Azad Ziya Eren

Azad

- Azad Ziya Eren devant la porte de l'église arménienne Saint-Cyriake à Diyarbakir -

( printemps 2015 - Eglise ayant depuis subi des dégradations, mise sous séquestre d'Etat )

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J'ai eu la chance d'écouter puis de rencontrer et d'échanger avec Azad Ziya Eren lors du Festival Etonnants Voyageurs de Saint-Malo en juin 2017. Il participait à l'entretien intitulé Des âmes simples avec Pierre Adrian, entretien reprenant le titre du second roman du jeune auteur français ( chronique ICI ). 

Azad Ziya Eren est turc, de famille kurde et arménienne, originaire de Diyarbakir, ville du sud-est anatolien. Des études de biologie, une formation d'instituteur, il est également poète, romancier, fondateur de revue, auteur de monographie, peintre aquarelliste. En français, ses textes sont publiés aux éditions Bleu Autour.

Azad Ziya Eren, c'est un parcours complexe, et un exil maintenant. Il est accueilli en France, avec son épouse et ses deux filles, en résidence d'auteur. C'est un long voyage qui l'a amené jusqu'en France, un voyage politique, celle de son identité multiple et de ses idéaux, après sévices ( notamment lors du service militaire ), arrestation, torture dont il garde des séquelles cardiaques, confiscation de passeport, etc...

Il nous a expliqué, que peut-être, est-ce le rôle de l'écriture de faire le lien entre ses identités, sa double identité kurde et arménienne n'ayant pu se développer sereinement dans sa terre natale. 

Azad Ziya Eren était présent à cet entretien Des âmes simples car venait d'être publié en français le récit de son expérience d'enseignant dans un village d'Anatolie, dans une vallée reculée, d'un autre temps que celui de la mondialisation. Il y a connu la solitude, la simplicité aussi. Les enfants, les lectures, étaient ses compagnons. Azad Ziya Eren est un grand lecteur, il a emmené avec lui en Anatolie Camus et Kafka, entre autres. Il témoigne que la littérature n'est pas indépendante du monde social, elle est toujours chahutée par les changements liés à l'Histoire.

Instituteur de campagne en anatolie

- La petite Collection - Editions Bleu Autour -

- Traduit du turc par Catherine Erikan, Elif Deniz et Pierre Vincent -

De la neige jusqu'au ventre, la dépouille d'un loup fichée sur un poteau, une classe qui prend l'eau, des briquettes de bouse séchée pour le poêle, l'hiver 2002 est rude à Sakizköy, village à flanc de montagne où débarque de l'université le jeune instituteur Azad. Il est poète, aussi. Ses vers ont été lus par un éditeur d'Istanbul qui lui suggère d'écrire la chronique de ce village proche de la Syrie et la publiera dès 2004. La voici en français, nourrie de ses lectures, de son humour, de ses réflexions. Elle nous ouvre à un monde archaïque et désuni. Ici un campement de nomades, là des femmes kurdes au turc hésitant, ailleurs des Yézidis fidèles à l'ange Paon. Dans le ciel gronde la guerre du Golfe, partout les supplétifs font leur loi et, dans la classe, bien au chaud, un élève s'oublie... 

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Ce récit est un journal, le Journal de Sakizköy, ce sont des chroniques et des photographies prises par l'auteur, entre le témoignage et le reportage. C'est un regard vers l'intérieur de la réalité anatolienne, dans ce village de misère, le royaume du vent. L'instituteur n'y est pas vraiment accueilli, la population a d'autres préoccupations qu'éducatives. Et les conditions de vie et d'exercices sont difficiles dans cette classe déglinguée modèle 63 que l'on chauffe comme on peut.

La maison de santé est vide depuis des années, ses fenêtres ont été murées. Elle n'en garde pas moins une utilité. Non qu'elle recèle encore quelques médicaments, mais la famille sans père qu'elle abrite apporte un peu de vie où accrocher le regard qui flotte dans ce vaste vide cerné de montagnes."

Et pourtant, elles sont bien jolies les photographies de cet instituteur, ils sont beaux ses portraits d'enfants.

