
- Paulsen - 2021 -
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Parti de Marseille pour une expédition vers l'Atlantique Nord, Pythéas découvrit, bien au-delà de la Grande-Bretagne, une île qu'il baptisa Thulé et fut le premier à rapporter que la mer pouvait geler. À son retour, il consigna ses travaux scientifiques en astronomie, géographie et océanographie dans un traité, De l'Océan, qui fut abondamment commenté et copié pendant toute l'Antiquité. Aucune page de son œuvre n'a survécu. La plupart des commentateurs de l'Antiquité le traitèrent d'affabulateur, voire de menteur. Une mer gelée ? Quelle galéjade ! Son nom tomba dans l'oubli.
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Cette biographie est parfaitement fictive, comme l'explique l'auteur en avant-propos puis en dernières pages : " Nous ne savons rien de Pythéas. Aucune page de son texte ne nous est parvenue... ", mais François Garde se sent une filiation avec cet explorateur oublié, dénigré. Il partage avec lui les souvenirs d'enfance au soleil et la fascination pour le monde polaire. Tous deux sont originaires du Sud de la France, Marseille pour le premier, Aix en Provence pour l'auteur qui regrette que la cité phocéenne ne soit pas une véritable gardienne de la mémoire de Pythéas.
" Je veux dire la gloire surabondante du soleil, qu'il a vue, et l'immobilité impérieuse qui fige toute chose et toute vie, qu'il a deviné. "
François Garde tente de " ressusciter " Pythéas. Pour cela, il s'appuie sur des recherches historiques quant à l'époque et le contexte ( le commerce, les échanges entre civilisations, les fonctionnements administratifs et sociaux, la rivalité avec Carthage ), la navigation, les connaissances géographiques, les légendes.
J'ai beaucoup aimé ce récit qui nous entraîne autant dans un voyage au long cours vers les terres inconnues du Nord que dans un voyage dans le temps, dans l'Antiquité, lorsque Massalia était un port puissant et indépendant de culture grecque.
Le récit est divisé en trois parties de chapitres courts, l'enfance et la formation, puis les expéditions maritimes, enfin les heures de gloire et d'oubli. François Garde use du TU pour sa narration, s'adressant à Pythéas, précisant ce qu'il devine, pourquoi il le devine. Parfois, il reprend la parole, intervient, pour contextualiser, poursuivre le récit dans le temps, jusqu'à notre époque si nécessaire, notamment autour du nom Thulé. Il rappelle les débats scientifiques de l'époque, notamment celui sur " la forme et la nature de la Terre ".
L'auteur montre que Pythéas a certainement su associer " savoir et expérience ", il était navigateur et négociant, certes, mais également formé aux mathématiques et à l'astronomie. Mais la géographie n'est pas encore une science.
" Pourquoi la géographie, dès qu'elle sort de la Méditerrannée, est-elle réduite à cet entrelacs de légendes rapportées par la tradition orale et que nul ne peut vérifier ? Elle peut, elle doit devenir aussi incontestable et assurée que l'Histoire, aussi aveuglante que l'astronomie. Alors, naîs en toi, confusément encore, l'ambition de fonder une science irréfutable de la variété du monde. " [...] Parmi les neuf filles de Zeus dont la tradition a retenu le nom et le domaine, il n'y a point de muse pour la géographie. Car cette science naît de la volonté des hommes, non des dieux. Elle ne procède pas d'une révélation, mais d'une patiente conquête. "
Pythéas découvrit certainement l'Islande, onze siècles avant que l'île ne soit habitée, s'interrogea sur les cycles jour-nuit et la course du soleil comme sur les aurores boréales, sur le phénomène des marées, sur les vents et les courants. Il rédigea un traité en cinq livres où il exposa-consigna les informations qu'apportent ses voyages ( indications maritimes, populations ), ses recherches et connaissances ainsi que ses questions. A son retour, renommé, il créa un groupe - Le Grenier de Massalia - dans lequel les participants échangeaient leurs informations et réflexions. Jusqu'à la fin de sa vie, Pythéas améliora son traité à partir de ces rencontres. Il fit partie de l'ambassade envoyée à la rencontre d'Alexandre le Grand.
" ... tu exposes des résultats et des compléments, précieux parce que acquis ou vérifiés dans des contrées où nul autre n'était venu avant toi. Tu calcules avec une précision inégalée l'obliquité de l'écliptique, et définis avec rigueur les zones qui connaissent le soleil de minuit. Tu démontres qu'il y a un point fixe au sommet du globe, et un autre à son opposé. Puisqu'on nomme Arctique * ces pays du Nord, tu baptises Antarctique son antipode. "
( * : " On a coutume d'appeler Arctique, du grec Arktos, ours, ces étendues désolées situées dans la direction de l'étoile Polaire, dans la constellation de la Petite Ourse " )
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Un récit prenant, servi par une belle plume offerte aux descriptions fascinantes et une érudition qui se fait légère, qui rendent curieux à plaisir, qui donnent vie à l'aventure, à la découverte, à Pythéas.
" Nous ne savons rien de Pythéas. Trop grec pour les Français, trop marseillais pour Paris; trop boréal pour Marseille, trop ancien, imprécis et lacunaire pour être vraiment utile, Pythéas navigue depuis vingt-cinq siècle à contre-courant... "
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L'image de couverture est un montage à partir d'une photographie de paysage de l'artiste russe Evguenia Arbugaeva. J'ai découvert son travail photographique avec la série Tiksi en 2013 lors d'une manifestation parisienne qui s'intitulait Photoquai, puis avec la série Weather Man.
En ouverture, cette citation de Kafka :
" Un livre doit être la hache qui brise la mer gelée en nous "
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Commentaires
1 Anne Le 10/11/2021
marilire Le 11/11/2021
2 Kathel Le 11/11/2021
Encore un livre intéressant à noter !
marilire Le 11/11/2021
3 Jourdan Le 11/11/2021
Merci pour cette découverte.
marilire Le 11/11/2021
4 Jourdan Le 11/11/2021
marilire Le 12/11/2021
5 A_girl_from_earth Le 11/11/2021
marilire Le 12/11/2021
6 Dominique Le 12/11/2021
je me souviens de mon émotion lorsque j'ai vu la banquise lors d'un voyage au Spitzberg !!
marilire Le 12/11/2021
7 krol Le 14/11/2021
8 nathalie Le 21/11/2021
9 keisha Le 23/11/2021
marilire Le 23/11/2021
10 Bono Chamrousse Le 25/11/2021
J'aime beaucoup François Garde et j'avais repéré ce livre... On verra s'il sera sous le sapin
11 Bonheur du Jour Le 10/12/2021
Mais, comme Anne, je retiens la citation de Kafka. Savez-vous d'où elle est extraite ?
marilire Le 10/12/2021