'est le fond même de la nouvelle qui est changé.

    @ Maggie : j'espère que tu liras la nouvelle ( et que tu me diras :))

    @ Aifelle : ah oui, profites en ! ( il n'est proposé que par un cinéma près de chez moi )

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