La tâche a été rude, le froid, l'indifférence, et complexe, car ce village kurde est un village de supplétifs. Les supplétifs, ce sont ces hommes engagés dans les forces de l'ordre régulières, chargés du contrôle des populations kurdes er recrutés au sein de cette population. Et cet instituteur a un statut d'opposant, où qu'il soit en Turquie, avec ce paradoxe, qu'étant l'instituteur, il est le représentant de l'Etat. Seulement l'Etat ne passe pas dans ce coin là. C'est lui et les supplétifs assis au pied du mur de la maison d'en face, kalachnikov sur le dos. Avec 75 élèves de tous niveaux dans la classe et un sérieux manque de moyens.

Je me suis étendu après avoir établi le programme de la journée de classe.

Je n'y ai inclus ni la tempête, ni les pieds nus, ni l'éloignement de tout, ni l'excitation des jeunes filles, ni le refoulement des jeunes gens, ni les horizons sans fin. La vie ferait tache dans les cahiers bien tenus des enfants où sont consignées de plates fictions conformes au programme... "

Malgré tout, malgré les loups, l'isolement, la tension latente et l'amertume, l'instituteur raconte, décrit, et comme sur les photographies, il y a une douceur dans ce récit, offert aux enfants, à la richesse de cette expérience, des rencontres.

Un article double-page du magazine Transfuge d'octobre 2017 est consacré à ce récit d'Azad Ziya Eren. Il est écrit très justement qu'il témoigne avec l'energie du désespoir et la poésie de l'enfance pour cette région " victime d'une double exclusion, économique et politique " ( A.Z.Eren )

Ne te mets pas martel en tête, fiston. Celui qui ose lever la main sur un instituteur est maudit ! Mais, toi, ne perds pas de vue que les enfants suivent en définitive le sillage de leurs aînés. Tu as beau, la journée, creuser devant eux le plus profond des canaux de dérivation, l'eau, toujours, retourne à son lit : c'est d'abord la maison qui les nourrit er les modèle. C'est donc là que tu dois installer ton tableau noir si tu veux changer leur sombre destin. Le reste n'est que du vent, fiston, du vent...

Ces vers d'Ilhan Berk flottent dans l'air :

Rouge braise les mots du poète

Noire sa vie... "

L'ouvrage se termine par une biographie-parcours rédigée par l'éditeur : Les chemins d'Azad.

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Je n'ai pas regretté d'être partie du stand des éditions Bleu Autour avec également le recueil Tout un monde, afin de découvrir un peu plus l'univers de Azad Ziya Eren.

Tout un monde

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Ce fin recueil est une courte anthologie de poèmes avec un extrait du récit " Instituteur de campagne en Anatolie ", un texte " aux migrants de Mésopotamie " complétée d'une interview et d'un questionnaire de Proust, d'aquarelles, de dessins, de photographies; il est l'album pour une rencontre.

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Puisque je ne conçois pas les montagnes hérissées de piques

Les rivières avec des glaces comme des glaives

Le sang versé purifié par la foi

La feuille fixée dans le halo des yeux comme la lune dans la nuit

Les miroirs drapés à travers les branches imbibés de fièvre jaune

Tandis que les blocs de haine taillés dans les rêves soulèvent l'oreiller,

Puisque je ne conçois pas les veines dans les paumes du temps

Et que, tel le cendrier gris du Livre des psaumes,

Je ne guette pas les affres de la haine sur le front de l'âge,

Embrassant les gants blancs des cimes et des oiseaux

Je suspends à votre voix de juste l'honneur et les mots

De sang et de douleur des morts sans sépulture.

- Traduit du turc par Elif Deniz et Pierre Vincent -

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Ces deux petits livres me sont précieux, d'abord parce que ce fut une belle rencontre, un échange enrichissant - Azad Ziya Eren est un homme disponible, paisible, une véritable paix se dégage de lui -, et parce que je lui ai demandé de dédicacer ses livres dans la langue de son choix, il y en a un en français avec un adorable dessin au feutre, une volute en fleurs, et l'autre en turc.

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Commentaires

  • Tania

    1 Tania Le 23/12/2017

    J'ai lu ton billet avec beaucoup d'intérêt, ayant enseigné à des jeunes filles dont les parents étaient originaires d'Anatolie. De nombreux Turcs de cette région se sont installés dans le quartier de l'école, au point qu'on le surnomme "la petite Anatolie".
  • Marilyne

    2 Marilyne Le 23/12/2017

    @ Tania : merci, il n'est pas facile d'écrire ce type de billet. C'est un joli nom de quartier, " la petite Anatolie ". Il me semble me souvenir que tu avais écris un billet pour présenter ce quartier, si je ne me trompe pas.

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